Cinéma / TRANSIT de Christian Petzold.

Adapté du roman éponyme d’Anna Seghers , le nouveau film du cinéaste Allemand     ( Phoenix , Barbara )  nous immerge dans le quotidien d’un réfugié, fuyant  les forces d’occupation  en attente d’un visa. Dans  son errance fantomatique parsemée de rencontres au cœur de la ville- transit de Marseille, la thématique universelle de la détresse de l’exil , fait écho à une actualité brûlante …

Georg ( Franz Rogowski) dans sa chambre d’exil à Marseille ( crédit Photo : Les films du Losange )

Lorsque Anna Seghers ( 1900-1983 ) publie son roman Transit  en 1944 ( 1)  , celui-ci évoquant la fuite en 1940 , de tous ceux ( déserteurs , communistes , juifs, artistes …) opposés au régime Nazi pourchassés par ce dernier , tentant de trouver visas vers l’Amérique ou le Mexique . La femme de lettre juive et communiste dont les livres furent interdits et qui  fut pourchassée par la Gestapo, a vécu cet enfer, avant de pouvoir partir en exil au Mexique . Et dans son roman , il est question de c’est attente, de l’inquiétude et de l’incertitude dont est fait le quotidien son héros pris au piège des événements. Ici, dans les premières séquences de l’adaptation faite par Christian Petzold on s’aperçoit dès les premières scènes du film , que le contexte n’est pas celui de la France des années d’occupation Allemande dans laquelle se situe le roman. C’est dans un Paris qui pourrait être celui d’aujourd’hui …ou d’un futur proche, que  débute le récit . Dans lequel le terme «  forces fascisantes » pour qualifier l’occupant , peut  faire écho à une période « trouble » suite à laquelle celles -ci auraient pris le pouvoir, y faisant régner un certain ordre et cherchant pour ce faire , à  poursuivre et  arrêter  les opposants  cherchant  à fuir le pays . En tout cas , le « parallèle » est bluffant , et ouvre surtout , par le choix fait par le cinéaste une « perspective » passionnante par le mystère et l’incertitude qui s’installe , via cette intemporalité et la succession des événements qui se  produisent  …

Georg ( Franz Rogowski) rencontre le jeune Driss( Lilien Batman ( Crédit Photo: Les films du Losange )

Face à cet engrenage , Georg ( Franz Rogowski ) énigmatique  , va incarner  une figure individuelle au cœur d’un ensemble collectif de réfugiés . Le récit fait écho à une situation mondiale où pour des raisons multiples ( politiques ,  économiques ou climatiques..) déplacés et réfugiés se retrouvent au cœur des débats … comme c’est aussi le cas en Europe où consécutivement à l’afflux de migrants, les pressions nationalistes resurgissent . Georg , est donc ici , un fugitif parmi tant d’autres,  contraint de fuir ces « forces fascisantes », on ne connaît d’ailleurs pas son vrai nom puisqu’il a pris l’identité d’un écrivain Allemand pourchassé et qui s’est suicidé, dont il a récupéré certains documents  ( Visa …) et un manuscrit inachevé. Arrivé sur les bords de la Méditerranée , il sait de toute manière que, comme tous les autres qui tentent de fuir, il n’y a pas d’espoir de retour . Dans un contexte où il est impossible de trouver refuge ou de l’aide par peur de représailles : «  Ils sont en passe de devenir des fantômes, entre la vie et la mort, entre le passé et le présent. Le présent passe à côté d’eux et ne leur accorde aucune attention… » explique le cinéaste. Dès lors le choix de l’intemporalité fait par le cinéaste , offrant des perspectives passionnantes par la voix -off d’un narrateur, y apportant un prolongement et une ouverture . Celle-ci pouvant se fondre au cœur d ‘un collectif comme un témoignage, venant s’ajouter à d’autres récits de réfugiés . Dès lors , celui-ci devenant  une sorte de « plainte » collective, réunissant la nostalgie des souvenirs multiples que le traumatisme vécu , fait revenir à la mémoire de chacun . Comme l’illustre la superbe séquence où la lecteure du manuscrit de l’écrivain ravive chez Georg la mémoire d’un passé , où la musique , la langue et le présent de la  vie quotidienne  n’étaient pas – encore – pollués par les accents de la propagande Nazie …

Georg ( Franz Rogowski) et Marie ( Paula Beer ) – Crédit Photo : Les films du Losange –

C’est cet espace que Georg s’approprie , via le manuscrit volé mais aussi par la voix off ( de Jean-Pierre Darroussin) jouant sa propre partition y apportant des considérations distanciées, en forme de relecture d’un récit que l’on répercute à d’autres en y apportant ses propres variations . Le film se mue en récit initiatique dont Georg remplit son quotidien, son passé et son avenir , pour ( réinventer?) son présent . C’est son moteur de survie qui le pousse à se débrouiller , s’inscrire dans le présent, mentir ou dissimuler peu importe , il n’a rien à perdre ! . C’est ce qui va lui permettre d’acquérir une légitimité , une identité , et se donner un but , une raison de vivre. Dés lors les rencontres et les événements dans sa vie se multiplient , il va ( re ) découvrir le désir et pouvoir aspirer à s’inscrire dans une perspective d’avenir. Comme celle que lui ouvre la rencontre du jeune garçon, Driss (Lilien Batman ) faisant vibrer la fibre des souvenirs d’enfance et d’un passé rejeté au néant et lui ouvrant la possibilité de s’inscrire dans un présent et prendre des responsabilités. De la même manière que celle de Marie ( Paula Beer ) dont il va tomber amoureux . Mais pour ce dernier , les fils tissés des possibles et de l’espoir , vont se confronter au piège des années d’errance et de fuite qui le ramènent , dans la souricière qui se referme sur lui . Les promesses non tenues par égoïsme (?) envers Driss qui le rejettera , comme celle d’une aventure amoureuse construite sur le mensonge et l’usurpation d’identité, la rendant impossible . Tout va s’écrouler pour Georg laissant, à l’image du manuscrit volé et inachevé , son destin en suspens …

La force du film s’inscrit dans tous ces possibles s’ouvrant à Georg , mais aussi dans ce qu’il aura appris,  à l’image de ce sentiment de culpabilité ressenti pour la première fois . Ce même sentiment qui envahit Marie, refusant de vivre dans la tromperie envers son mari . Puis , voilà que – peut-être- au cœur de cette  fuite en avant , une renaissance à la vie peut tenter de s’ouvrir des brèches par le sursaut de l’imaginaire . Le magnifique final , en forme de plongée saisissante, en suggère la possibilité fantomatique dans le sillage de Georg revenant « en transit » porté par le désir , hanter les mêmes mes lieux , et remplir l’espace pour se perdre avec ceux qui peuplent, le «  royaume des ombres » . Ce royaume où reposent les réfugiés qui sont morts, dont les ombres peuvent parfois se glisser dans des interstices et venir en fantômes, hanter le vivants … qui ont besoin d’eux , pour continuer à espérer. La survivance du désir plus forte que tout ?. Superbe et  émouvant final …

(Etienne Ballérini)

(1) En 1942   de son  exil au Mexique  Anna  Seghers avait   publié le  roman  La septième croix, racontant l’évasion de sept prisonniers  du camp de  concentration  de Westhofen .  Le succès   du roman   contribua   fortement,  à porter à la   connaissance  du monde entier  l’existence des camps de  concentration , et  mise en place de la « solution finale  » par le régime  Nazi .  Celle-ci fut prolongée  par le succès mondial du  film  réalisé  en 1944  par le  grand cinéaste , Fred Zinnemann…

TRANSIT de Christian Petzold – 2018- Durée: 1 h 41.                                                             Avec : Franz Rogowski, Paula Beer, Lilien Batman , Godehard Giese, Maryma Zaree, Barbara Auer …

LIEN : Bande Annonce du Film Transit de Christian Petzold .

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