Sélectionné au Festival de Cannes 2017 , Le film y avait obtenu Le Grand Prix de La semaine de la Critique , section dans laquelle il était présenté . Le film sort cette semaine sur les écrans . Ne le manquez pas . Ci -dessous , nous reprenons la critique du film faite à l’issue de la projection , par notre correspondante…
Emmanuel Gras s’était fait remarquer en 2012 avec son premier film Bovines. Un curieux documentaire d’à peine 65 minutes qui déjà s’attachait au détail pour mieux donner une vision d’ensemble entre contemplatif et poétique.
Avec Makala. le réalisateur va plus loin dans cette veine et choisit de faire le portrait d’un homme au travail. C’est un objectif ambitieux et qui remporte le Grand Prix de la Semaine internationale de la critique 2017.
Makala signifie charbon de bois en swahili et nous allons suivre – ou plutôt accompagner- Kabwita du premier matin où il part abattre un grand arbre muni de ses deux haches jusqu’au marché où il ira vendre son charbon. Makala est un film de l’effort physique, la caméra est proche du corps de l’homme, de ses muscles qui se tendent, de son visage qui se crispe, de la sueur qui coule. Kwabita s’arc-boute, souffle, peine, s’y reprend à plusieurs fois et nous sommes avec lui, dans une conscience aiguë de la fragilité, presque dérisoire de son corps, du corps de tout homme, face à l’immensité de la tâche.

C’est aussi un film sur la solitude fondamentale de l’être humain face à sa vie sur terre. C’est en cela même que le film atteint à une beauté et une force rares. Car c’est en situant obstinément dans le geste toujours recommencé qu’il atteint à l’universel et à l’intemporel. Il y a quelque chose des débuts de l’humanité dans le travail de Kabwita qui ne peut compter – au sens le plus littéral du terme – que sur ses propres forces. En regardant Kabwita charrier ses troncs ou pousser son énorme chargement, on se dit que c’est comme ça qu’on a construit les pyramides. Et l’émotion qui nous saisit au fur et à mesure qu’il avance résonne en nous violemment comme un souvenir lointain qu’on croyait oublié.
Car Makala est peut-être encore plus fondamentalement un film sur le temps. Le temps d’avant qu’il soit fractionné pour être compté. Ici le temps se mesure uniquement à la tâche, une fois qu’elle a été accomplie. Chacune des étapes est indivisible puisqu’elle est indispensable à l’avènement de la suivante. D’abord abattre l’arbre, ensuite le débiter. Organiser le tas en fonction de la taille des branches pour construire le four. Le recouvrir de terre. Pratiquer les ouvertures qui vont permettre une bonne combustion. Chaque étape a un sens, comme chaque geste a une fin. Et c’est beau. C’est beau parce que justement ça fait sens. Il faut dire de plus que l’image est très belle. La lumière avec toutes ses variations, de l’aube au zénith, du crépuscule jusqu’à la nuit accompagne au plus près le déroulement du travail et de la vie. Au même titre que la bande son qui mêle bruits ambiants et une musique forte, lyrique sans être grandiloquente, qui nous transporte au-delà de l’enregistrement du réel.

Car il y a aussi le temps du repos et le temps du rêve. Sans changement de rythme, les plans se font plus larges pour inclure Lydie, la femme de Kwabita et ses enfants. On parle d’une maison à construire et des tôles qu’il faudra acheter pour le toit. Et puis il y a Dieu. Kwabita est croyant avec la ferveur des temps antiques. Avec la nécessité de quelque chose qui dépasse l’horizon indépassable de la survie, des gestes toujours recommencés sans jamais être assuré du résultat.
C’est ainsi qu’après avoir tant peiné, avoir risqué sa vie au milieu des camions dans la poussière et dans la nuit et vendu tant bien que mal ses sacs de charbon au prix de beaucoup d’efforts encore, Kwabita va chercher un peu de réconfort à l’église. Et pour la première fois peut-être, malgré mille reportages à la télé, nous saisissons quelque chose de ce que signifie vraiment ces églises évangélistes pour des millions de gens en Afrique. La scène finale, en très longs plans séquences, va crescendo jusqu’à une scène de transe où les battements de mains remplacent les tambours de jadis, mais où curieusement, chacun est seul face à Dieu, comme il l’est face à lui-même, dans une solitude inépuisable.
Makala, seul documentaire de la sélection de la Semaine de la Critique, entre de plein pied dans ce que Daney appelait « les films de non-fiction ». Très abouti sur le plan de la forme, avec une caméra qui assume le fait d’être là, Makala est un film qui pousse très loin la réflexion sans jamais faire de discours. Ce n’est pas une mince réussite.
( Josiane Scoléri )
MAKALA d’Emmanuel Gras – 2017- Durée : 1 h36.
Directeur de la Photo : Emmanuel Gras – Prise de Son : Emmanuel Vidal –
Montage : Karen Benaimous – Musique Gaspar Claus .
Lien : Bande-Annonce du film , Makala d’Emmnuel Gras.