Cinéma / LES GARDIENNES de Xavier Beauvois.

1915, les maris sont à la guerre, au front. Les femmes restées seules à l’arrière s’occupent des fermes. Le conflit qui s’éternise, la longue attente dans l’angoisse des nouvelles . Les retours de permissions, l’aide Américaine qui arrive. La vie qui doit continuer , les plaies avec lesquelles il faudra vivre et  penser à l’avenir,  au monde qui va changer …

Adapté du livre d’Ernest Pérochon qui a séduit le réalisateur par la thématique qui y est développée d’une communauté confrontée aux événements de l’histoire . Elle fait écho et résonance avec celle de son film Des Hommes et des Dieux ( 2010 ) et de la communauté religieuse confrontée à un conflit armé et idéologique. Ou encore à l’évolution d’une destinée intime qui va s’y retrouver broyée , à l’image de celle du héros de N’oublie pas que tu va mourir ( 1995 ) dans le conflit de l’indépendance Croate des années 1990. On retrouve dans Les Gardiennes, les deux dimensions, collectives et individuelles qui sont les axes de la plupart des films du cinéaste qui aime bien en explorer les multiples approches. Celles révélatrices , au cœur des bouleversements de l’histoire , des mutations inévitables qui en découlent. En accaparant les hommes au combat , la grande guerre, a ouvert aux femmes la responsabilité de la gestion quotidienne de l’arrière et du travail jusque là, échu aux hommes. D’une certain manière , elle aura permis les premières ébauches d’une prise de conscience féminine d’émancipation . Celle dont la période libertaire des « années folles »      ( 1920-29) de l’après-guerre, poursuivra le travail avec le renouveau littéraire et artistique avant-gardiste . Mais on en est pas là, en cette année 1915 à la ferme du Paridier, la doyenne de la famille, Hortense ( Nathalie Baye ) en l’absence des hommes partis au front a pris les rennes de la ferme, en compagnie de sa fille ( Laura Smet ) , de son fils cadet ( Cyril Descourt) ,et  décide d’embaucher  pour aider  au travail des champs , une jeune orpheline de l’assistance publique, Francine  ( Iris Bry ) …

Hortense ( Nathalie baye ) et  Solange ( Laura Smet ) – Crédit Photo: Pathe Distribution-

Le contexte mis en place  du vécu quotidien des années 1915 et Jusqu’à  l’après-guerre            ( 1922) dans lequel Xavier Beauvois, va nous immerger au fil des nombreux événements.    La  première partie de son récit, s’attarde sur la mise en place et les difficultés du travail des femmes à la ferme , et de la vie au village. Le lourd climat de l’attente des nouvelles et la peur des mauvaises nouvelles ,ou , les joies consécutives aux courts retours des permissionnaires . Le moral entretenu pour les enfants à l’école et les poèmes écrits pour les « héros » combattant l’ennemi , le prêche dominical du prêtre pour soutenir le moral de ses ouailles. Les douleurs des familles et des blessés revenus du combat et surtout celles du  deuil des morts  au combat  …dont on ne sait même pas , si les corps seront rapatriés au village! . Ces absences insupportables et ces douleurs intimes retenues qui minent la campagne et ses habitants. L’atmosphère pesante et souffrante, captée avec une belle intensité et retenue par le cinéaste . Celle-ci laissant place à de courtes séquences de cauchemars et ( ou ) récits de permissionnaires racontant leur vécu , les atrocités des combats et les stigmates à jamais ancrées dans leurs mémoires. Xavier Beauvois y fait miroir, en s’attachant à montrer le travail quotidien des femmes aux champs qui les accapare et leur permet de trouver la force libératrice , d’une continuité dont elles sont porteuses  ( sauvegarder la ferme  et le patrimoine… ) et préserver ainsi , les possibilités d’une vie future , après le retour de la paix, et celui  espéré de leurs maris…

le travail aux champs , une scène du film ( Crédit Photo: Pathé Distribution)

Au cœur de ces séquences , le travail de mise en scène et de mise en images , est remarquable . Un double et superbe travail du cinéaste et de sa directrice de la Photographie. Le choix du cinéaste de nous faire pénétrer au cœur des intérieurs ( des maisons ) , comme des extérieurs ( les champs, la ferme , le village ) . Mais aussi au cœur des vibrations des individus ( les gros plans des visages ) exprimant leurs facettes émotives et leur vulnérabilité . Accompagné par le travail sur la lumière, les atmosphères et les nuances de la directrice de la Photographie , Caroline Champetier . La grande chef- opératrice ( elle a travaillé avec Rivette, Godard , Garrel , Téchiné , Despléchin, Jacquot , Carax , Anne Fontaine ..), y fait ici un travail splendide . Il faut voir et admirer ses plans dignes des grands maîtres de la peinture , sur les femmes au travail dans les champs ( les gestes des semeuses …le travail du labour ) , sa manière de capter l’atmosphère brumeuse ou la lumière , le souffle de la vie dans les arbres et la nature , la sécheresse d’un été ou la rigueur de l’hiver et d’un paysage sous la neige . C’est tout simplement magnifique . D’autant que la continuité du récit y est totalement liée . La dureté du travail aux champs des femmes n’a jamais été aussi bien décrite . Ni celle des silences et des non-dits, comme des ressentis . A l’image de la souffrance qu’ Hortense  évacue en s’ investissant ( trop…) dans le dévouement au travail pour se soustraire aux peurs et craintes ( sur le sort possible de ses enfants au front , sur l’avenir de la ferme …) qui la minent . Elle sera en quelque sorte une victime « collatérale » de ce conflit et de l’enfermement dans lequel, la plongent ses souffrances …

Hortense ( Nathalie Baye ) et ses fils soldats ( Crédit Phot : Pathé Distribution)

Celles -ci ne lui permettront pas de comprendre, notamment, celles de sa fille Solange, ni celles de la jeune Francine tombée amoureuse de son fils cadet . Et les hommes , les soldats Américains venus à la rescousse -et bloqués au village en attente des ordres de leurs supérieurs pour venir aider nos soldats – seront perçus comme des « intrus qui ne pensent qu’à draguer nos filles ». Le moindre sourire est vu comme un appel à la prostitution , on jase, on interprète , on ne comprendra pas le désir d’émancipation des jeunes filles , en l’absence des hommes du village . De la même manière que la guerre terminée , les hommes qui en sont revenus reprenant leurs habitudes , se soûlent et se disputent (  y compris sur l’héritage…) , seront renvoyés à leurs comportements d’avant-guerre «  ils sont redevenus ce qu’ils étaient ! ». Rien n’aurait-il changé, ?. Insensiblement , pourtant au détour des cheminements de Solange et de Francine , Xavier Beauvois , installe ce frémissement qui se fait jour , et qui a fini par pénétrer en l’absence des hommes , la société. La Guerre a marqué un tournant , et a fait se fracasser le vieux monde au son des canons. Et Solange le dira à sa mère, encore tenue par les convenances et  le cadre familial . Mais Francine , elle, la petite employée accusée à tort et rejetée par  Hortense  qui lui avait promis    » on va te garder , un jour tu  fera partie de la famille » , va se construire sa propre vie . On vous laissera en découvrir les étapes. Elle n’a rien  à perdre , au contraire,  dans un pays en reconstruction,  et c’est elle qui va choisir d’y construire , librement son avenir. C’est sa détermination qui va faire bouger les lignes et briser les tabous . Comme une revanche de la vie ….

Francine ( Iris Bry ) -Crédit Photo: Pathé Distribution –

La comédienne, Iris Bry ( exceptionnelle , une des plus belles révélations cinématographiques de ces dernières années!… ) dont c’est le premier rôle au cinéma , éclabousse le film par l’irrésistible énergie qu’elle donne à son personnage. C’est elle , la jeune employée orpheline qui a remplacé les hommes aux champs, la travailleuse dévouée qui n’a pas lésiné à la tâche , qui saura faire face pour conquérir sa liberté . Une volonté à toute épreuve.

(Etienne Ballérini)

LES GARDIENNES de Xavier Beauvois – 2017- Durée : 2h 14/
Avec : Nathalie Baye, Laura Smet , Iris Bry, Cyril Decours, Gilbert Bonneau, Olivier Rabourdin, Nicolas Giraud, Mathilde Viseux-Ely .. ;

Lien : Bande-Annonce du film , Les Gardiennes de Xavier Beauvois .

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