En hommage à ce dernier , nous publions ci- dessous , le texte que Gérard Camy avait écrit lors de la rétrospective qui lui avait été faite, en Octobre 2013 par L’Association Cannes Cinéma ( 1). Retrospective que le cinéaste -pour des ennuis de santé- n’avait pas pu honorer de sa présence. C’est Luc Béraud le co -scénariste de son film En toute innocence , qui était venu le remplacer pour la soirée d’ouverture pour dire au public cinéphile Cannois , ce qu’Alain Jessua représentait pour le cinéma Français. Les plus grands comédiens de notre cinéma , ont tourné avec lui : Alain Delon, Gérard Depardieu, Annie Girardot, Patrick Dewaere, Jean Yanne, Fanny Cotençon, Jean Rochefort,Charles Denner, Jean-Pierre Cassel, Nathalie Baye, Michel Serrault… (Alain Jessua )
En un court métrage et neuf longs-métrages, Alain Jessua, s’est taillé une place à part dans le cinéma français. Mêlant judicieusement réalisme et fantastique, enveloppant ses films dans une étrangeté inquiétante, il aborde les problèmes de notre temps, pointe du doigt quelques errances tragiques d’un futur proche, décrit minutieusement cette folie ordinaire qui émane des dérives du progrès. Jamais pourtant il ne s’éloigne du cinéma de divertissement, choisissant toujours des castings somptueux et travaillant ses scénarios jusqu’à la perfection, il met en scène des œuvres qui seront régulièrement récompensées dans les plus grands festivals.
Les difficultés financières qu’il connait pour produire et réaliser, Les Couleurs du Diable en 1997, signent la fin prématurée de sa carrière de cinéaste. Mais Alain Jessua a plusieurs cordes à son arc. Il écrira 6 beaux romans entre 1999 et 2011.
Né en 1932 à Paris, le futur réalisateur commence ces gammes cinématographiques à la Libération comme assistant de Jacques Becker, Yves Allégret , Max Ophüls ou encore Marcel Carné. Entre deux tournages, il réalise en 1956 un court métrage, Léon la Lune, film muet qui conte une journée ordinaire d’un clochard et qui lui valut le Prix Jean Vigo pour sa poésie et sa critique sociale, deux constantes de son futur cinéma.

En 1964, dès son premier long métrage, La Vie à l’envers avec Charles Denner, Jean Yanne et Anna Gaylor, Jessua propose une réflexion radicale sur la société contemporaine avec ce personnage d’agent immobilier, lassé par son quotidien, qui décide du jour au lendemain de s’isoler dans son appartement en quête d’une nouvelle forme de bonheur, basculant progressivement dans la folie.
Trois ans plus tard, Jessua plonge dans l’univers de la bande dessinée et signe Jeu de massacre, avec Jean-Pierre Cassel, Michel Duchaussoy, Claudine Auger, intelligente interrogation sur cette imagination au pouvoir dont 68 se fera le chantre qui se transforme peu à peu en terrifiant thriller .
Entre 1973 et 1981, il tourne ses quatre plus grands succès qui semblent former une quadrilogie sur la société française en pleine évolution : Traitement de choc (1973) avec Alain Delon, Annie Girardot, Michel Duchaussoy et Robert Hirsch, implacable fable fantastique sur la quête du bonheur par le jeunisme et l’exploitation des immigrés, Armaguedon (1977) avec une nouvelle fois Alain Delon, Jean Yanne et Michel Duchaussoy, thriller prémonitoire de la téléréalité où un homme profère des menaces terroristes et utilise les médias pour se faire connaître, Les Chiens (1979) avec Gérard Depardieu, Victor Lanoux, Nicole Kalfan et Fanny Ardant, œuvre saisissante d’actualité qui analyse les dérives du tout sécuritaire, de l’auto-défense et de la paranoïa urbaine, Paradis pour tous (1982) avec Patrick Dewaere (son dernier rôle), Fanny Cottençon, Jacques Dutronc, Stéphane Audran, Philippe Léotard, critique lucide et ironique de la société de consommation et de la déshumanisation du monde de la réussite à tout prix à travers les tribulations d’un suicidaire à la recherche d’un bonheur illusoire ….

Alain Jessua réalise ensuite Frankenstein 90 (1984), relecture très libre du roman de Mary Shelley avec Eddy Mitchell et Jean Rochefort, puis En toute innocence (1988), un polar avec Michel Serrault et Nathalie Baye, et Les Couleurs du diable (1997) avec Ruggero Raimondi et Wadeck Stanczak qui revisite le mythe de Faust.
( Gérard Camy )
(1) La Cinémathèque Française a consacré , en Avril 2017 , une Rétrospective hommage , à l’oeuvre d’Alain Jessua.