Attention. C’est Iliade et non L’Iliade. C’est-à-dire que ce n’est pas L’Iliade estampillée, mais UNE Iliade, celle de la metteur en scène (Pauline Bayle) celle de la scénographe (Camille Duchemin) celle des comédiens (Charlotte van Bervesselès, Florent Dorin, Alex Fondja,Viktoria Kozlova, Yan Tassin). Une possibilité d’Iliade.

En fait, n’importe quelle œuvre théâtrale n’est pas la pièce de….. mais les mots de… passés par le corps des comédiens, installés par la mise en scène, disposés par la scénographie. A chaque fois, une création. D’autant plus qu’ici, il ne s’agit pas d’une œuvre théâtrale, mais d’un récit. Récit épique qui appelle à la théâtralisation.
Adapter l’“Iliade” au théâtre c’est choisir de porter sur scène un chant de guerre . Un poème à la gloire de héros assoiffés de violence et de victoire, guidés par la fureur et la vengeance. Si on ne comprend pas la guerre, comment comprendre la paix ? Le spectacle, au TNN, commençait dans le hall d’entrée. Comme les comédiens étaient un peu en retard, j’ai pensé que Zeus avait bloqué les vents à Aulis, bloquant ainsi la flotte grecque, pour venger l’offense faite par Agamemnon à Artémis.
Mais les protagonistes (mot du théâtre antique grec désignant le premier rôle) arrivaient enfin et nous avions d’emblée et la présentation des personnages et celle de la situation initiale. L’expédition grecque est « mal barrée » : Achille veut revenir dans ses terres car Agamemnon l’a privé d’une esclave de son butin, Briséis, le roi des rois l’a mauvaise, Ulysse essaye de calmer les deux, Diomède –ou peut-être est-ce Ajax – fait valoir à Agamemnon que même sans les vaisseaux d’Achille, l’armée grecque est conséquente…. Et nous entrons dans la salle.

Décor minimal, scéno épurée, quelques paillettes et voilà une armure, un peu de peinture et c’est du sang qui coule, deux grandes feuilles de papier kraft où sont inscrits les noms des principaux protagonistes des camps ennemis, des paillettes d’or et d’argent collées au corps avec de l’eau pour contrefaire les armures, des seaux d’eau jetés sur Achille en guise de révolte du fleuve Scamandre.
Et cinq actants qui n’ont que leur force de conviction, leur foi en leur statut de passeur d’un texte vieux de pas loin de trois millénaires, leur dynamisme, l’enthousiasme de leur jeunesse. C’est un spectacle choral : tous sont à égalité. Nous sommes loin du « respect dû aux anciens ». Nous sommes dans comment s’emparer d’une légende et non pas la revisiter –oh le vilain mot- mais la débarrasser des afféteries, en trouver le suc, et nous le transmettre tout chaud.

Ils passent d’un personnage à l’autre, d’un rôle à l’autre, en fait je préfère dire d’une instance de jeu à une autre. Les rôles féminins –Aphrodite, Héra, Andromaque- ce sont des comédiens qui les actent – outre leurs instances masculines ; à l’inverse Achille, c’est une comédienne qui s’en empare. Et cela est très subtil : le regardant peut se focaliser vraiment sur la parole.
On peut même dire que les comédiens (bon, c’est un terme générique, vous n’allez pas me faire écrire comédien-nes !), les comédiens, dis-je, inventent la scénographie (mais je pense que Camille Duchemin y est pour quelque chose). Ils ont renversé de la farine sous forme de cercle, et c’est ce cercle à l’intérieur duquel Achille combat Hector. Certaines scènes se passent chez les dieux, et l’on se dit « Mais c’est du vaudeville qu’ils nous jouent là ! » Attendez, attendez, revenons au texte. Chez l’aède aveugle, lorsque Homère écrit les rencontres entre les dieux, il change de ton, il change de style, comme des coupures, des pauses, des brisures… Pauline Bayle a lu correctement Homère, elle en a fourni les bonnes indications.

Pauline Bayle sait que l’Illiade n’est pas du théâtre. Et si son – pardon leur- Illiade me séduit tant, c’est qu’elle est un subtil mélange du récit avec le jeu, mixé à la sauce du dynamisme : tout passe par la conviction et le rythme.
Chante, déesse, la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Achéens, et précipita chez Hadès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers.
Tels sont les premiers vers du poème d’Homère. Ils n’avaient point besoin d’être dits, étaient visibles sur scène.
(Jacques Barbarin )
Iliade, Compagnie A tire d’Aile
24 avril Gradignan Théâtre des 4 saisons 05 56 89 98 23
26 avril Tulle Les Sept Collines 05 55 26 99 10
27 avril Aurillac Théâtre d’Aurillac 04 71 45 46 04
28 avril Saint Fons Théâtre Jean Marais 04 78 67 68 29
Illustrations :
Affiche
Achille revêtant son armure
Achille au combat
Duel Achille Hector