Cinéma / JUSQU’A LA GARDE de Xavier Legrand.

La séparation d’un couple , La violence conjugale en question, et l’enjeu de la décision de justice sur la garde de l’enfant qu’on se dispute . Une plongée dans le quotidien d’un enfer de la peur sous le scalpel d’une mise en scène magistrale , incisive, toute en tensions et en suspense. Lion d’Argent au Festival de Venise 2017.

D’emblée , la première séquence nous met en présence, face à la juge du couple Besson en
question : Miriam ( Léa Druker ) et Antoine ( Denis ménochet ) . Tout ce qui y est dit devant la juge des affaires familiales au cours de l’audience dont la durée ( 15 minutes ) respecte quasiment la durée moyenne (20 minutes ) de ces audiences durant lesquelles tout se décide. Un réalisme quasi documentaire comme choix essentiel pour le cinéaste – qui s’est beaucoup documenté en amont sur le sujet – lui permettant de mettre en place des éléments d’une complexité, afin d’être « le plus proche de la  réalité ». Celle au cours de laquelle tout va se décider sur l’avenir des enfants et du couple . Une option qui lui permet aussi de mettre d’emblée le spectateur témoin du contexte de son déroulement. A la fois sur l’exposition des faits et des preuves apportées par les avocats des deux parties , et des éventuels éclaircissements complémentaires demandés par la juge sur certains points au couple, cherchant à comprendre s’il y a pu y avoir des éléments de pression sur l’enfant qui ont pu cristalliser les conflits . Aspect important tenant compte d’une réalité pouvant amener à prendre des décisions, erronées « Le juge traite une vingtaine de dossiers par jour. Il n’a que quelques minutes pour évaluer la situation et tenter de faire respecter le droit face à des gens fragiles qui jouent souvent un rôle, face à des avocats plus ou moins habiles. J’ai tenu à rendre la tension et la charge émotionnelle de ce moment », souligne Xavier Legrand. Sachant, en l’espèce que le point important consiste selon le droit, à décider en fonction du « lien  familial » nécessaire à préserver : «  la justice estime que si la violence est dirigée vers le parent et non l’enfant , il n’y a pas de raison de rompre le lien », est-il précisé …

Le couple  Besson ( Léa Druker et Denis Ménochet ) Face à la juge ( Crédit photo : Haut et Court distribution)

Et ici c’est justement ce double enjeu du combat qui se joue dont le cinéaste traduit magnifiquement les tensions qui se dessinent durant l’audience où, la juge du dossier va devoir jouer le rôle d’arbitre auquel elle se prépare , dans la belle scène précédant la rencontre du couple et des avocats. Puis, faisant face au cours de l’audience , aux tensions palpables dues au témoignage de l’enfant Julien (Thomas Gioria ) accusant son père , de violences ( le visage fermé de Miriam , Antoine refusant ces allégations et défendant : le droit de voir ses enfants… l’avocate de ce dernier qui s’insurge sur le témoignage ( forcé ? , objet de pressions…) de l’enfant . L’atmosphère de l’entretien est lourde , amplifiée par la sêcheresse des plans et des cadrages scrutant les moindres attitudes et gestes de chacun dans ce huis-clos. Tout à coup la confusion et le doute s’installent ( qui dit la vérité ?, qui ment?) , le spectateur perturbé à son tour prend la violence du conflit , en plein visage. Dans ce contexte si tendu où l’avenir de Julien 11 ans est en jeu , est ce qu’il faudrait éviter :«  la rupture du lien avec les deux parents » .C’est dans ce sens , la garde partagée , que la décision de la juge va intervenir, comme enjeu du divorce dont le cinéaste va construire dans le prolongement de la décision de justice, le vécu d’un récit . Lui offrant la dimension emblématique qui touche et concerne des milliers de couples amenés à traverser les conséquences de l’éclatement, et les déchirements et des violences qui s’y révèlent , dont Xavier Legrand nous donne à voir et comprendre , les tensions insupportables qu’elle peuvent générer au long des séquences d’une force et d’une acuité incroyable . Ajoutant au regard réaliste la dimension du suspense , conduisant dès lors son récit dans les méandres de la violence psychologique et ses effets, subis ou provoqués.

Antoine ( Denis Ménochet ) et son fils Julien ( Thomas Gioria) – Crédit Photo: Haut et Court Distribution –

Cette « grande insécurité » évoquée par l’avocate de la mère est dès lors auscultée sous tous les angles, avec la « peur »  qui s’installe , par la violences qui s’y prolonge consécutive à la décision rendue. Seule Joséphine ( Mathilde Auneveux ) 18 ans la fille du couple , tout juste majeure et libre de son choix bien décidée de s’y soustraire en coupant les  ponts, et se réfugiant chez son petit ami, Samuel ( Mathieu Saikaly) . A cet égard la séquence de la fête de son anniversaire au cours de laquelle les événements ses précipitent , est significative par les habiles « indices » suggérés d’une fugue préparée. De son côté la mère Miriam de plus en plus tétanisée par la présente menace de son ex , jouant sur son droit de visite et de son emprise sur Julien , pour faire pression , et s’immiscer dans sa vie privée. La peur de voir son fils manipulé et le réflexe de protection maternel qui la tient debout pour éviter que les choses dégénèrent . Mais le pourra-t-elle . Le malaise devient de plus en plus palpable , insoutenable pour le spectateur rivé à l’écran par ce que Xavier Legrand dit et suggère de l’indéfinissable  qui s’y joue . Panique et angoisse emplissant chaque plan et l’espace investi, dans lequel les rapports se concrétisent dans une sorte de crescendo d’angoisse . A L’image de ces séquences de Julien dans la voiture de son père subissant la violence des mots cherchant à lui soutirer des informations sur sa mère . L’effroi dans les yeux et sur le visage de julien ( Thomas Gioria est prodigieux !) pétrifié de peur devenu l’otage de son père pour atteindre sa mère , en disent long !. De la même manière que cette autre séquence glaçante où Antoine décidé à en découdre se présente dans le parking de l’entrée de la salle où se fête l’anniversaire de Joséphine , pour faire scandale ..

Miriam ( Léa Druker ) et Antoine ( Denis Ménochet – Crédit Photo : Haut et Court Distribution –

La force de ces moments de tension qui minent le quotidien , est d’autant plus grande que Xavier Legrand a le mérite d’ouvrir les portes d’un autre regard , sur le personnage de cette « brute » de père dont le physique ne fait qu’amplifier la terreur qu’il peut inspirer. Celui d’une humanité qui a fini par se briser dans les excès de rage et de colère incontrôlée , dont la séquence du repas et de la dispute chez ses parents , révèlent les blessures anciennes d’un enfance sans doute douloureuse. Une douleur amplifié par le naufrage de son couple et d’un amour , jadis sincère ( la superbe scène de l’étreinte avec sa femme Miriam ) dont il n’a pas su préserver par sa violence et ses pulsions jalouses , l’équilibre nécessaire. Le plongeant encore un peu plus dans la détresse et l’impossibilité de maîtriser ses excès . Ceux qui l’ont conduit a être l’objet du rejet de ses parents , de sa femme et de ses enfants. Il a fini par tout perdre à force de vouloir tout résoudre par la ruse , la violence et la force . Le pire et c’est ce qui est pathétique , c’est qu’il en a conscience mais qu’il ne peut refréner ses pulsions.          «  C’est un rôle dur où il doit aborder de front la violence, la manipulation, la noirceur sans qu’on perde son personnage, sans qu’on le rejette et qu’on refuse de le comprendre. Il doit se glisser dans la peau d’un homme malheureux, en butte à lui-même, qui essaye de se faire aimer, mais vit dans le déni. Denis Ménochet sert le rôle à merveille. Il porte en lui cet alliage de virilité robuste et de blessure enfantine qu’on retrouve souvent chez les hommes qui violentent leur femme », explique Xavier Legrand. C’est le beau travail avec les comédiens magnifiquement dirigés qui fait entre autres , le prix du film …

On y ajoutera au delà de ce que l’on a souligne ci-dessus , le soin apporté aux détails sonores destinés à accompagner la dramaturgie des différentes perceptions, humeurs , ambiances et tensions des personnages. De la même manière que la précision sur l’écriture des dialogues , ou encore sur les choix esthétiques , dont les influences  de cinéphile   qui l’ont guidé , l’ont conduit à trouver sa propre dynamique dramatique : réalisme ( à la Pialat ) et  genre               ( suspense ) , pour explorer les thèmes ( le droit parental et la garde des enfants , la manipulation des enfants , la violence conjugale et la peur…) afin de  leur donner une dimension universelle et politique . Le premier  long métrage du comédien qui a fait ses preuves sur les planches et nous offre , après des courts métrages remarqués , un premier  long  essai derrière la caméra de très grande qualité. On vous invite à la découvrir , c’est ce cinéma  là , que l’on a envie de défendre …

(Etienne Ballérini)

JUSQU’A LA GARDE de Xaveir Legrand. Durée : 1h35.
Avec :  Denis ménochant , Léa Druker, Thomas Gioria, Mathilde Auneveux, Mathias Saikaly, Florence Janas, Saadia Bentaïeb , Emilie Incerti-Formentini , Sophie Pincemaille…

LIEN : Bande-Annonce du film : Jusqu’à la Garde de Xavier Legrand..

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