Une voiture , deux hommes en état d’ébriété . L’accident . L’un en sort quasi indemne , l’autre deviendra paraplégique avant de retrouver une partie de sa mobilité et s’épanouir dans l’art du dessin satirique. Adapté du récit autobiographique du dessinateur de presse John Callahan . Séléction Festivals de Sundance et de Berlin. Un récit passionnant...

Les premières images du film, sont celles d’une réunion d’alcooliques « anonymes » avec confessions, échanges et paroles de soutien pour ceux dont le trajet d’abstinence se résume en journées de combat contre soi et l’addiction. Aux images de la thérapie collective à laquelle John Callahan a fini par avoir recours pour se sortir du cercle dangereux dans lequel désormais et malgré son handicap, il a replongé. Gus Vant Sant dont on a pu mesurer l’originalité d’une œuvre et d’une écriture qui a su garder habilement son indépendance vis à vis des studios. Il le prouve encore ici , en évacuant tout sentimentalisme envers son héros dont on va suivre , via une écriture et une approche de mise en scène organisée en flash-back défiant la chronologie du parcours de John. Dès lors ce retour sur soi dont John Callahan (Joaquin Phoénix , toujours aussi habité…) va devoir affronter les étapes le conduisant à ses progrès de rééducation et à la découverte de sa « vocation » , deviennent passionnants. Dans la mesure où le spectateur se retrouve, comme lui , convié à démêler les étapes d’un vécu , où passé et présent interfèrent et lui apportent éclaircissements sur son parcours chaotique. Celui dont la quête du salut recherchée aux accents mélodramatiques de résilience , s’en retrouve totalement métamorphosé. Le défi du récit de Gus Van Sant, est de nous en proposer par cette approche en flash-back ,entremêlant des périodes de sa vie en forme d’un va et vient incessant entr’elles , installe à la fois l’effet de la perception du ressenti immédiat , puis celle de la douleur amère qui reste gravée en lui , comme un obstacle infranchissable …

Habilement le cinéaste installe donc via ces ruptures temporelles, dont john au fil des étapes ré-évoque son enfance douloureuse , puis celles de son « addiction » , et ensuite de sa rééducation, puis les réunions aux alcooliques anonymes et les rencontres. Des étapes revisitées au cours desquelles il va inscrire son espace de réflexion et prise de conscience qui va l’amener à progresser, construire sa nouvelle vie et devenir le dessinateur célébré dans le monde entier. Ce sont ces étapes, et ce qu’elles déclenchent chez John qui constituent, la matière même du récit . Gus Van Sant refusant de céder à la facilité et de prendre le spectateur à témoin des déboires de John en jouant sur la sensiblerie ou la pitié qu’il peut inspirer, préfère le montrer se confronter à ses propres démons et franchir les étapes de sa reconstruction. Mettre en quelque sorte spectateur en empathie avec John , devenir le témoin de son long séjour à l’hôpital et son calvaire de rééducation , où ( belle séquence … ) la thématique de la sexualité pour handicaps est abordée ( avec humour ) . Puis sa sortie de l’hôpital et les multiples chutes en fauteuil conséquence d’une ardeur de vitalité retrouvée ( vitesse et figures acrobatiques dans la rue…) , jusqu’au démon de l’addiction qui va le reprendre ( la superbe scène où il ne peut accéder à la bouteille mise hors d’atteinte par son aide-soignant qui le suit à domicile ) . Le passé et l’enfance qui refont surface ( abandonné par sa mère… ) , les humiliations d’hier et d’aujourd’hui . Le désespoir qui l’envahit , cette vie en fauteuil roulant qui lui devient insupportable , et un futur qui semble sans perspectives , jusqu’à l’idée qui s’installe de vouloir en finir …

Pourtant le sursaut de l’énergie qui le caractérise lui fera frapper à la porte des Alcooliques Anonymes, la fierté mise un instant en berne pour un appel au secours et le besoin d’une écoute , et de rencontrer d’autres personnes traversant les mêmes épreuves. L’écoute il la trouvera face à lui de personnes se racontant sans détours et au delà des échanges parfois vifs , lors des séances supervisées par le « gourou » Donnie ( Jonah Hill , formidable ) qui deviendra son mentor , faisant appel aux philosophes enseignant le prix de la vie et le parcours de la sagesse, mais aussi au réconfort de la religion , et instaurant les règles des 12 étapes à franchir pour trouver le chemin de la rédemption. Une discipline sévère qu’il lui inculquera dont l’une des plus importantes étapes , l’ oblige à franchir le pas d’aller à la rencontre de ceux qui en sont les responsables . Ce parcours doublé d’une relation amicale enseignant l’amour et le pardon , trouvera l’écho chez John qui finira par se libérer dans les séances de « confessions publiques » , et trouver sa voie et son épanouissement intellectuel défiant le handicap… soutenu aussi par la présence consolatrice de sa compagne, Annu ( Rooney Mara , lumineuse ) et cette autre présence céleste (!) singulière de l’hôtesse de l’air farceuse. De beaux personnages féminins à l’énergie consolatrice communicative …

Dont Gus Van Sant nous en offre une belle et double représentation cinématographique en forme d’apparition curative. D’une part , celle d’un dessin improvisé faisant surgir l’image de cette mère qu’il n ‘a pas connue et dont il a souffert de l’absence, se transformant en « ange gardien protecteur » révélateur de ce qui sera et deviendra , son nouveau parcours de vie , le dessin. Image doublement emblématique renvoyant la maladie de l’addiction et celle cœur, à une autre qui -elle- sera curative . Une délivrance qui le propulsera à nouveau dans le monde et la société dont se fait l’écho une des plus belle scène du film où lors de l’une de ses chutes au sol conduisant trop vite son fauteuil roulant , il sera aidé par des enfants en skate qui le remettent sur pied , et à qui il offrira les dessins qu’ils semblent apprécier , tombés avec sa chute sur la chaussée . Ses premiers admirateurs qui petit à petit, deviendront des milliers . Joli clin -d’oeil que ce regard de l’innocence enfantine scellera , d’une certaine manière en écho à celui l’enfance de John dont le souvenir de l’innocence souffrante, a fini par révéler (réveiller…) sa vocation ! . Désormais le retour à la vie sociale et à l’échange avec le public , y compris en mettant sa sensibilité à nu , mais aussi cet esprit salutaire et caustique et provocateur de la satire qui caractérise ses dessins interpellant , son auditoire . C’est au bout du compte sa personnalité qui ( re) vit et s’exprime, et trouve sa revanche en ayant réussi a vaincre tous ses maux , et son infirmité mentale et physique …
Gus Van Sant originaire de la ville de Portland dans l’Oregon et qui a bien connu John Callahan ( décédé en 2010) qui en était également un des enfants , et en a réuni les ingrédients d’un portrait original que la forme du récit et de la mise en scène, rend émouvant et attachant . Et qui ,surtout, permet via le développement qui décrit le douloureux parcours de ce dernier , de revisiter aussi la riche période d’une génération héritière de celle qui marqua les années 1960 avec ses expériences libertaires multiples d’un certain style de vie , dont Allen Ginsberg et autres jack Kerouac devinrent les figures emblématiques . Et John , avec son allure et sa révolte débridée , de fait , fait penser à ces « clochards célestes » décrits dans son roman par jack Kérouac …
(Etienne Ballérini )
DON’T WORRY, HE WON’T GET FAR ON FOOT de Gus Van Sant – 2018- Durée : 1 h 53-
AVEC : Joaquin Phoenix, Jonah Hill, Rooney Mara , Jack Black, Beth Ditto , Olivia Hamilton, Udo Kier, Lim Gordon , Carrie Browstein .. .
LIEN : Bande -Annonce du film – Métropolitan distribution –