J’ai vu samedi dernier au Théâtre de la Cité un travail théâtral qui m’a ému, bouleversé, laissé pantois: l’adaptation sensible et profondément humaine de la nouvelle de Stefan Zweig, Vingt quatre heures de la vie d’une femme.
Stefan Sweig (1881 Vienne – il se suicide en 1942 à Petrópolis au Brésil), fait partie de l’intelligentsia juive viennoise, avant de quitter son pays natal en 1934 en raison de la monté du nazisme. Réfugié à Londres, il y poursuit une œuvre de biographe et surtout d’auteur de romans et nouvelles. Dans son livre testament, « Le monde d’hier. Souvenir d’un Européen » il se fait chroniqueur de l’« âge d’or » de l’Europe et analyse ce qu’il considère être l’échec d’une civilisation.
Alors, ces 24h ? Au début du siècle, une petite pension sur la Riviera, grand émoi chez les clients de l’établissement : l’épouse d’un des pensionnaires, Mme Henriette, est partie avec un jeune homme qui pourtant n’avait passé là qu’une journée. Seul le narrateur prend la défense de cette créature sans moralité. Et il ne trouvera comme alliée qu’une vieille dame anglaise sèche et distinguée. C’est elle qui, au cours d’une longue conversation, lui expliquera quels feux mal éteints cette aventure a ranimés chez elle.
Et de cette nouvelle, ou plutôt un court roman (les anglais, rien que pour nous emmerder et semer la confusion appellent un court roman a short novel), le metteur en scène trace, comme on dit dans la presse, « une ligne éditoriale ». C’est-à-dire qu’il va œuvrer sur le cœur même du récit, l’histoire des événements, en quelque sorte confessés par celle par qui le scandale arrive.
Et, sur scène, trois personnages : la narratrice, une violoncelliste, et la lumière. La lumière ? Oui. Elle sait se faire instance poétique, instance de mystère, elle découpe chaque personnage, lui affecte une vérité, lui affère une tonalité, développe une sensation quasi – expressionniste. Au demeurant, dans les films de cette périodes, décors et lumières sont, n’hésitons pas à le dire, parmi les protagonistes principaux. Je subodore Pascal Regnault ne pas être ignorant du cinéma de Murnau, de Fritz Lang, de Robert Wiene.
La violoncelliste, Marjolaine Alziary, est également un personnage, non pas tant du fait qu’elle joue du violoncelle sur scène, mais parce qu’elle est partie prenante de la dramaturgie : elle interagit avec la narratrice, intervient dans la scénographie, est « travaillée » par la lumière non comme une participante mais véritablement une actante. D’ailleurs, les lecteurs de ciaovivalaculure connaissent Marjolaine Alziary puisqu’elle et son violoncelle faisait partie du Dante de Renato Giualani*
Et puis la narratrice, Françoise Nahon. Un petit bout de femme, de l’énergie à revendre, un sourire à désarmer une armée en campagne. Elle avance dans son récit, fait corps avec la lumière qui la sculpte, ne dévie jamais de son fil rouge, développe une complicité avec la violoncelliste. Elles sont vraiment deux sur scène (enfin trois, avec la lumière). Elle sait mettre juste la distance qu’il faut pour ne pas nous entrainer dans le pathos. On sent en elle la comédienne confirmée, mais aussi la pratique de la mise en scène. Elle dirige la compagnie Acte 3 et le Festival Femmes en scène.
Elle me disait, après le spectacle, que Vingt quatre heures de la vie d’une femme était son livre de chevet. Quand je constate la fusion qui s’opère sur scène centre cette comédienne et les mots de Zweig, je veux bien le croire. Au reste, la passion du jeu se trouve dans ce récit comme dans la nouvelle Le joueur. Le suicide aussi. Il faudra que je relise La pitié dangereuse afin de savoir si ces deux données y figurent. Je crois bien, après tout.
Vous l’avez raté ? Nous y avons pensé. Cela repasse le samedi 9 décembre à 15 heures à l’auditorium Nucéra de la Bibliothèque du même nom, 2 pace Yves Klein Nice 04 97 13 48 00
Vingt quatre heures de la vie d’une femme adaptation et mise en scène Pascal Regnault, avec Françoise Nahon, violoncelliste Marjorie Alziary Présentée par le collectif Femmes en scène
Jacques Barbarin
*https://ciaovivalaculture.com/2017/05/18/theatre-dante-une-nouvelle-creation-du-tnn/
Illustrations: photos Nathalie Stemalski