La Floride et Orlando, dans la zone proche de Disney World , un modeste motel abrite les victimes de la crise économique. Leurs enfants qui n’ont pas accès au monde du rêve Américain tout proche , s’y réinventent leur propre terrain de jeu . Une superbe fable sur l’Amérique moderne où la malice de l’innocence et son imaginaire, font écho à la noirceur du constat…
Le jeune scénariste et cinéaste indépendant Américain, s’est fait remarquer dans les Festivals au début des années 2000 par ses courts métrages et une série à succès ( Greg The Bunny) pour la télévision, et surtout par son premier long métrage Tangerine (2015 ) tourné avec un Iphone et des comédiens non- professionnels recrutés via les réseaux sociaux . Il y décrivait les déboires de deux prostituées Afro-Américaines Transgenre . Présenté dans de nombreux festivals ( Sundance, Deauville , La Roche sur Yon …) il y conquiert le public et les Jurés , succès confirmé par une distribution en salle dans de nombreux pays . Les portes désormais ouvertes pour d’autres projets, il s’y atèle en cherchant à garder le même regard sur le monde qui l’entoure , et notamment celui des petites gens. Ces « oubliés » d’une Amérique de la crise économique – dont il brosse ici, le portrait – qui tentent tant bien que mal de survivre et qui trouvent refuge dans ces motels à bas prix devenus leur dernier et provisoire , espoir de refuge , dit-il « Aux quatre coins des États-Unis, les motels bon marché sont devenus le dernier refuge pour tous ceux qui se retrouvent dans une situation précaire. Une population de “sans-abris clandestins“ de plus en plus importante, dont 41% sont des familles, se bat quotidiennement pour ne pas être à la rue ». L’idée de confronter les enfants des résidents de ce motel situé à quelques centaines de mètres de ce symbole du modèle Américain, l’usine à rêve qu’est Disney World auquel ils n’ont pas accès , a trouvé en lui, l’écho du cinéphile…

L’inspiration, lui est venue dit-il , du souvenir de ces courts métrages des années 1930 intitulés « les petites canailles » , qui racontaient les « aventures drôles et piquantes » des enfants des familles pauvres, lors de la grande dépression. L’idée d’en faire une « version contemporaine », et de s’en tenir au « ressenti » et au regard des enfants livrés à eux-mêmes , se révèle être la belle idée du film. Au delà du miroir des couleurs mauves – imitation décrépie de celles flamboyantes du voisin huppé – que lui renvoie le Motel nommé « Magic Castel Inn », c’est l’appropriation de l’espace par leur imaginaire, des enfants des ces familles du motel , qui fait le prix du film. Dans ce motel et son espace environnant , rien de magique pourtant . Mais , en le ré-enchantant au quotidien par leurs jeux « canailles » et leurs rêveries , la petite Moonee ( Brooklynn Kimnerly Prince, épatante ) et ses amis , s’y construisent leur propre espace magique . Loin de celui du rêve proposé par le voisin , c’est au cœur même de la réalité qu’ils s’évadent à leur manière et s’inventent , leur conte de fée quotidien qu’ils peuplent de leurs envies , ou de leurs moqueries envers les voisins. Plaisanteries, provocations et , parfois , jeux dangereux ( la séquence de la villa abandonnée) qui pourraient tourner au drame. Au cœur de la chaleur de l’été , le trio composé de Moonee , son copain Scooty ( Christopher Rivera ) et Jancey ( Valéria Cotto ) la petite rousse et nouvelle voisine qui vient de s’installer avec sa mère dans le motel. . Le trio » infernal » entraîné par l’insolence de Moonee , sa force de persuasion et son sacré caractère frondeur n’a pas d’égal pour vous inciter à vous » encanailler » et à faire les quatre cent coups. Irrésistible meneuse et jamais en manque d’inspiration , elle est experte … avec elle , c’est sûr on ne s’ennuie jamais ! ….

Dans ce Motel où en l’absence d’un père qu’elle ne connaît pas , elle vit une belle relation complice avec sa jeune mère Halley ( Bria Vinaite ) , sans travail fixe ni aide sociale, et qui se retrouve contrainte a bien des compromis , pour payer la note du motel et pour vivre au quotidien. Elles partagent le même désarroi que les nombreux résidents du motel qui se retrouvent dans la même situation de précarité. Car les petits travaux occasionnels sont devenus rares et il faut trouver des solutions pour joindre les deux bouts . Vols de produits dans les magasins que l’on vend à la sauvette et , parfois, recours à la prostitution quand l’entr’aide des voisins aussi mal lotis que vous , devient impossible . Même le bienveillant et arrangeant gérant du motel , Bobby ( Willem Dafoe ) qui a des comptes à rendre à ses patrons, ne peut sauver certaines situations et éviter les incidents . Dans ce contexte , le relationnel finit parfois par se dégrader et les tensions s’installer. Les enfants , eux , y font face et s’approprient l’espace avec leurs jeux et provocations qui les entraînent jusque dans les motels voisins pour s’en prendre aux pare-brise des voitures des nouveaux arrivants dans le parking , ou s’en vont en tournée en ville pour se payer des glaces en quémandant l’aumône aux passants. On explore le moindre coin et on y trouve toujours l’occasion de se réjouir des petites surprises que l’on réserve à celui ou celle qui deviendra , la cible du jour . Comme ce sera le cas de la dame d’un certain âge qui joue les stars en s’exhibant dévêtue à la piscine . Toute opportunité de semer la panique est la bienvenue ( la scène de la panne d’électricité … ) , et même le gérant du motel que Moonee pourtant aime bien, y aura droit !.

Sean Baker qui a beaucoup travaillé avec son co-scénariste, Chris Bergosh , au projet pendant près de trois ans , rencontré et recueilli les témoignages des familles précaires sur place , et mené des recherches approfondies et très documentées sur le sujet et la réalité qu’il souhaitait traduire avec la plus grande sincérité réaliste . S’attachant à trouver aussi des interprètes principaux qui puissent traduire à l’écran l’intensité souhaitée , afin d’éviter la dramatisation misérabiliste , qui aurait pu lui nuire . Complété par un beau travail de mise en scène sur les espaces et les contrastes des deux univers ( Disney World / le motel et ses environs ) . Les personnages qui y révèlent leurs contradictions et fêlures, et , peuvent se montrer attachants et sympathiques ou verser, parfois, dans la méchanceté. Confrontés à un contexte qui les fragilise et les rend vulnérables, ils finissent par y perdre pied…ils sont tout simplement humains !. Et leurs enfants face à ce rêve Américain dont ils sont les laissés pour compte qui refusent de s’y laisser désespérer, y trouvant les parades des échappées belles et de la dérision , qui leur permettent de survivre. A cet égard la scène du pied -de-nez de l’échappée onirique finale de Moonee et sa copine , vers le monde de Disney World , est magnifique . La symbolique est forte qui la fait s’en aller dans un sursaut , défier le royaume du rêve Américain !. Quand la comédie se fait sincère et profonde , il arrive souvent qu’elle fasse mouche . Et c’est le cas de Florida Project de Sean Baker…
(Etienne Ballérini)
THE FLORIDA PROJECT de Sean Baker – durée : 1h 52 – Sélection Quinzaine des réalisateurs, Festival de Cannes 2017-
Avec : Brooklynn Kimberly Prince, Willem Dafoe , Bria Vinaité , Valéria Cotto, Christopher Rivera, Caleb landry Jones, Karren Karagullan …
LIEN : Bande- Annonce du film, The Florida Project de Sean Baker .
Il me tarde de le découvrir…
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