L’avenir de la ferme familiale qu’il faut assurer pour Johnny, devenu depuis l’AVC de son père, celui sur qui repose l’avenir de l’héritage familial. Portrait d’une Angleterre rurale et d’une jeune génération confrontée à des choix de vie. Par sa justesse de ton et sa sensibilité , le premier long métrage du cinéaste qui s’inscrit dans la tradition des prestigieux aînés ( Bill Douglas, Ken loach …), est une magnifique et superbe réussite …

Dans les premières séquences on découvre le quotidien du jeune Johnny ( Josh O’ Connor ) dans cette ferme du Yorkshire dont il doit s’occuper seul désormais. La mère « partie trop vite » , reste donc la vielle grand-mère en charge de l’entretien de la maison et du père qui ne peut presque plus tenir sur ses jambes . C’est donc à Johnny qu’est échu le devoir , sous les ordres d’un père resté très directif, d’assurer le travail de la ferme familiale, des bêtes ( vaches et moutons) qui permettent de la faire vivre. Johnny n’ a pas eu d’autre choix que celui de rester au pays , contrairement à ses camarades d’enfance qui ont pu partir faire des études Universitaires. Comme il le confiera , à cette ancienne amie d’enfance à qui il reproche de s’être embourgeoisée et de ne revenir au pays accompagnée des ses nouveaux amis que pour les vacances , pour y parader et « voir comment vivent et se portent les péquenots » !. Le visage renfrogné par le ressentiment et la frustration , la colère retenue Johnny, à l’issue d’harassantes journées de travail, se noie dans l’abus d’alcool lui faisant oublier une frustration sexuelle honteuse satisfaite dans de brèves rencontres sans lendemain, avec des hommes. Johnny est à la dérive, et travail de la ferme s’en ressent… alors que la dure période – celle de l’agnelage – s’annonce . L’emploi d’un saisonnier est envisagée pour l’ aider à y faire face . L’arrivée de ce denier se fait dans la méfiance commune de Johnny et de ses parents , lorsque celui-ci débarque et se révèle être …un émigré Roumain !.

Le réflexe atavique des mentalités envers l’étranger ne manque pas de resurgir, on le loge dans une roulotte de secours à l’extérieur de la maison , on le surveille de près de crainte qu’il refuse de s’impliquer avec la volonté souhaitée au travail . Sous surveillance ce dernier, Georghe ( Alec Secareanu), fait profil bas et finira même par surprendre tout le monde en s’attelant à la tâche … comme s’il avait toujours fait ça !. Les réflexions et les provocations de Johnny , le jeune Roumain y fait la sourde oreille , et n’y répond que lorsqu’elles deviennent racistes avec un « ne me redit plus jamais ça ! » qui n’aura pas besoin d’être répété, une seconde fois. Johnny , surpris par ce jeune homme travailleur et serviable qui lui renvoie une certaine philosophie de vie consécutive à un parcours tumultueux . Le trouble s’y installera , lorsque Georghe finira par le « titiller » à son tour , et lui glisser quelques petites réflexions sur son caractère violent et ombrageux « jamais un sourire sur ton visage ? » . L’apostrophant sur ses attitudes, cherchant à le sonder afin de percer ce que cache son masque , de violent et de taiseux. Cette violence que sans doute Georghe, lui, a su dompter, comme leçon apprise des humiliations de son parcours d’émigré « mon pays est mort … et la nécessité de se construire un avenir ailleurs . L’écho renvoyé à Johnny sur ses propres dérives ( violence, alcool, sexualité… ) mal vécues . Les mots de Georghe , font mouche , Johnny troublé qui veut y résister , verra pourtant s’allumer en lui, le feu d’une passion qui finira par devenir irrépressible, et lui faire entendre raison …

Immergée au cœur de la chronique paysanne, elle y prendra la dimension romantique inattendue et originale d’un apprentissage initiatique , via la tendresse , aux sentiments amoureux d’une autre sexualité . Au coeur de la rudesse des éléments, du temps , du travail et des traditions d’une communauté dans laquelle elle devra inscrire , sa différence. La force du film est, dans ce regard porté par le cinéaste sur cette chronique sentimentale qui s’inscrit hors des normes d’un cadre de vie difficile , et ce qu’elle y révélera comme réflexions, sur un double état des lieux . Sociétal et humain. Quel avenir pour le monde rural et paysan confronté à la modernité et à la mondialisation ; et quelles solutions pour les hommes qui souhaitent continuer à y vivre et y construire un autre possible (?) avenir. Les scènes finales montrant des documents sur le travail et le monde paysan d’hier , qui font référence à la magnifique trilogie ( My Childhood, My Ain folk et My Way Home / 1972-78) du cinéaste Bill Douglas sur le monde ouvrier et paysan Anglais des années 1950 . Elles font écho , et renvoient au cœur de l’Angleterre et du monde rural d’aujourd’hui dans lequel , Francis Lee, nous immerge . Celui qui survit tant bien que mal à l’industrialisation et aux méthodes productives d’une mondialisation qui l’asphyxie. Celles des grandes exploitations industrielles dans lesquelles Georghe le migrant venu d’ailleurs a travaillé et a été exploité. Celles qui ont mis à sac, les formes d’exploitations liées à une culture et identité régionale, dont il évoque avec Johnny la nécessité pour y survivre aujourd’hui, d’y faire face en gardant et perpétuant le savoir faire d’hier et savoir utiliser certains apports modernes ( matériels , soins pour les animaux… ) qui pourraient lui permettre de la rendre compétitive… et l’inscrire dans la réflexion d ‘une modernité, tournée vers le « durable »…

Les belles scènes où Georghe fabrique et invente sous les yeux de la grand-mère (dubitative…) son propre fromage- maison , celles de l’attention apportée à la mise à bas des vaches et brebis , ou des soins prodigués à un agneau pour l’aider à survivre à un accouchement douloureux , ou encore de la ( re ) construction des enclos destinés à protéger le cheptel . Celles où il évoque la nécessité d’un investissement minimum qui permettrait d’assurer la pérennité de la ferme familiale. Au coeur d’un paysage magnifique et superbement filmé par l’opérateur ; Joshua John Richards sous la direction du cinéaste, qui est originaire de la région « c’est la terre de mes ancêtres… j’ai longtemps été fasciné par ce paysage désolé auquel les gens se raccrochent coûte que coûte , gagnant leur vie en exploitant quelques hectares d’une terre inhospitalière » , explique Francis Lee .
Le réalisme des situations et du constat de l’état des lieux et des mentalités (qui vont devir évoluer), n’en est que plus frappant, montré dans toute sa complexité authentique « on y trime dans le froid , le pluie et le vent ». Au coeur de celle-ci , il y installe la belle histoire d’une rencontre et d’ apprivoisement de deux hommes , faisant appel à une nouvelle forme d’authenticité. Basée elle aussi, sur le tendre respect indispensable à la construction d ‘une liaison franche permettant de construire un avenir possible , s’appuyant sur un cheminement émotionnel . « je souhaitais explorer les moments que deux personnes partagent quand elle souhaitent s’engager , en mettant le doigt sur les conflits qui les animent » , explique le cinéaste. Chacun devant se confronter au questionnement sur ses choix personnels . Le réalisateur ose et réussi superbement, le rapprochement d’une réflexion sur deux formes de reconstruction ( l’avenir rural / l’avenir d’une liaison ) possibles. La nature et l’homme , en osmose ? . Au cœur des paysages de celle -ci dans lesquels ils vivent et y affrontent les éléments, les hommes doivent savoir les dompter afin de pouvoir – ensuite- y construire leur nid, pour y vivre en osmose …
C’est un superbe film tout en petites touches et nuances justes et fortes- sur le quotidien du travail et de l’intime – que Francis Lee a construit, servi par deux comédiens , épatants de sensibilité dans leur jeu . Prix de la mise en scène au Festival de Sundance, et couronné, également au Festival du film Britannique de Dinard , ainsi qu’à celui d’Edimbourg .
SEULE LA TERRE de Francis Lee – 2017- Durée : 1h 44.
Avec : Josh O’ Connor , Alec Secareanu , Gemma Jones et Ian Hart ..
LIEN : Bande -Annonce du Film , Seule la Terre de Francis Lee.