Un soldat Israélien donné pour mort au combat…pourtant bien en vie !. Au cœur drame vécu puis de l’espoir revenu pour la famille , c’est par la machine de l’absurde que le cinéaste pourfend – avec force par une mise en scène surprenante et inventive – les clichés…et la politique de la violence .
Le cinéaste que l’on avait découvert en 2009 au Festival de Venise avec son premier long métrage , Lebanon ( qui y avait remporté le Lion d’or) , et son huis-clos dans lequel étaient projetés quatre soldats du Tsahal lors de la guerre du Liban en 1982 . Le récit adoptant le point de vue subjectif de l’occupant rendait le film saisissant d’intensité réaliste , plongeant le spectateur au cœur du conflit et rivé comme le soldat à la lunette du viseur de son char et y partageant sa vision des événements. Revenu huit ans après sur la lagune Vénitienne , lors de l’édition 2017 du festival avec son second film , il y décrocha cette fois-ci le Lion d’Argent Grand prix du Jury. Une nouvelle récompense internationale mettant en valeur l’originalité de son regard cinématographique, s’attachant à trouver dans chaque séquence ou plan , l’image la plus efficace traduisant un ressenti , et lui opposer dans le plan ou la séquence suivante, une autre approche comme s’il s’agissait d’aller au plus profond , pour y scruter la vérité , au cœur de laquelle la possibilité de l’illusoire de celle-ci , peut s’immiscer. La construction du récit , en trois chapitres voulue par le cinéaste empruntant la forme de la tragédie Grecque classique , renvoyant à la tragédie contemporaine dont son film se fait l’écho , ayant dit-il « une résonance avec des éléments mythiques comme le hasard et le destin »…

Le choix de la construction formelle évoquée traduisant un ressenti au cœur de la tragédie, en est le prolongement destiné à susciter la curiosité du spectateur dont les éléments de chacune des trois parties , l’invitent à une approche de la structure émotionnelles des personnages sur la psychologie desquels, chacune se concentre . On y retrouve respectivement , Michaël Feldman ( Lior Ashkenazi ) le chef de famille , puis son fils Yonatan ( Yonatan Shiray), et enfin la mère de ce dernier , Dafna ( Sarah Adler ) . Au cœur des trois parties , Samuel Maoz par son choix d’ écriture formelle introduit au cœur de chaque séquence une approche de ses personnages cherchant à déstabiliser le spectateur , afin de mieux le récupérer pourrait-on dire par la suite , et le rendre plus disponible et attentif , à la tragédie familiale qui se joue , et dont la symbolique de l’absurde qui s’y inscrit – offre au traumatisme et à la souffrance déclenchée par les événements vécus- toute sa dimension . Celle que le « choc » de l’annonce par une délégation de militaires de la mort de son fils Yonatan au combat, va réveiller chez le père , Michaël la blessure profonde qu’il avait enfouie au fond de son être . Celle dont la magnifique scène au cœur de laquelle l’inacceptable qui lui a été annoncé ne peut restituer la vraie dimension de sa souffrance qu’en exposant sa main sous l’eau brûlante…déclenchant les hurlements d’une douleur qui, jusque là ne pouvait sortir de sa bouche !. Cet inacceptable que l’on n’est pas prêt à entendre, ni être en mesure d’affronter , qui fait s’évanouir la mère gisant au sol inanimée et précipitée dans un état dépressif profond …

Puis, la douleur qui va demander des comptes et interpeller , sur le pourquoi et le comment ça s’est passé ,et sur l’état du cadavre. Le mutisme des autorités militaires …répondant par la nécessaire dignité à garder , pour l’organisation du rituel des funérailles destinées à honorer le soldat de la patrie tombé au combat . Au coeur du huis-clos de l’appartement où la tragédie de la mort du fils vient de frapper, une autre va pourtant devoir … révéler l’incroyable erreur faite – sur l’identité du soldat mort – par les technocrates de l’armée , y inscrivant l’absurde. Le basculement de la seconde partie du côté des opérations militaires et du check- point au milieu du désert où Yonatan bien vivant et ses camarades sont de surveillance , viendra ajouter à la tonalité de l’absurde, celle d’une réalité où s’invite le surréalisme et s’insinue l’onirisme . Un baraquement qui menace de s’effondrer, un dromadaire s’invitant à plusieurs reprises au passage de la barrière du check-point, de rares contrôles d’identités où parfois cependant le soupçon de la menace plane, puis place au divertissement des jeux et des histoires salaces que l’on se raconte et Yonatan qui s’adonne à sa passion du dessin . Puis, une nuit où soudain le drame à nouveau s’invite , avec cette voiture remplie de jeunes gens s’approchant du contrôle . Plus tard , c’est une voiture de l’armée et un gradé qui viendra chercher Yonatan pour le ramener chez lui . Retour au foyer familial pour la troisième partie où bonne la humeur et l’intimité semblent revenues , on y prépare un gâteau d’anniversaire. Au cœur des dialogues qui s’installent entre Michaël et sa femme , le passé s’il resurgit laisse place à la prise de conscience et à la remise en question . Le passé familial revisité dont se font écho les séquences établissant les « liens » familiaux ( la passion commune père/fils du dessin père-fils… l ‘héritage par Yonatan de la Tora de la Shoah du grand-père ) . Ou encore via cette danse , le Foxtrot , donnant son titre au film , évoquée dans les trois épisodes et dont la symbolique des pas qui composent ses figures , « ramènent toujours au point de départ » , explique Michaël …

Cette figure de la danse du Foxtrot , évoquée en forme de métaphore par le cinéaste , renvoyant à la situation de ses personnages reflétant celle d’une société Israélienne, « enfermée dans le statut d’éternelle victime ». Ce « point de départ » sur lequel s’appuie la politique nationaliste, sécuritaire et répressive, en l’instrumentalisant comme un « poids porté … qui contamine plus que jamais son présent », explique le cinéaste . Ce présent auquel , le destin des personnages de Foxtrot se retrouvent confrontés , dont la dimension du récit passée au scalpel de l’absurde lui offre , toute son ampleur et son efficacité. Ces derniers se retrouvant piégés au cœur de l’aveuglement d ‘une société et d’une politique , à laquelle leurs destins sont liés . Mais – et c’est la force du film- dont le cinéaste dans la séquence finale magnifique et bouleversante, ouvre les possibles . Dans l’intimité de la cuisine , au cœur des échanges du couple parental où va s’inscrire , la prise de conscience et la remise en question qui jusque là , avait été retardée. La tentative de briser le « déterminisme » collectif déclenchée par les épisodes vécus de la tragédie amplifiant le mal-être , va faire son chemin. A cet égard, la symbolique du geste de l’échange de la Tora de la Shoah , évoqué , se décline dès lors comme une démarche hautement transgressive. En Israël , explique le cinéaste « ce choix est considéré comme la pire des trahisons » .Pour cette raison son film a été l’objet d’attaques virulentes venant de la part de la ministre de la Culture , Miri Regev , estimant qu’il donne « une mauvaise image de l’armée Israélienne ». Pas de quoi ébranler les convictions du cinéaste ( qui fut soldat durant le première guerre du Liban qui a inspiré son film Lebanon , y dénonçant les dérives et violences commises…), qui reste convaincu qu’un processus de paix ( arrêt de la répression contre les population civiles …) , est nécessaire.
(Etienne Ballérini )
FOXTROT de Samuel Maoz – 2017 – Durée : 1h 53 –
Avec : Lior Ashkenazi , Sarah Adler , Yonatan Shiray, Shira Haas, Kerin Hugowski …
LIEN : Bande-Annonce du film , FOXTROT de Samuel Maoz ( Sophie Dulac Distribution )