Jusqu’à présent, John Carroll Lynch était surtout connu comme acteur de séries télévisées américaines et pour quelques seconds rôles au cinéma (Fargo, Zodiac, Shutter Island). Avec Lucky, il effectue le grand saut et passe derrière la caméra. Une premier long métrage dont il confie le premier rôle à Harry Dean Stanton, dont ce sera l’un des derniers films. A ne pas manquer !
Il était une fois dans l’Ouest, de nos jours, quelque part aux Etats-Unis, pas très loin de la frontière avec le Mexique, Lucky un « poor lonesome cowboy ». Avec son stetson, son jean et ses bottes, il fait penser à Lucky Luke le célèbre personnage créé par le dessinateur belge Morris. Mais Luke aurait définitivement rangé son colt depuis bien longtemps. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Les Dalton couleraient probablement leurs derniers jours paisiblement dans un paradis fiscal après une reconversion dans la finance ou la politique. Quant à Jolly Jumper et Rantanplan, ses fidèles compagnons, ils seraient très certainement partis gambader au « pays des vertes prairies ». Cependant, le Lucky du film c’est Harry Dean Stanton. On oublie vite la bd ou le dessin animé car, très rapidement, on ne peut s’empêcher de penser à Travis Henderson, ce rôle principal que lui ont offert Sam Shepard, co-scénariste, et Wim Wenders dans l’inoubliable Paris Texas, Palme d’Or du Festival de Cannes 1984.

Le temps s’est écoulé et pourtant rien ne semble avoir changé, ni le décor désertique, ni le héros solitaire. Lucky/Harry a pris pas mal d’années en plus, mais à 90 ans passés, malgré son corps décharné, il tient encore debout sur ses deux jambes, fait de la marche tous les jours et exécute quatre ou cinq exercices de gym tous les matins. Il occupe ses journées à faire des mots croisés, à regarder les jeux télés, à écouter de la musique mexicaine, voire même à chanter quand l’opportunité se présente. Mieux, il fume encore au moins un paquet de cigarettes par jour et se tape toujours un verre ou deux le soir, au bar, avec de vieux copains. La tension artérielle est bonne, le cœur bat normalement et les poumons tiennent le choc malgré le tabac. Pour son médecin, son patient sera centenaire… Néanmoins, Lucky, athée, sait qu’il arrive à la fin de sa vie et s’interroge sur son sens. Alors il en parle, de ça et d’autres choses, avec son entourage. Car, même s’il vit seul, on le connait en ville et on engage volontiers la conversation avec ce brave type pour lequel on a de la tendresse. Que ce soit le médecin, bien sûr, mais aussi le patron du « diner », où il prend son petit-déjeuner, celui du bar, où il retrouve ses potes, ou encore l’épicière mexicaine. L’intrigue est mince mais elle donne malgré tout l’occasion de rencontrer avec Lucky quelques personnages attachants, comme Edward, ce vieux monsieur élégant interprété par David Lynch et désemparé par le départ de « Président Roosevelt », sa tortue centenaire, ou Fred, ce vétéran de la Navy joué par Tom Skerritt.

Lucky est avant tout comme un très bel hommage à Harry Dean Stanton, l’acteur aux plus de deux cents films (cinéma et tv) et soixante ans de carrière, très souvent « second couteau » mais que l’on oublie rarement (Luke la main froide, Alien, Le Parrain II, Repo Man, Las Vegas Parano, La Ligne verte). Un hommage d’autant plus émouvant que le comédien est décédé le 15 septembre 2017 quelques mois après la présentation du film aux Etats-Unis. Sans prévoir ce qui allait arriver, John Carroll Lynch, acteur que l’on a pu voir dans des seconds rôles chez Martin Scorsese, David Fincher, les frères Coen et qui réalise ici son premier long métrage, l’a conçu ainsi : « L’histoire a été totalement pensée pour Harry Dean dans le personnage de Lucky. Le scénario a été écrit comme une sorte de lettre d’amour pour l’acteur et pour l’homme ». Co-scénariste avec Drago Sumonja, Logan Sparks est un ami de longue date de l’acteur. David Lynch (sans lien de parenté avec le réalisateur), qui a fait appel à lui pour Sailor et Lula, Twin Peaks et Une histoire vraie, et Ed Begley (Cockfighter, Doctors in love, séries tv) le connaissaient très bien et leurs rôles ont été écrits dès le départ en pensant à eux. Aussi, le film est-il quasi biographique et s’inspire beaucoup du vécu de Harry Dean Stanton, de sa personnalité, de sa philosophie de la vie et fait référence à des faits plus ou moins connus comme son passé de cuisinier dans l’US Navy pendant la Seconde Guerre mondiale, ou sa passion pour la musique (country, mexicaine) évoquée dans le documentaire de Sophie Huber, Harry Dean Stanton : Partly Fiction, malheureusement peu diffusé.

Harry Dean Stanton s’est éteint à 91 ans, mais quelque chose dans Lucky nous dit, notamment dans les derniers plans, face caméra, qu’il est parti de « l’autre côté » en toute quiétude. Harry Dean Stanton ne tournera plus, mais il est toujours vivant grâce à ses films et par ce très bel hommage que le Cinéma vient de lui rendre.
Lucky de John Carroll Lynch. Comédie dramatique – Etats-Unis – 1h28. Avec Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston, Ed Begley, Jr. Tom Skerritt, Barry Shabaka Henley, Beth Grant.
Voir également :
La bande annonce de Lucky (KMBO – Vostf)
Extrait de Lucky – Clip Mariachi (Vo)
Cancion Mixteca – Ry Cooder (Paris Texas de Wim Wenders – 4mn14)
La bande annonce de Harry Dean Stanton : Partly Fiction (Vo – 2m22)
Philippe Descottes