Il a fui le Centrafrique et la guerre civile , exilé en France avec ses enfants , il y attend l’obtention du droit d’Asile . Avec délicatesse, le cinéaste Tchadien décrit le long chemin de l’attente d’une reconnaissance .Et nous interpelle sur le sort des ces milliers de réfugiés en quête de dignité et de possibilité de se reconstruire, envers lesquels les frontières de l’Europe se ferment …
C’est une situation de sursis que vit douloureusement Abbas ( Eriq Ebouané ) professeur de Français de son pays, qui a été contraint de le fuir en pleine guerre civile. Un parcours dramatique au cours duquel sa femme a perdu la vie. Après un long chemin le voilà avec ses jeunes enfants , sa fille et son fils , arrivés dans la capitale Française en statut de réfugiés demandeurs d’Asile . En attente de la décision qui va sceller son avenir et celui de des enfants, dans la banlieue Parisienne , il s’est démené pour trouver logement et un petit boulot sur un marché et aussi scolariser ses enfants. C’est en quelque sorte le chemin d’une « intégration » dans le pays d’accueil et d ‘un possible avenir dans celui-ci qu’il est en train de tenter de mettre en place et s’y préparer , en bravant les difficultés . Sa détermination est d’autant plus forte , qu’il lui faut « chasser » les souvenirs qui hantent ses nuits de cauchemars . Mais cette douleur il la garde pour lui , afin de préserver ses enfants. Cette longue attente , au delà de la violence qu’elle représente , le cinéaste en fait le « coeur » de son récit qui lui permet d’interpeller d’emblée sur ses conséquences néfastes :« A force d’imposer un long temps d’inertie et d’implantation, le système devient une fabrique de sans-papiers. C’est l’une des grandes questions : comment traiter les demandes plus rapidement, pour qu’en cas de réponse négative, les réfugiés puissent, éventuellement, tenter leur chance dans un autre pays ? » …

C’est ce « long temps » dont Abbas et ses enfants vont affronter et traverser les épreuves au cours desquelles s’inscrivent les rencontres , les élans de solidarité – mais aussi- la violence du rejet et du racisme. A cet égard le choix du cinéaste est passionnant dans la manière d’aborder le traitement de ces sujets par la distanciation qu’il installe , montrant les effets des décisions et situations , et les « chocs » émotionnels qu’elles suscitent . Cherchant à traduire cette perception intime d’un « ressenti » qu’elles provoquent . C’est la belle idée qui fait la force de son récit. Et surtout des thèmes abordés auxquels il offre , par ce biais un tout autre éclairage . Ainsi , concernant par les rapports avec l’administration , le cinéaste préfère en montrer l’implacable des décisions , via les courriers officiels reçus par Abbas , plutôt que d’en traiter en amont , les possibles conflits engendrés avec celle-ci. Les démarches et les tracas administratifs d’Abbas sont évacués , seules les conséquences dans ce qu’elles révèlent comptent :« Je voulais capter ce processus d’effacement d’un individu de l’espace public, sa désintégration en cours … » , explique Mahamat -Saleh Haroun . C’est cette « situation » Kafkaïenne dont le cinéaste souligne, les conséquences. De la même manière qu’il montre son frère Etienne ( Bibi Tanga ) , enseignant de philosophie au pays lui aussi exilé vivant désormais à la rue dans la capitale, et qui fragilisé va tenter dans un geste désespéré de s’immoler par le feu dans la Cour Nationale du droit d’Asile. Au delà du fait divers qui s’est réellement produit à l’Automne 2014 , le cinéaste par ces comportements de soumission , d’impuissance et de révolte désespérée , en décrit l’insupportable violence: l’espoir évanoui de ces hommes et femmes , renvoyés une nouvelle fois à l’errance , à l’oubli, à l’indifférence…et leur dignité bafouée !

La détresse que distillent ces séquences , et d ‘autres, qui se font l’écho du racisme ( le cabane de fortune d’Etienne, incendiée … ou les « tags » sur les murs « réfugiés dehors ! »…). A la prise de conscience de la déchéance et de l’irrémédiable auquel elle peut conduire ceux qui y sont exposés , le cinéaste y répond et y fait écho , par d’autres aspects et comportements révélateurs , lui permettant d’interpeller le spectateur sur d’autres problématiques: politiques et culturelles . Comme par exemple cette dimension qui s’inscrit au fil des séquences dans les rapports entre Abbas et ses enfants où l’éducation et la transmission trouvent toute leur place « dans l’histoire des réfugiés , la première génération fait l’histoire , mais c’est souvent la seconde génération qui la raconte » dit-il. Une dimension universelle que prolonge encore la relation entre Ablas et Carole ( Sandrine Bonnaire ) , fille d’anciens réfugies Polonais dont elle porte « la mémoire de l’exil ». Celle dont le souvenir la fait se rapprocher , d’Abbas afin de l’aider à traverser l’épreuve. Il y aussi belle et la solidaire présence de Martine ( Léonie Simaga) la « compagne protectrice » d’Etienne . Et il n’oublie pas de pointer la complexité et les conséquences qui peuvent découler de ces comportements solidaires : « la loi prévoit de punir ceux qui aident les sans-papiers, on l’a vu avec l’exemple de cet agriculteur jugé en début d’année pour avoir fait traverser la frontière italienne à des migrants. Ce sont souvent des directives préfectorales : durcir la répression du « délit de solidarité », ou pas. Cela dépend des préfectures, les unes sont plus clémentes, les autres pas, on ne sait pas pourquoi ! » , relève le cinéaste . Le constat est là , et Abbas conscient de mettre en danger Carole va décider de s’éclipser et reprendre la route, des sans papiers …

La lettre d’adieu d’Abbas disant l’espoir « tant que nous continueront à marcher une lumière d’espoir brillera pour nous », qui va poursuivre son « errance » . Et la magnifique séquence finale où Carole bouleversée qui part désespérément à sa recherche, se retrouve dans le no man’s land de la « jungle de Calais » démantelée !. Puis encore, cette évocation en forme d’avertissement ( spectre d’un conflit ? …) , sur les conséquences que pourraient avoir la fermeture des frontières Européennes. Autour de l’exemple d’Abbas que partagent tant de migrants fuyant conflits et autres dangers, Mahamat- Saleh Haroun, construit un récit émouvant qui interpelle nos consciences … et pose la question de l’urgence des réponses politiques à trouver dans le respect de la dignité, à laquelle ils ont droit.
(Etienne Ballérini )
UNE SAISON EN FRANCE de Mahamat -Saleh Haroun – 2018- Durée : 1h 37 –
Avec : Eric Ebouaney , Sandrine Bonnaire , Bibi Tanga, Aalayna Lys, Ibrahim Burama Darboe, Léonie Simaga, Régine Conas …
LIEN : Bande -Annonce du Film : Une Saison en France de Mahmat -Saleh Haroun .