Une enseignante de sciences physiques chahutée par ses élèves de banlieue. L’éducation et la méthode en question. Le dérèglement et la fable fantastique au rendez-vous . Le plaisir du décalage et de l’inattendu comme élément de divertissement et de réflexion . Jubilatoire …

Critique, comédien et cinéaste Serge Bozon depuis son premier essai cinématographique L’amitié (1998 ) derrière la caméra, s’est inscrit dans le panorama du cinéma Français avec une singularité d’écriture, une liberté de ton et d’approche humoristique et cocasse des personnages loufoques. Celle-ci a fait son petit chemin dans les festivals où il accumule les récompenses , et trouve aussi le relais des cinéphiles conquis dans les salles . Mods (2003) , La France (2007, prix Jean Vigo ) , Tip Top ( 2013 , Prix S.A.C.D ) constituent les jalons de ce parcours qui se poursuit avec son nouveau film où on retrouve son interprète de Tip Top , Isabelle Huppert en héroïne féminine du célèbre roman de Robert Louis Stevenson L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde qui fut adapté au cinéma par Victor Fleming en 1941 et devint un classique. Le cinéaste – cinéphile , passionné aussi de littérature dont il s’en inspire parfois, comme ce fut le cas pour Tip Top adapté librement du roman de Bill James , l’écrivain Britannique . Il revient , ici , à cet exercice dont il décortique l’intrigue de Stevenson, pour la ramener à son univers comme le fit aussi Jerry Lewis pour son Docteur Jerry et Mister Love (1963). A l’image de Jerry Lewis dont la comédie subvertissait les codes de la métamorphose et le stéréotypes du savant fou , pour en faire « un corrupteur et séducteur maléfique » . Serge Bozon en modifie encore un peu plus la donne…

En faisant de Monsieur Géquil ( José Gracia ) un mari au foyer modèle qui suscite l’admiration du chef d’établissement ( Romain Duris ) dans lequel travaille sa femme , Mme Géquil ( Isabelle Huppert ) qui se substituera en Mme Hyde en héroïne féminine , pendant du héros du récit de Stevenson . Cette dernière enseignante dans une classe de technologie en banlieue est la proie quotidienne de petits « monstres » qui lui mènent la vie dure, et qui , désorientée et peu soutenue par ses collègues est en train de perdre pied et prête à jeter l’éponge . Mais son obstination et l’amour de son mari, la maintiennent à flot . Et sans doute , aussi , cet élève handicapé , Malik ( Adda Senani) , qui vient au cours en déambulateur et subi un certain rejet de ses camarades , attirant sa sympathie malgré son caractère peu avenant . Un jour , lors d’une expérience dans son laboratoire où elle s’était réfugiée, une faute de manipulation la fait s’exposer à une décharge électrique violente, dont les conséquences vont interférer sur son comportement et avoir des « effets » inattendus sur son enseignement et ses élèves . Métamorphosée, elle saura attirer leur attention changeant radicalement sa méthode de cours, mettant en place ces exercices « pratiques » qu’elle refusait jusque là, et suscitera l’attention et l’intérêt des élèves par l’inter-activité pédagogique qu’elle installe. Bousculant tout à coup le reproche qui lui était fait , à la fois par ses collègues et par les délégués de la classe. Suscitant , enfin chez son auditoire du Lycée Arthur Rimbaud , le goût du savoir , la curiosité et l’intérêt pour des grands noms de la science , sur leurs travaux, et ce qu’ils ont apporté dans les domaines du savoir . Dès lors Madame Géquil devient le relais « lumineux » de ce savoir …

C’est la belle idée du film et c’est aussi celle qui ouvre, au delà de l’argument du fantastique et de la monstruosité, à l’enjeu le plus passionnant qui se retrouve au cœur du récit : celui de l’enseignement et de la pédagogie . La thématique se déplace ici sur l’apprentissage du savoir, et sur « comment on entre dans le savoir » , dont Serge Bozon explique, faisant référence à François Truffaut : « je voulais, comme dans L’Enfant Sauvage , traiter l’apprentissage de manière plus basique et universel. Dans L’Enfant Sauvage, il s’agit d’apprendre à parler, à lire et à écrire. Or Malik sait déjà faire tout ça, évidemment. Ce qui lui manque, c’est d’apprendre à réfléchir, c’est-à-dire savoir quand on peut mettre un « donc » entre deux phrases. Il lui manque la logique. C’est ce que Madame Géquil, va lui apprendre… » , dit-il . Comme en témoigne la belle séquence sur l’expérimentation en classe de « la cage de Faraday » destinée à comprendre les phénomènes de l’électromagnétisme dont le grand physicien et chimiste Britannique Michael Faraday et ses travaux permirent de faire avancer, les connaissances en la matière… C’est ce que Madame Géquil dans sa transformation réussira à faire en devenant Madame Hyde, via cet accident de laboratoire. Ce « glissement » qui la fait sortir de l’obscurité, celui dont la dimension fantastique va permettre d’enrichir le récit dans la réflexion sur l’éducation et la transmission du savoir. Cette transmission qui l’avait faite se confronter à un contexte qui la paralysait . Celui d’un système éducatif lui- même devant faire face à des enjeux de société et de rapports de classes dont les établissements de banlieue sont révélateurs. Issus de milieux défavorisés les élèves de ces lycées techniques qui les accueillent et leurs professeurs enseignants, sont confrontés à des difficultés pédagogiques de transmission et de réception du savoir, dans lesquelles elles sont engluées . L’une comme l’autre n’ayant pas ( ou plus… ) les moyens de briser les barrières. La lumière emblématique, via laquelle elle deviendra Madame Hyde lui permettra de se sortir de l’obscurité d’un enseignement qui n’avait aucun écho , et, faire par là même sortir de celle-ci les élèves dont la curiosité va se retrouver attisée. L’humiliation dont chacune des deux parties pouvait ressentir le sentiment de rejet et d’exclusion de la part de l’autre , n’ayant désormais plus cours . Mais la métamorphose positive de Madame Hyde , va se retrouver confrontée à la réalité dont la dimension fantastique remet – elle – en lumière les dangers, laissant désormais place à un autre mystère …

Enfin , la mise en scène tout aussi subtile qui accompagne le récit et ses personnages par sa stylisation , ses ruptures de ton, son mélange de réalisme et de fantasque, son humour et ses décalages qui font mouche !.
(Etienne Ballérini)
MADAME HYDE de Serge Bozon – 2018 – Durée : 1h 35-
Avec : Isabelle Huppert , Romain Duris , José Garcia , Adda Sénani , Guillaume Verdier, Patricia Barzyk , Pierre Léon , Belkacem Lalaoui , Roxane Arnal …
LIEN : Bande – Annonce du Film , Madame Hyde de Serge Bozon.
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