Théâtre / Henry V au TNN

Je ne vais pas être poli mais bast ! Que les yeux chastes se ferment 2 secondes. Bon. Bref, « sur le cul » avec ce Henry V vu au TNN les 24 et 25 janvier. Je vais vous dire mieux : la nuit dernière, j’ai rêvé, avec cette déformation qu’engendrent les rêves, de la bataille d’Azincourt.
Tiens, il y a eu une bataille, à Azincourt ? C’es comme dans Astérix :
les gaulois se souviennent de Gergovie, mais alors, Alésia…

Bon. Un petit rafraîchissement ne sera pas vain. Henry V est une pièce de théâtre de Shakespeare écrite aux alentours de1599. La pièce raconte la vie du roi Henry V (1387-1422) et en particulier des événements qui précèdent et qui suivent la  bataille d’Azincourt  (25 octobre 1415) Cette pièce est la dernière d’une tétralogie, précédée de Richard III et Henry IV. Pour ceux qui ont vu la représentation et dont les chastes oreilles sont offensées par l’usage de mots un peu « lestes », certaines parties de la pièce étaient écrites en ancien français, avec des calembours anglo-français, comme gown (con), foot (foutre)…
La scène est tantôt en Angleterre, tantôt en France.
LE CHŒUR. — Oh ! Que n’ai-je une muse de flamme qui s’élève — jusqu’au ciel le plus radieux de l’invention ! — Un royaume pour théâtre, des princes pour acteurs, — et des monarques pour spectateurs de cette scène transcendante ! … Mais pardonnez, gentils auditeurs, — au plat et impuissant esprit qui a osé — sur cet indigne tréteau produire — un si grand sujet ! Ce trou à coqs peut-il contenir — les vastes champs de la France ? Pouvons-nous entasser dans ce cercle de bois tous les casques — qui épouvantaient l’air à Azincourt ?

« La scène est tantôt en Angleterre, tantôt en France… » Le « la » est donné. Le « cercle de bois » – le Théâtre du Globe était de forme circulaire-  enchâsse les deux lieux du récit. Et, that is the question, « Pouvons-nous entasser dans ce cercle de bois tous les casques — qui épouvantaient l’air à Azincourt ? » Comment l’espace scénique peut-il rendre compte « de tous les casques », c’est-à-dire de la narration ? Comment conter ? Comment compter (ça, c’est vers la fin) ? Bref, comment transcender ? Par l’enchâssement. Comme le construit le texte de Shakespeare. Comme le construit la mise en scène de Ben Horslen et John Risebero.
Le premier enchâssement à la vue du spectateur, c’est la scénographie : deux assemblements de caisses en bois, l’un à cour l’autre à jardin, sur l’une, une croix rouge. Double métonymie : la première du lieu, nous sommes dans une infirmerie. La seconde, les lieux, plus exactement  les espaces : à cour, l’espace de France, à jardin celui d’Angleterre, que va renforcer la présence, un peu plus tard, de deux drapeaux. Voilà le premier enchâssement.
Elément important de la scéno : la tenue, le vêtement. Anglois et françois ont des uniformes de la guerre 14-18. « Hein ? Mais qu’est-ce que c’est ce grand n’importe quoi ? », vous entends je tempêter. Désolé. Anachronisme peut-être, mais un habit « réaliste » ne dit rien de plus que sa réalité. Ici, la référence vestimentaire à 14-18 renvoie à l’une des guerres les plus sacrificielles à l’instar de l’hécatombe azincourtienne. Le soldat français de 1914 enfile la capote et le calot derrière lesquels se cachent l’armure et le  haubert du chevalier médiéval.
On part Dieu sait pour où Ca tient du mauvais rêve/ On glissera le long de la ligne de feu /Quelque part ça commence à n’être plus du jeu/ Les bonshommes là-bas attendent la relève/…/ Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit/ Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places/ Déjà le souvenir de vos amours s’efface/ Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri (La guerre et ce qui s’en suivit – Le roman Inachevé – Louis Aragon) Peu importent les guerres, l’horreur est la même.
Au début de ce Henry V un soldat anglais, blessé, est transporté à l’infirmerie par un soldat français, lui-même blessé. Une fois l’anglais soigné, il offre un livre au français. Le livre est en anglais, le soldat français le tend à l’infirmière afin qu’elle le lui explique. Il s’agit d’Henry V (The Chronicle History of Henry the Fifth) qui s’achève par la défaite –ou la victoire- d’Azincourt. Outré, le français se révolte. Un peu comme si Macron prêtait à Theresa May la tapisserie de Bayeux. Enfin cette bataille a fait naître dans la population française une forme de xénophobie  à l’égard des Anglais, sur laquelle s’est greffé un premier embryon de patriotisme qui s’est amplifié au cours de la guerre de cent ans. Ostracisme dont a « profité » la pièce de Shakespeare en France. Et voilà un nouvel enchâssement : des alliés de la guerre de 14 aux ennemis de 1415…
Mais  Henry V ne peut se réduire à n’être perçu comme un morceau de patriotisme. Comme toutes les œuvres du natif de Strafford –upon-Avon, elle met à nu ce que  Jan Kott, dans son essai « Shakespeare notre contemporain », appelle le grand mécanisme. Il précise : « … la lutte pour le pouvoir est dépouillée de toute mythologie… Elle est une lutte pour le pouvoir entre des hommes vivants, qui ont un nom, un titre et des forces. » Sauf que, ici, il s’agit de la lutte entre le roi d’Angleterre, Henry V, et le roi de France, Charles VII. Les relations complexes entre les deux nations n’ont guère de secrets pour Shakespeare qui, une fois de plus, révèle son génie à sonder l’âme humaine.
La mise en scène est alerte, elle tient et conduit d’une main de fer la figuration de cet embrouillamini qu’a dû être le déroulé de la bataille d’Azincourt tant et si bien que les belligérants ne purent savoir quel camp avait gagné. Et peu importe les uniformes tant nous sommes pris par l’émotion, par l’intensité. Elle est complété par des textes additionnels, jamais en redondance, jamais en sur-explication, mais toujours en humour, au fond très « british ».

La pièce se termine par le mariage entre Catherine de France et Henry V, la mise en scène, « confondant » allégrement les deux temporalités – celle de l’hôpital de 1914 est celle de 1415, nous met en festoiement. Mais la mise en scène conclut par l’arrivée d’un porteur de missive, après les festivités, les deux camps se reforment … et le grand mécanisme peut reprendre… ad vitam aeternam ? La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens (« De la guerre », Von Clausewitz)

Jacques Barbarin

Henry V William Shakespeare textes additionnels AE Housman
mise en scène Ben Horslen, John Risebero

Avec Floriane Andersen, Louis Bernard, Rhys Bevan, Maurice Byrne, Taite-Elliot Drew, Christophe Hesper, Stephen Lloyd, James Murfitt, Charles Neville, Dean Riley, Louise Templeton, Geoffrey Towers décor John Risebero musique/piano Christopher Peake lumière Tom Boucher production Antic Disposition.
Un grand moment au TNN. Comme d’hab, quoi. Au fait, Dame Irina, quand pourrons-nous entendre:
Now is the winter of our discontent
Made glorious summer by this sun of York…

 

 

Crédits Photos : Scott Rylander

 

 

 

 

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