Cinéma / SEULE SUR LA PLAGE LA NUIT de Hong Sang-soo.

l’exploration des sentiments. La rupture d’une liaison , l’exil et le désespoir , puis le sursaut et la réflexion, la quête d’un réconfort . Le Superbe portrait d’une femme blessée privée de son « idéal amoureux ». Magistrale interprétation de la comédienne Kim Min- Hee, primée au Festival de Berlin 2017.

C’est dans l’humidité brumeuse de la ville d’Hambourg que l’on retrouve après une rupture amoureuse Younghee ( Kim Min-Hee) cherchant à y oublier son désespoir aux côté d’une vielle amie Coréenne , Jeeyoung ( Seo Younwa) dont le couple a explosé après dix ans de mariage . Toutes deux en confidences de réconfort déambulent comme des fantômes dans la ville Allemande : de parcs en librairies et bars , ou,  se retrouvent dans l’intimité de leur maison avec des amis . Younghee dont on va suivre le destin amoureux, est comédienne et confiera à son amie son désespoir et son indécision sur l’avenir de sa liaison adultérine avec un cinéaste marié , qui est aujourd’hui au point mort. Va-t-il revenir vers elle ? Doit-elle l’attendre ? Que va-t-elle faire de sa vie et de sa carrière ? . Les séquences du prologue sont magnifiques qui inscrivent au cœur de la ville d’exil et ses lieux qui l’abritent , les  vers du poème , Feuilles d’Herbe de Walt Whitman ( 1855) qui y font écho «  Seul sur la plage la nuit, Cependant que l’aïeule poursuit son oscillant va-et-vient et chante sa chanson rauque, Et que je contemple les étoiles qui brillent, me vient en pensée l’image de la clef des mondes et de l’avenir ( …). Vies et morts du passé, du présent, du futur, Une seule et même symétrie les unit depuis toujours par son amplitude, Les unit, les unira toujours par ses clés solidaires, le jeu réglé de ses serrures » . Younghee est à la dérive, et pour ne pas voir son idéal, sa passion et son désir s’évaporer , dans un sursaut ( superbe scène ) elle fait le vœu de « mener une vie qui lui ressemble … ». Le retour  décidé  au pays pour sortir du marasme , et les retrouvailles avec les anciens amis devrait servir de thérapie …

Younghee ( Kim Ning- Hee) ( Crédit Photo , Capricci films )

Pour cette dernière l’enjeu est de taille, réussira-t-elle à prendre ses distances avec ses sentiments et ses désirs ? . La réalité qui l’y oblige à devoir affronter ce dilemme, auquel son indécision et sa difficulté à y faire face , va la mettre dans une position délicate. Hong Sang-soo , inscrit dans deux plans superbe, la « dualité » de la position de son héroïne offrant à l’errance de ses sentiments , une dimension irréelle appuyée par le récit et la mise en scène . La divagation , le rêve et l’imaginaire s ‘y insinuant au cœur , comme le souligne implicitement le plan où on la retrouve seule au cinéma . Auquel s’ajoute celui – doublement mis en perspective – de la scène où on la retrouve endormie sur la plage qui inscrit les retrouvailles avec le metteur en scène . De la même manière que les multiples ellipses qui viennent s’inscrire dans la temporalité , y ajoutent l’inattendu non dénué d’humour décalé , d’une présence ( le laveur de vitres) étrange et inquiétante . Habilement , en orfèvre, le cinéaste les orchestre comme des évidences auxquelles il oppose le réel de ses longs plans- séquences, où l’absence de montage remplacé par des panoramiques et des zooms sur les personnages  sert de dynamique , lors des réunions de groupe de Younghee,  avec ses amis. Un procédé que le cinéaste aime inscrire depuis quelques films , dans sa mise en scène où dès lors le réalisme brut de la continuité , offre une écho encore plus fort à son récit. La passion et le désir absents , le malaise , la peur de la mort , le sentiment de devoir faire le deuil de ses désirs    «  continuer de croire à l’amour » , ou «  mourir avec élégance » , dira Younghee qui pourtant ne cessera de vouloir espérer et «  croire en ce monde » . Mais le vœu de mener cette vie qui lui ressemble est bien difficile à réaliser …

Younghee ( Kim Min-Hee ) retrouve ses amis d’enfance ( Crédit Photo : Capricci Films)

La mise en scène de Hong-Sang-Soo , inscrit merveilleusement dans l’alchimie de ses multiples partitions et dimensions , cette réalité avec laquelle son héroïne , mais aussi tous ceux qu’elle croise , doivent composer . Et nous invite à le suivre dans son exploration des vibrations de chacun confronté à ses propres faiblesses  ou manques qui les obligent à se battre , à réagir ou à devoir subir . On déguste littéralement les séquences de groupe où à la faveur de l’alcool ,les langues de délient ( l’ivresse est un échappatoire au réel , chez Hong Sang-soo) et que le malaise s’installe au « jeu de la vérité »  des provocations . l’humour et la dérision est aussi un dimension pour ce dernier , et  le gage de son respect envers  les individus,  leurs failles et faiblesses. Comme celles vécues par le vieil ami  de Youghee, Myungsoo   ( Yung Yaeyoung )  le gérant du café BongBong avec sa compagne Dohée ( Park Yeaju) contrariée qu’il ne veuille pas reconnaître leur liaison devant ses amis , et qui se venge en l’humiliant devant Younghee, gênée . Sacré couple ! . Et puis , surtout lorsque apparaît , celui qui est au centre des préoccupations de Younghee , le réalisateur marié  venu en repérages dans la ville pour son nouveau film , qui la croise par hasard sur la plage et l’invite avec ses amis… et plein de remords  lui parle avec une sincérité inhabituelle.  Au cours d’une autre belle discussion animée où l’on se dit encore quelques vérités, il finira par lui offrir ce  livre dont il lui lit un passage ( comme gage?) auquel elle est très attachée .  Puis, il  y a aussi l’insistance de cet autre ami programmateur du cinéma d’Art et d’Essai de la Ville ( Kwon Haehyo ) inquiet  » tu vas bien ? » qui cherchera à la persuader de ne pas abandonner sa carrière, et  sa vielle amie Junhee ( Seon Seonni ) qui lui assure que si elle reprend sa carrière elle deviendra …sa « manager » à vie ! . Face à ces sollicitations , la révoltée qu’elle est devenue, va-t-elle finir par à nouveau « croire en ce monde » , comme elle le dit souvent , et aussi , continuer à croire en l’amour ?…  et si l’on compte dans la vie des autres !….

retrouvailles avec le réalisateur ( Moon Sungkeun ) , lunettes et livre à la main face à Jounghee ( Crédit Photo : Capricci Films )

Le cinéma de Hong Sansg-Soo , est à l’image de ses personnages , sans cesse en immersion dans un réel – qui pour des raisons multiples -mais surtout liées à la passion , au désir et l’amour- leur est devenu insaisissable et dont ils doivent accepter le morne quotidien . Dans lequel pourtant, il faut faire en sorte que la distance des corps et des cœurs puisse , en pleine incertitude des lendemains , continuer à se parler. Au fond ses amis de la cité balnéaire de Gangneung , sous leurs masques d’apparences qui vont finir par tomber, ne sont pas si différents d’elle et vivent les mêmes tourments . A leur contact Younghee , apprendra beaucoup sur elle- même , sur ce qu’elle a enduré. Car la vie continue et le cœur a ses souffrances qui peuvent perdurer , on est jamais vraiment maître de son destin . Mais , elle en aura été changée . Et cette réalité – ici –  trouve une écho particulier qui irrigue les images du film d’un vécu , que le cinéaste et son interprète ont traversé personnellement . Une liaison hors-mariage de ce dernier avec celle-ci, ayant provoqué un scandale qui a défrayé la chronique dans son pays et jeté l’opprobre sur eux. A l’évidence le réalisme et les échappées hors de celui-ci, y trouvent une dimension où le questionnement de la morale, de la conscience morale et de l’ éthique personnelle qui souvent est au centre des derniers films du cinéaste, comme c’était le cas le cas dans ( Le jour d’après /2017 , présenté en compétition au Festival de Cannes) , y trouvent -ici – un écho encore plus fort.

(Etienne Ballérini)

SEULE SUR LA PLAGE LA NUIT de Hong Sang-soo – 2017- Durée : 1h 41 .
Avec : Kim Mi,-Hee, Seo Young- hwa, Kwon Hae -hyo, Jeang Jin-yeong , Song Seon-me , Mun Seong-kun Park Yea-ju…

LIEN : Bande-Annonce du film , Seule sur la plage la nuit de Hong-Sang-soo

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