La loi de Septembre 2013 qui oblige, sous douze jours, les patients hospitalisés sans consentement en psychiatrie, à être présentés au juge des libertés et de la détention. Le documentaire du cinéaste nous plonge au cœur du fonctionnement du système , autour de dix exemples emblématiques . La justice et la psychiatrie , au cœur d ‘un face -à -face, entre patients et juges …
Une image frappe d’entrée, le long et lent travelling dans un couloir d’hôpital Le couloir est vide , silencieux , seule la bande musicale d’Alexandre Desplat ( magnifique ) accompagne cet instant de suspension. Au bout du couloir , le travelling se clôt sur une porte qui restera fermée. Que se passe-t-il derrière celle-ci ? . Magistrale introduction intérrogartive qui place d’emblée le spectateur au cœur du sujet . Celui dont il va découvrir le fonctionnement d’un système judiciare mis en place: la Loi concernnant l’hospitalisation , sans consentement , des patients en psychiatrie. Nous sommes à l’hôpital Psychiatrique du Vinatier, à Lyon . Le cinéaste a choisi un dispositif simple . Face à trois caméras qui enregistrent les échanges , les Dix patients accompagnés de leurs avocats, vont être interrogés par quatre juges des libertés. Le dialogue s’instaure sur le bien fondé de la mesure: poursuivre leurs soins en détention ou être remis en liberté au vu de leurs dossiers et des avis des psychiatres qui les ont suivis . Sous le signe de la citation de Michel Foucault « De l’homme à l’homme vrai , le chemin passe par le fou » , le cinéaste poursuit l’investigation de l’une des thématiques au cœur de son œuvre ,dont ses documentaires ont interpelé sur des formes brutales et violentes de détention. Celles qui interrogent sur le fonctionnement des institutions chargées de les appliquer…

« Autrefois, la décision d’hospitaliser une personne contre son gré reposait sur le seul psychiatre et s’exerçait sans regard extérieur… » , le cinéaste en avait fait un constat saississant dans son Documentaire San Clemente (1980) tourné , alors, dans des conditions trés difficiles, car il était interdit de pénétrer dans ces lieux d’isolement . Le constat d’hier et ses abus , et la porte ouverte à l’intervention de la justice comme » cadre légal » , à la décision ( ou pas ) de l’enfermement . La porte ouverte à la parole de ceux qui ne l’avaient pas. Dix de ces audiences retenues sur les Soixante Douze filmées par le cinéaste . Il en a voulu un film-constat . Fidéle à sa manière de filmer et à son dispositif de regard neutre laissant la parole libre aux concernés, et aussi , le spectateur libre de se faire sa propre opinion , dit-il : « 12 jours tente de donner un point de vue universel et nouveau sur le problème complexe de la santé mentale (…) il donne la parole à ceux qui sont momentanément enfermés dans leur esprit et en ont perdu l’usage. Ces personnes vulnérables témoignent de leur histoire intime mais aussi à leur façon de l’histoire politique, sociale et morale de la France ». Et le constat est saisissant, de ce qui s’y révéle au cœur même de cette « ouverture démocratique » , nécéssaire . D’abord sur la complexité même des cas concernés et des raisons de leur enfermement vis à vis desquelles le regard de la justice ( des juges des libertés) , fait écho. Laissant percevoir une certaine forme de continuité …dans l’appréciation du bien fondé de leur internement . En effet , à l’issue de leur entretien , l’avis des psychiatres de le poursuivre n’est remis cause par aucun des juges !. Ce qui sous -entend que , sur les 72 audienecs filmées par Raymond Depardon, aucun avis défavorable aux psychiatres n’a été prononcé !…

Alors le sentiment de malasie s’installe . Car si les situations de certains coupables de délits graves , d’autres de perturbations mentales sévères nécessitant des seuvrages , par contre certaines reflètent des situations humaines , nécessitant une approche et des soins moins radicaux . D’autant que, par exemple, parmi les malades intérrogés certains font état des conditions brutales qu’ils ont eu à affronter suite à leur internement sans consentement. Certains témoignages interpellent en effet . Comme celui de cette employée de la société Orange , victime de harcélement au travail et hospitalisée selon la décision de l’employeur, et traitée comme une personne démente attachée et ligotée par le personnel dès son arrivée à l’hôpital !. Drôle de bienveillance attendue pour soigner le harcélement au travail …quand on sait ce que cette situation particulière avait entraîné alors comme vague de suicides ! . Pire (si l’on peut dire…) , encore avec l’exemple de cette jeune fille victime de viols et qui a tenté pour y échapper dit-elle , de se « lacérer les veines » afin de compenser la douleur insupportable faite à l’intégrité de son coprs. Et qui se retrouve détenue pour tentative de suicide , afin « …d’éviter de porter atteinte à son intégrité physique » , lui signifie-t-on . Pas de compassion envers elle non plus … et pas de rejet de la décison des psychiatres, alors qu’ aucun élément du dossier n’est évoqué ( est-elle une affabulatrice ?… a-t-on enquêté pour arrêter le supposé violeur? …) , pour justifier cette décision du juge des libertés de la mainternir , sous contrainte, en soins !…

La force du film de Raymond Depardon est de laisser cette parole libre, là . Avec tout ce qu’elle sous- entend , d’une souffrance et d’un enfermement qui parfois, peut être victime d’un autre enfermement . Celui des institutions judiciaires et d’une certaine rigidité ( les formules juridiques que ne comprennent pas les concernés…) que l’on emploie comme paravent, à une réalité que l’on refuse (?) de voir en face. A l’image de ce panneau d’inscription à l’entrée d’une porte de chambre de l’hôpital , indiquant « chambre d’apaisement » , filmé par le cinéate … et derrière cette porte, des cris que l’on entend . Des cris de souffrances qui resteront dans l’ombre, cachés …et les juges qui se cachent derrière leurs décisions , estimant « qu’ils ne sont pas médecins » !. Jusqu’à quand se renverra-t-on la balle ?…et à quoi servent, alors , ces audiences qui ne font qu’antériner les décisons des médecins psychiatres. Un dispositif lourd et coûteux en tout cas . Inutile ?, sans doute pas . Car comme il le faisait en montrant la psychiatrie d’un autre âge dans San Clemente et Urgences (1987) ) ; ou le fonctionnement de l’autorité judiciare : Délits flagrants ( 1994) et 10 ème Chambre ,instants d’audience (2004) , Raymond Depardon continue d’ausculter, la société Française et de l’interpeller sur le fonctionnement de ses institutions et de sa démocratie …
Ses documentaires sont éssentiels dans ce qu’ils révèlent de celle-ci ( le monde politique , le monde paysan, ses habitants …), et ce qu’ils dénonçent des dysfonctionnements. Une belle réplique de l’un des patients lancée en forme de défi à l’autorité du juge qui confirme son hospitalisantion sous contrainte , en dit long : « Merci de votre abus de pouvoir ! ». Billy Wilder dans la belle réplique finale de Certains l’Aiment chaud , faisait dire à un de ses personnages « nobody is perfect ! » ( personne n’est parfait !) . Certes , mais c’est de ce possible « abus » de pouvoir dont peuvent être victimes de certains des ses dysfonctionnements, qu’il faut protéger des individus malades et ( ou ) fragiles mentalement . C’est notre société toute entière qui a besoin d’une vraie « chambre d’apaisement » sans cris, douleurs , ni contraintes …
Raymond Depardon signe une nouvelle fois , après tant d’autres ( il a réalisé 20 longs métrages et 27 courts… ) , un documentaire passionnant et nécéssaire. A voir d’urgence .
(Etienne Ballérini)
12 JOURS de Raymond Depardon – 2017- Durée : 1h 27 .
Photographie : Raymond Depardon. Montage : Simon Jacquet, Musique : Alexandre Desplat.
Production : Claudine Nougaret. Compagnie de production : Palmeraie et désert .
LIEN : Bande -Annonce du film , 12 JOURS de Raymond Depardon.