Je me souviens. C’était dans le mitan des seventies. C’était à Pantin. C’était la fête d’un hebdomadaire dont le titre était celui d’une couleur. Une couleur qu’on associe au sang mais aussi à la passion. J’y ai eu une double révélation : celle du bourgogne aligoté et celle du premier concert de toi auquel j’assistais.
Je me souviens que je tombais raide dingue du premier album de toi que j’achetais. Son titre était « Irradié ». C’était la première fois que j’entendais des mots comme « Je suis le sage, le fou, le débile/Je suis du village l’idiot/ Et j’entends les rumeurs de la ville » Et j’ai jamais perdu le goût de ça. Des associations de mots pareils, des images qui vous arrive plein la tête.
Je me souviens que c’était en 1976. Il y avait pour moi un météore, une comète, une aurore boréale dans la chanson française. Une exubérance, une trouvaille de chaque instant, immergé dans l’imaginatif le plus débridé, le tout plongé dans un bain de rock’n’roll. Il y avait à la guitare un certain Louis Bertignac.
Je me souviens, parmi les albums qui m’ont marqué à jamais, de ton triple album live enregistré le 1er janvier 1981 au théâtre Mogador et sorti en mai 81 (décidément un mois excellent). Certains titres pouvaient faire jusqu’à 21 minutes car tu profitais toujours de tes chansons pour improviser ou ajouter des blagues au milieu. C’était la trace de cette liberté qui te caractérisait tant, de suivre ton instinct. Tes concerts pouvaient se terminer à point d’heure. Comme le disait un journaliste, « on était sûrs de rater le dernier métro. »
Je me souviens qu’aucune de tes chansons ne l’a laissé indifférent, jamais je me suis dit « celle-là est un peu plus faible »…. Chacun de tes albums est un pactole : outre les deux cités, « Alertez les bébés », « BBH75 », pour lequel tu reçois le prix de l’Académie Charles Cros, « Champagne pour tout le monde », … « caviar pour les autres », « tombé du ciel »…
Je me souviens que le travail que tu fais sur la langue, la rencontre fortuite et inopinée des mots par toi utilisé est « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre » (Lautréamont) Champagne ! La nuit promet d’être belle/ Car voici qu’au fond du ciel/ Apparaît la lune rousse/ Saisi d’une sainte frousse/ Tout le commun des mortels/ Croit voir le diable à ses trousses/ Valets volages et vulgaires
Je me souviens que tu es né en 1940, dans un village de la Seine et Marne. Je me souviens qu’à la fin des années 60, tu rencontres Bulle Ogier, Jean Pierre Kalfon, Georges Moustaki et beaucoup d’autres artistes. Ton œuvre expérimentale, marquée par Boris Vian, évolue ensuite vers une vision où alternent ballades graves et délires surréalistes vigoureux. Ton talent d’improvisateur et son énergie poétique lui donnent une relation particulière avec les spectateurs.
Je me souviens qu’en 1988, il participe à l’hommage rendu à Léo Ferré à La Rochelle où tu reprends « Jolie môme ». Ton image disparaît progressivement des médias et, avec la crise du disque, il éprouve des difficultés à être produit. En 2003, toujours fidèle à Ferré, il participe à l’album hommage sorti pour les dix ans de sa disparition : c’est encore Jolie Môme que tu choisis.
Je me souviens qu’en 1993, tu apporte un soutien remarqué aux manifestants de l’association DAL avec l’Abbé Pierre ; tu es, le 16 décembre1994, un des fondateurs de l’association Droits devant !! et tu réponds encore favorablement des années plus tard, le 13 juillet 2010 après ton concert aux Francofolies de la Rochelle.
Je me souviens que le 1er avril 2013, tu publie Beau Repaire, nouvel album écrit et composé par tes soins, et sur lequel figure un duo avec la comédienne Sandrine Bonnaire. L’album reçoit un accueil critique enthousiaste, notamment de la part du magazine « Télérama » qui lui attribue ses « 4F » et souligne qu’il s’agit « peut-être du meilleur album d’Higelin, qui le remet enfin à sa place : au sommet de la chanson ». Le même magazine sacre Beau Repaire meilleur album de chansons françaises avec J’ai l’honneur d’être de sa vieille amie Brigitte Fontaine. Les 10 et 11 juin, tu remplis deux Casino de Paris. Tu y chantes trois heures le premier soir, et trois heures et quarante-cinq minutes le second. Les deux soirs, Sandrine Bonnaire et ta fille Izïa montent sur scène avec toi (l’une pour le Duo d’anges heureux, l’autre pour la Ballade pour Izïa). À l’issue du second Casino, tu reçois un disque d’or. Cette rencontre avec Sandrine Bonnaire donne lieu, l’année suivante, à un reportage, Ce que le temps a donné à l’homme, réalisé par l’actrice et diffusé sur Arte.
6 avril 2018 : tu pars retrouver Trenet et Ferré. La faucheuse n’y va pas de main morte : le même jour, Véronique Colucci, ex présidente des Restos du Cœur, retrouve son ex-mari, Coluche.
Ciao, Jacques Higelin
Jacques Barbarin
Bravo pour ce beau témoignage sur Jacques Higelin on le partage entièrement.
Petite préciion toutefois, BBH75 n’a pas reçu de prix de l’Académie Charles Cros, mais en 1976 pour Alertez les bébés. Et Higelin aura été un de très rares chanteurs, peut-être le seul, a recevoir 4 fois un Grand prix du disque ou un In honorem de l’Académie, Avec 1982 A Mogador, Grand Prix du disque, 1983 Tombé du ciel Grand Prix In honorem et 2013 Beau repaire Grand Prix In honorem pour l’ensemble de sa carrière.
On trouvera ce soir la vidéo de sa très émouvante intervention à la réception de son prix pour Beau Repaire sur le site de l’Académie http://www.charlescros.org
Cordialement
Alain Fantapié