Cinéma / 3 BILLBOARDS, les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh.

Le viol et l’assassinat de sa fille non résolu, une mère part en guerre contre la police et l’indifférence. Le Troisième long métrage du cinéaste révélé par Bons baisers Bruges  , est d’une audace et d’une modernité décapante bousculant genres et clichés, par l’humour et la dérision. Surprenant, imprévisible et grave. Il invite à la réflexion, fustigeant les idées reçues ,et brosse un portrait saisissant de l’Amérique profonde …

Elle est en colère et furieuse Mildred ( Frances McDormand) , sa fille sauvagement assassinée voici un an, et l’enquête qui piétine !. Au volant de sa voiture le long de la route qui mène à la petite ville d’Ebbing dans le Missouri sur les bords de laquelle trônent trois immenses panneaux publicitaires , l’idée lui vient de marquer le coup et les faire recouvrir d’affiches dénonçant l’incurie de l’enquête menée par la police de la ville « pour faire réfléchir… » . Elle se rend chez le publicitaire et lui demande les conditions financières pour les louer pour un an, ainsi que les éléments du texte à employer pour éviter, la diffamation. Affaire conclue et panneau installés . La petite ville secouée se divise , et la police pointée   est sur les dents  furieuse, accusée par Mildred  : «  d‘être trop occupée à s’enfiler des beignets toute la journée, de torturer les noirs et d’arrêter les gosses parce qu’ils font du skate sur les parkings…». Le dramaturge Anglo- Irlandais célébré pour son travail théâtral ( admirateur de Shakespeare , Pinter , ou  Mamet   ) ,  et grand amateur de cinéma    ( Hitchcock , Welles, Peckinpah , Kurosawa , Kubrick, Nicholas Roeg , Powell et Pressburger  …sont ses auteurs favoris ) qui s’est lancé dans l’aventure -cinéma, avec succès et le déjà décapant , Bons baisers de Bruges ( 2008 ). Pour son nouveau film il s’est inspiré de l’un de ses premiers voyages aux Etats-Unis il y a vingt ans , où lors d’un parcours en car menant à une petite ville de province il a vu et a été intrigué par des panneaux publicitaires portant un message de colère, concernant un crime resté impuni. Le souvenir de cette « image » lui est revenu et fait « naître le personnage de Mildred », et l’intrigue située dans l’Amérique d’aujourd’hui…

Milderd ( France McDormand ) et les panneaux de « sa » colère..( Crédit Photo: Twentieth Century Fox France )

Dés lors son «  appétit » de l’écriture et surtout son souci des détails, comme sa volonté de développer par le biais de ses propres scénarios, dont il peut peaufiner l’écriture parfois pendant plusieurs années, afin d’exprimer au mieux sa vision du monde. Voilà un des éléments important qui fait l’originalité de son écriture « percutante » des dialogues, héritée de son travail d’écriture théâtrale, et sa volonté affichée en tant que metteur en scène de cinéma de trouver « l’osmose » nécessaire du dialogue et de l’image , afin d’ éviter que l’un ne supplante l’autre et rende le film bancal. La précision de ce travail dans son nouveau film Les panneaux de la vengeance, est magistrale dans le « timing » qu’il lui offre . C’est même pourrait-on dire le cœur de celui-ci , dans la mesure où tout le récit repose sur cette sorte de jeu de « rebond » de l’inattendu , qui s’y inscrit . Provoquant la surprise , au cœur d’une logique implacable de l’intrigue qui va même jusqu’à rendre parfois complice le spectateur … ou à contrario , le dérouter . Comme le seront ses personnages plongés dans des situations surprenantes et inattendues. Dédramatisant celles -ci ou les entraînant dans  ces espaces inexplorés dans lesquels , un certain cinéma Américain «  formaté » n’ose pas amener les personnages, trop soucieux de ménager un public, qu’il préfère ne pas désorienter , et le laisser s’endormir dans le train- train,des solutions dramatiques chères au cinéma hollywoodiens. A contrario , le cinéma de Martin McDonagh , les bouscule et préfère provoquer , susciter la surprise et le malaise, voulant voir le spectateur s’interroger sur le bien fondé de tel au tel comportement , et nous donner à voir des personnages loin d’être lisses, qui se révèlent au bout,  différents de l’image que nous avions d’eux au départ …

Le chef de Police ( Woody Harrelson) et le policier Jason Dickson ( Sam Rockwell ) – Crédit Photo Twentieth Century Fox France –

Voilà donc un récit , une intrigue et une mise en scène dont l’art de la déstabilisation est la matière première de la dramaturgie , qui oblige le spectateur à se remettre en question lui-même par rapport à ses propres opinions toutes faites, que tel ou tel comportement d’un personnage peut susciter . Et ici, c’est dans cette optique que les trois personnages principaux sont proposés , avec leurs déterminations et leurs failles qui les rendent à la fois complexes et font mesurer en même temps leur humanité , insoupçonnée . C’est la cas par exemple du chef de la police locale , Willoughby ( Woody Harrelson ) premier visé par les « panneaux » de Mildred , ou encore de Dixon ( Sam Rockwell ) le policier raciste , et aussi de Mildred ( Frances McDormand ) elle- même . Tous les trois « auscultés » par le regard et la mise en scène de Martin McDonagh , refusant de juger le monde et les individus en termes simpliste, du bien et du mal . Mais de les voir comme des individus engagés dans une démarche liée à leur métier ( flics) ou situation ( mère éplorée demandant justice ) ,amenés a des actions ( comme Mildred) ou a des réactions , obligeant le spectateur à dépasser ce manichéisme ( bien / mal) des clichés et « cases » dans lesquelles, le cinéma Hollywoodien à l’habitude de les enfermer . Au contraire , Martin MacDonagh veut donner à voir et comprendre leur ambiguïtés et les nuances révélatrices , de l’humanité qui les habite …

le Face à face entre Mildred ( Frances McDormand) et le policier violent ( Sam Rockwell) – Crédit Photo :Twentieth Century Fox France –

Désamorcer le regard et les clichés oblige à l’honnêteté portée par celui-ci , qui amène dès lors le cinéaste à une dénonciation d’autant plus efficace, qu’elle condamne  avec force les comportements sans faire d’amalgame . Ici par exemple , si les comportements violents et racistes de la police sont dénoncés sans ambiguïté , il fera dire aussi à l’un d’entr’eux:       «  tous les policiers ne comportent pas ainsi » . Et d’ailleurs, le cheminement du magnifique personnage de Jason  Dixon au long du récit , en est l’exemple parfait . De la même manière que le récit offre au personnage de Mildred aveuglée par la souffrance et la douleur, sa dimension humaine habitée par les  élans , de l’aveuglement . Car , il n’est pas vrai ( la séquence de l’Adn de l’individu sur lequel l’enquête rebondira …) en effet , que tous les meurtres et enquêtes puissent , malgré les progrès, être résolus !. La lenteur et l’inefficacité de  l’enquête de l’assassinat de sa  fille , s’explique . A la dimension de l’aveuglement de Mildred , Martin McDonagh,  lui offre une autre ,  doublement passionnante à laquelle, l’interprétation magistrale de cette dernière offre encore plus de poids. La montrant en        «  guerrière » ( le bandeau qu’elle porte sur son front évoque le personnage de Christopher Walken dans Voyage au bout de l’enfer de Michaêl Cimino) , investie dans son combat . Si sa souffrance de mère et sa soif de vérité ne sont pas mises en cause , sa soif de vengeance et  son combat héroïque au delà des affrontements et des interpellations légitimes , révèle certaines failles de gestes et un comportement  ( La scène avec le dentiste …) mettant en lumière , les excès auxquels ils peuvent conduire. L’enjeu moral de la vengeance au cour du récit , trouvant ( y compris dans le final…) la dimension sublime d’une réflexion emportant le spectateur dans un suspense dramatique , qui l’y oblige …

Milderd ( Frances McDormand ) plus déterminée que jamais devant le commissariat de Police ( Crédit Photo : Twentieth Century Fox France )

C’est la grande force du film que de réussir a créer cette atmosphère de remise en cause permanente où l’inattendu , le prévisible et l’imprévisible jouent les « mages » manipulateurs de l’illusion . Mais faut-il croire tout ce que l’on voit et en tirer des jugements hâtifs ? . L’habileté envoûtante du récit et de la mise en scène, est de nous mettre sans cesse en porte-à- faux avec ce que l’on voit, en révélant aussitôt dans la séquence suivante , son contraire . Pour nous mettre face aux conséquences qui en découlent . Le tout constituant une sorte de dynamique d’influences , qui finit par parasiter les enjeux dans  la confrontation des personnages, avec leurs idées reçues et les folles tentations qu’elles peuvent susciter. Les murs qui les séparent finissent par tomber,  et  les certitudes du spectateur , avec. Le film de Martin McDonagh  ( Prix du public au Festival de Toronto 2017, Prix du scénario au Festival de Venise 2017 et couronné par 4 prix aux Golden Globes Award 2018 ) qui les explore avec subtilité, au cœur des clichés qu’il vampirise subtilement , est une très belle réussite . A voir …

(Etienne Ballérini)

3 BILLBOARDS,Les Panneaux de la Vengeance de Martin McDonagh.-2017- Durée:1h 55.

Avec : Frances McDormand, Sam Rockwell, Woody Harrelson, Abbie Cornish, Caleb Landry Jones, Zeljko Ivanek, John Hawkes, Clarke Peters, Lucas Hedge, Peter Dinklage , Sandy Martin, Christopher Berry …

LIEN : Bande-Annonce du film : 3 Billborads, Les Panneaux de la Vengeance de Martin McDonagh.

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