Sète , l’été, la plage , les retrouvailles et les rencontres sous la lumière et le soleil d’azur. La liberté de la jeunesse, le marivaudage, les corps magnifiés, l’ivresse du tourbillon de la vie . Le nouvel opus du cinéaste de La Vie d’Adèle. Un bel hymne à la vie . Un magnifique portrait de groupe .Un grand film…

C’est l’été 1994 et nous voici conviés à suivre les pas d’Amin ( Shaïn Boumedienne) descendu de la Capitale en vacances , pour retrouver ses amis d’enfance dans sa ville natale de Sète . On le découvre dans la première séquence se précipitant pour rendre visite à la belle Ophélie ( Ophélie Bau ) son amie préférée qu’il a hâte de retouver. Et qu’ il découvre (surpris , se cachant derrière la fenêtre) dans les bras de son cousin Tony ( Salim Kechiouche). Ophélie en situation d’infidélité puisque, promise à un jeune militaire en mission dans le golfe. La séquence offre, au travers du regard d’Amin, le double enjeu d’une situation de « voyeur » ( des ébats sexuels du couple ) et de témoin d’une situation dont , en spectateur, on découvre la dimension dramatique dans laquelle , le récit au long de ses séquences, va nous immerger nous invitant à suivre les prolongements et incidences . Ainsi posée , la perception du « trio » en nous offrant cette vision brute , où se révèle la sensualité d’Ophélie sous le charme séducteur de Tony ( l’aime -t-il vraiment , lui est-elle plus attachée qu’elle ne l’avoue à Amin ? ) , et les non-dits d’Amin ne révélant rien de ce qu’il a vu, parce que sans doute (? ) secrètement amoureux d’Ophélie . Dés lors , le « trio » que l’on retrouve ensuite dans le tourbillon des jeux de l’été sur la plage , allant de restaurants en boites de nuit avec leurs ami , portés le plaisir des rencontres et de la drague qui s’allie à celui d’une liberté que l’on goûte à satiété et sans retenue …

Amin , qui a abandonné ses études de médecine, écrit désormais des scénarios , s’adonne à la photographie et se passionne pour le cinéma .Comme fasciné par tout ce qui l’entoure il reste en retrait , mais contemple cette jeunesse insouciante éprise de liberté et de cette lumière ( évoquée en exergue , par les citations de l’évangile selon St Jean et du Coran ) , regarde des films dans sa chambre et écrit ses futurs scénarios. Mais , il se fond aussi dans ce bouillonnement de vie dans lequel il se retrouve impliqué sous la pression de ses amis . Il attire les filles mais , réservé, garde la distance . Déjà un regard extérieur et la distance du futur réalisateur qu’il aimerait être ? . Abdel Kéchiche , lui, déroule sa mise en scène cherchant à « capter la beauté de l’instant , la vérité » au cœur des rencontres et des groupes où s’inscrivent les singularités . Celle du séducteur Tony paradant sur la plage ( clin -d’oeil à Aldo Maccione!) ,ou , de Charlotte ( Alexia Chardard ) et de son amie Céline ( Lou Luttiau ) abordées sur la plage par Tony et Amin, dont les « flirts » prendront pour Charlotte la dimension amoureuse souffrante de l’attachement et de la déception, abandonnée par le séducteur Tony auquel elle a cru à ses promesses de grand amour ! Tandis que pour Céline, ce sera la découverte de la liberté des plaisirs masculins et féminins. Et leurs corps qui sont magnifiés ( notamment ceux des femmes dont le film fait l’éloge de la sensibilité, du caractère … ) qui , au fil de séquences du récit , inscriront leur singularité à l’image de la mère d’Amin ( Délinda Kéchiche) et son franc -parler de maîtresse de maison ayant l’oeil sur tout. On y retrouve aussi l’amie de la famille, Camélia ( Hafsia Herzi ) qui la rejoindra sur le tard , apportant son point de vue . On discute , on s’invective sur les relations qui se nouent et surtout sur l’avenir du couple Ophélie et de son promis jeune militaire. Le flot des mots, est le reflet aussi de ce bouillonnement de vie, des échanges et des plaisirs , où l’on s’invective , se toise. Le intrigues, alimentant le débat sur les infidélités,la liberté , sur le désir…
C’est celui-ci qui est au cœur du film adapté du roman de François Begaudeau, La Blessure, la vaie ( éditions Verticales / 2011) , dont la mise en scène scrutatrice cherche à pénétrer au cœur des scènes collectives ( danse ) et les approches multiples , pour en disséquer le moindre geste révélateur ou les indices qui se cachent derrière les postures et autres serments. Si Marivaux comme dans l’Esquive (2004 ) est au rende-vous , il y a aussi les références picturales assumées ( la peinture de Renoir ) des images exprimant la liberté des corps . Il y a celle aussi du cinéma et cette volonté affichée par le cinéaste de la rendre perceptible , via « le mouvement des personnages et du cadre, de capter la beauté de l’instant, il y a le miracle de la vie et du cinéma qui précisément permet de saisir cette vie et de l’offrir en partage » . Le cinéma d’Abdel Kechiche et cette narration libre qu’il décline , est l’héritière d’une certaine manière de celle de John Cassavetes ( Shadows , Faces ...) dans son approche spontanée de l’intimité des individus, de leur expression corporelle et de leurs mots …exprimant leurs désirs et leurs maux . Proche aussi de Maurice Pialat qui en revendiquait lui aussi le goût de l’indépendance et de l’expression corporelle . Chez Kéchiche, la caméra traque les corps pour être en osmose et s’envoler avec eux dans le tourbillon des désirs . A cet égard le travail de montage est époustouflant, comme celui de l’image et de la lumière ( Mario Graziaplena ) et du son ( Hugo Rossi ) . De la même que la direction des comédiens, tous non professionnels qui -hormis Hafsia Herzi et Salim Kéchiouche – sont devenus la « marque » de fabrique du cinéaste , de son style et de son approche . A cet égard Ophélie Bau y est superbe , qui rejoint les figures féminines ( Sara Forsteier , Hafsia Herzi Adéle Exhachopoulos… ) ayant illuminé le films du cinéaste. On retrouve aussi, cette volonté de faire écho à « l’état du monde » et de se remémorer d’ un certain « vivre ensemble « , par : « le désir de retrouver une forme d’allégresse perdue , une douceur de vivre qui a disparu (…) tous ces événements épouvantables qui ce sont produits ont tout bouleversé …nous sommes dans un monde qui enferme et qui étouffe .. ». A la tentation du repli et de « l’entre-nous » , il revendique l’énergie vitale des échanges , des rencontres et de la fête fusionnelle , à laquelle invite le final …

Abdel Kéchiche poursuit à l’évidence, ici , son chemin de cinéma et sa réflexion sur une société d’aujourd’hui qui se détraque à force d’affrontements. La violence qu’elle génère on la retrouve dans ces ruptures qu’il intègre au récit , à l’image de cette séquence d’un film muet où les soldats sont envoyés au combat, sous l’emprise d’un breuvage hilarant qui leur permet de faire face à l’horreur . La scène fait écho au personnage du militaire promis à Ophélie qui est sur le front de la guerre du golfe . En contre -point , il y a cette autre magnifique séquence hymne à la vie , de la naissance de deux agnelets dans la bergerie, photographiée par Amin . L’apprenti photographe et scénariste qui assiste , subjugué, à la mise à bas y trouvant la confirmation de son désir d’écriture et de cinéma , est une sorte de double du cinéaste . Celui que le comédien Abdel Kechiche rêvait de devenir lorsqu’il jouait par exemple dans Bezness ( 1992 ) de Nouri Bouzid, dénonçant les effets pervers du tourisme , où il était un gigolo-séducteur de touristes étrangères , ressemblant à celui de Tony. Amin , lui , superbement incarné par le comédien Shaïn Boumédine , sur lequel Abdellatif kéchiche ne tari pas d’éloges « il a une telle présence , une telle intensité … il me fait penser à Montgoméry Clift!» , exprime le désir d’une possible longue collaboration avec lui , un peu à l’image de celle de François Truffaut et Jean- pierre Léaud avec le personnage d’Antoine Doinel. Et de réaliser son rêve de « comédie humaine » qui lui permettrait « de donner vie à un personnage, puis d »imaginer tout ce qui pourrait lui arriver pendant des années » . Le Mektoub My Love ,Canto 2, étant déjà tourné qui devrait se retrouver bientôt sur les écrans, rien n’empêche le cinéaste devenu producteur de le réaliser – et on le lui souhaite – surtout, s’il continue à mettre autant d’énergie et d’inventivité dans son cinéma !. Ne manquez pas son beau et grand film , plein de vie et si attachant …
(Etienne Ballérini)
MEKTOUB MY LOVE , CANTO UNO d’Abdellatif Kéchiche – 2018- Durée : 2 h 50 –
AVEC : Shaïn Boumédine, Ophénie Bau, Salim Kéchiouche,Lou Luttiau, Alexia Chardard, Hafsia Herzi,Delinda Kechiche ,Kalel Saadi …
LIEN : Bande-Annonce du Film , Mektoub my love, Canto uno d’Abdellatif Kéchiche.
[…] Marchal (2004) à 21h05 36 Quai des Orfèvres d’Olivier Marchal (2014) à 22h50 Lundi 8 Mektoub my love : Canto Uno d’Abdelatif Kechiche (2017).Ophélie Baue et Shaïn Boumédine. Ciné + Club à 22h15 […]
[…] est érigée en vérité et la haine prétend être l’amour… OCS City à 22h45– Mektoub my Love : Canto Uno de Abdellatif Kechiche (2016 – 2h55).Sète, été 1994. Amin, apprenti scénariste installé à […]