Théâtre / Hôtel Feydeau

Sous ce titre se profile l’encontre d’un des plus grands de la mise en scène en France (si je le dis, c’est que c’est), et un maître de l’écriture théâtrale,  de l’art de la concision et de la précision, un styliste haut de gamme : Georges Feydeau.

En 1968 Georges Lavaudant rejoint la troupe du Théâtre Partisan, puis codirige le Centre Dramatique National  des Alpes  (Grenoble) à partir de 1976, et la Maison de la Culture de Grenoble  en 1981.
En 1986, il succède à Patrice Chéreau au Théâtre National Populaire à Villeurbanne  au côté de  Roger Planchon jusqu’en 1996. Il est ensuite nommé directeur du Théâtre de l’Odéon-Théâtre  de l’Europe en mars 1996. Son mandat est renouvelé à deux reprises, mais en décembre 2006, le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, crée la surprise en nommant Olivier Py pour lui succéder à compter de mars 2007.
Depuis 2007 il travaille avec des différents théâtres dont  La Maison de la Culture 92 Bobigny, Le Théâtre de la Ville (Paris), Théâtre des Bouffes du Nord,…  Il met en scène 12 opéras don t Tristan et  IsoldeL’enlèvement au Sérail, Roméo et Juliette, Prova d’Orchestra d’après le film de Fellini, Rodrigue et Chimène de Debussy….
Un souvenir : en décembre 1992, il présente à Nice Terra Incognita que j’avais vu en juillet au festival d’Avignon . Je l’interviewe et lui confesse que je n’en ai pas dormi la nuit précédente, l’angoisse de la première question. Il me répond : « vous verrez, tout se passera bien, comme chez le dentiste »…
Je ne vous ferai pas l’injure de vous parler de Feydeau (1862-1921). Sachez qu’il puise son inspiration de sa vie de noctambule triste, notamment chez Maxim’s, au cours de laquelle il perd beaucoup d’argent au jeu, prend de la cocaïne dans l’espoir de stimuler ses facultés créatrices et trompe son épouse avec des femmes et peut-être des hommes…
Feydeau est un maître dans la composition de ce qu’on appelle le « vaudeville »,  comédie sans intentions psychologiques ni morales, fondée sur un comique de situations. À partir de la fin du xixe siècle, le vaudeville devient un genre théâtral caractérisé par une action pleine de rebondissements, souvent grivoise.
L’argument le plus caricatural du vaudeville est alors l’adultère et les « portes qui claquent » : les trois personnages essentiels que sont le mari, la femme et l’amant se succèdent rapidement sur scène, se croisent sans se voir.
Lavaudant, lui,  a composé son Hôtel Feydau d’après Feu la mère de Madame, On purge bébé !,
Léonie est en avance, Mais n’te promène donc pas toute nue !, Cent millions qui tombent, pièces en un acte. Feydeau est d’une trentaine de pièces de théâtre dont sept inédites et de vingt deux monologues.
Je disais » Il puise son inspiration de sa vie de noctambule triste, notamment chez Maxim’s ». Cela me fait pense indubitablement à Henri de Toulouse Lautrec, qui lui trouvait son inspiration au Moulin Rouge, au Moulin  de la Galette, au Salon des 3 moulins… Au demeurant, le regard triste de  Monsieur Boileau au café (1893), il me semble voir Feydau chez Maxim’s….
Mais, de la joie, que diable ! D’abord, le décor.  Il a des allures de paradis blanc : un hall d’hôtel, seulement peuplé de chaises colorées, avec deux portes qui claquent et deux cheminées côté cour et jardin. De courts intermèdes chorégraphiés, façon revue, lient les scènes, jusqu’au bouquet final, où l’action et les personnages se confondent.
« Hôtel Feydeau » est rythmé par des intermèdes chorégraphiés. Chaque extrait des différentes pièces se fond, se métamorphose en un corps de ballet. Celui de serviteurs stylés et facétieux prenant, avec l’aide de leurs plumeaux, le rôle de leurs maîtres. Et qu’ils soient maîtres ou valets, tous sont mû par une précision d’horloge suisse de la direction d’acteur et une rythmique d’acier.
Mais il ne faudrait pas voir Hôtel Feydeau comme une succession de pièces courtes. Lavaudant déconstruit pour mieux reconstruire : un pan d’un texte est suivi par un fragment d’une autre, unis par l’un des intermèdes  dont je parlais plus haut. Pas les mêmes costumes, pas les mêmes acteurs, pas la même situation, mais pourtant unis comme las doigts de la main par cette « clé » dont Lavaudant saisit l’essence, comme s’il avait créé via l’alchimie et l’imaginaire un nouvel  opus de Feydau.
Et pour cela il n’a pas besoin de pervertir ou de noircir les caractères –genre je montre comment le bourgeois du XIXème siècle est un impérialiste – il suffit de voir les différentes musiques que nous envoie le texte. C’est con, hein ?

Mais n’te promene pas toute nue

Ainsi, quand Clarisse, dans Mais n’te promène donc pas toute nue se voit reprocher par son mari de se montrer en chemise devant son fils : Tandis que mon fils, quoi ? C’est ma chair ! C’est mon sang ! Eh ben !… que la chair de ma chair voie ma chair, il n’y rien d’inconvenant ! (Se levant.) A part les préjugés ! Dit sur un rythme rapide, cela déclenche les rires, c’est normal, c’est –apparemment – fait pour ça ; mais qu’on le lise sur un tempo plus lent : apparaît quelque chose d’autre…
La légèreté, l’élégance de la forme du spectacle se lisent non seulement dans la rythmique qu’impulsent aussi bien valets et maitres, mais par ce que j’appellerai les « pas chorégraphique» qui en sont leur traduction organique.
Contrairement à ce que j’ai pu lire, Lavaudant ne « bidouille » pas ces courtes pièces, tel un mécano. (Ou alors celui de la Générale) Il  leur fait exprimer leur synthèse, il crée à partir de l’existant. Les acteurs sont d’une justesse à tomber, et, comment l’exprimer, leur justesse se lit même dans leurs costumes. Si dans  les costumes des serviteurs et leurs attitudes se lit le XIXème siècle, la fantaisie de la vêture des maîtres, leur allure, leur « débit parolier » nous font approximer le surréalisme qui ne saurait tarder.
Un hôtel est un établissement qui offre un service d’hébergement : ici, c’est le système Feydeau qui est hébergé.
Du 14 au 18 janvier, Irina Brook nous a offert une nouvelle pépite.

Jacques Barbarin

Hôtel feydeau adaptation, mise en scène & lumière Georges Lavaudant

avec Astrid Bas, Olivier Cruveiller, Benoit Hamon, Marie Kauffmann, Manuel Le Lièvre, André Marcon, Irina Solano, Marie Vialle dramaturgie Daniel Loayza décor et costumes Jean-Pierre Vergier  Prochaine représentation :
du 27 février au 2er mars Scène nationale Annecy  04 50 33 44 11

Crédit photos
Feue la mère de madame : ArtComPresse
Mais n’te promène pas toute nue : Thierry Depagne

 

 

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