Mademoiselle Tapotock ? Qu’est ce qu’elle fait, cette demoiselle ? Elle est de Paris ? Elle est from Argentières ? Elle chante le blues ? Cette Mademoiselle Tapotock est le titre d’une pièce de théâtre que j’ai vu récemment dans un petit théâtre.
Attention ! Quand je dis petit théâtre, je pense à la jauge de la salle. Un petit théâtre privé (de tout) comme il en existe beaucoup à Nice. Et quand je dis privé, je n’oublie pas que c’est le théâtre privé qui nous à fait découvrir Beckett et Ionesco. Bien sûr les théâtres publics s’en sont (comme dirait Dalila) emparé dans d’immenses scènographies qui dénaturent souventes fois le propos. Mais bast ! Je ne crie surtout pas sur le théâtre public, nombre de mes articles le démontre. Ni au demeurant sur le théâtre privé. Pour moi il n’y a pas public ou privé, il n’y a que du bon et du mauvais théâtre. Je vous l’accorde, c’est un peu plus complexe que cela.
Bon ! Comme dirait Maître Pathelin, revenons à ces moutons. Quid ? Un homme semblant avoir de petits problèmes de mémoire reçoit, avec sa femme, un vieil ami spécialiste de la réparation des cailloux… La secrétaire, Mademoiselle Tapotock, vaque à ses occupations, sourde aux sollicitations des maîtres du lieu, tandis qu’un dialogue paraissant saugrenu alimente l’entrevue.
Vous voyez que je n’ai pas parlé d’Ionesco et de Beckett en vain. A lire la synthèse de l’histoire – le pitch pour les amoureux de la langue française- on est pris à humer le fumet de la Cantatrice chauve, de Amédée ou comment s’en débarrasser, de Fin de partie et l’on subodore l’auteur, Christian Watine, être tombé dans le théâtre de l’absurde et depuis les effets sont permanents.
Attention ! Si Watine a bien humé ce fumet-là lui aussi, il n’en n’est pas le servile imitateur : vous savez, comme ces musiciens de jazz dont on se dit à l’écoute : tiens, il y a des harmoniques, des phrasés, des rythmes qui m’évoquent Miles, Dukes, Monk, mais ce n’est pas Miles, Duke, ou Monk : c’est lui, ce musicien. Il se passe la même chose : son écriture s’élabore dans des nourissements (ah ! les barbarismes de Barbarin !) mais il est loin d’être un plagiaire, là où d’autres s’y engouffre. Si le couple central évoque La Cantatrice chauve, il est loin d’en être le copier collé. Pourtant, Christian, c’est facile, c’est pas cher et ça peut rapporter gros !
Et le personnage de Mlle Tapotock est intéressant à plus d’un titre. La secrétaire qui apporte tout le temps des dossiers, pour laquelle tout ce qui l’entoure ne la concerne pas – d’ailleurs elle n’entend même pas quand les autres lui parlent- est une conception en droite ligne du théâtre de l’absurde. Et les autres personnages, qui s’aperçoivent de sont manque d’intérêt – ne serait-elle pas sourde- lorsqu’ils lui parlent, peuvent légitimement se demander : « Mais comment s’en débarrasser ? »
Mais le metteur en scène, Marc Meyer, amène son grain de fleur de sel dans la construction de ce personnage. Non au sens ou Stanislavski l’entend, mais au sens de Meyerhold, la biomécanique*. Et le travail actoriel d’Yvette Le Philippe, avec ses mouvements mécaniques n’est pas sans nous rappeler la démarche aliénée des ouvriers dans Métropolis, de Fritz Lang : l’automatisme de l’ « acting » de Mlle Tapotoc désigne, sans qu’il ne soit besoin d’une parole, son aliénation non seulement dans son travail mais aussi dans l’idéologie qu’elle subit. Et on rit à la voir, on se dit « quel personnage ridicule ! » Mais de te fabula narratur. Répétez « tapotock » en mode accéleré : vous allez avoir rapidement un sentiment d’appréhension.
Meyerhold affirmait : « Tout théâtre authentique ne peut pas ne pas être grotesque, qu’il soit un drame, une comédie, une tragédie, un vaudeville, une farce. » Et la direction d’acteur des autres comédiens va dans le sens de la recherche de l’expression, voire du sens, par le travail du corps. En voyant la gestuelle du couple, on pense immanquablement à cette réplique dans La cantatrice Chauve :
Mr Martin : Élisabeth, je t’ai retrouvée !
Mme Martin – Donald, c’est toi, darling !
Le metteur en scène, sans se détourner de son propos, à l’art de jouer avec les codes, non seulement avec le corps des acteurs mais aussi avec la scénographie : ainsi cet immense cadran mural, qui indique toujours la même heure (clin d’œil à l’absurde) fait venir à l’esprit celle de Metropolis, qui rythme l’absurdité d’un monde aliénant. Et tout cela sur un mode « ironiste », pour reprendre un mot de Jules Renard.
Tout cela me rappelle ce qu’écrivait Anne Bisang Directrice du Théâtre populaire romand de La Chaux-de-Fonds depuis 2013, après avoir dirigé le Théâtre de Genève : Le comique apporte une distance qui remet en question la représentation d’une certaine façon. Il est aussi une liberté redistribuée au spectateur, car le rire, très physique, sollicite et remet en jeu le corps. Les spectacles qui travaillent sur la fascination d’un bout à l’autre ont un caractère totalitaire que l’irruption du burlesque déjoue.
Mademoiselle Tapotock ? On ne peut pas dire qu’elle tape au toc ! Une pépite qu’il faut savoir chercher dans la bande de la gangue. J’ai bien le droit moi aussi de jouer avec les mots, scrogneugneu !
Un tout petit bémol, et encore je met un bémol au bémol : l’affiche porte la mention « une comédie déjantée ! » J’avoue ne pas savoir ce qu’est le déjantement au théâtre. Le déhanchment, oui, peut-être…
Mademoiselle Tapotock de Christian Watine, Mise en scène Marc Cohen, avec Yvette Le Philippe, Nadia Lang, Alexis Gourdon, Luc Bonnifay – Vu au Théâtre de l’Impasse, à Nice
Jacques Barbarin
*Le metteur en scène russe Meyerhold met au point une méthode révolutionnaire d’entraînement de l’acteur : la Biomécanique. Il rejette ainsi la méthode psychologique de Stanislavski (dont il avait été l’élève au Théâtre d’Art de Moscou), en se focalisant sur une approche purement physique
Voilà donc un article signé Barbarin, et que j’ai lu avec prudence pour commencer, puis avec un intérêt grandissant.
Le papier, dirai-je par déformation professionnelle, n’est pas dithyrambique. Non. Il est bien plus subtil que cela : mesuré. Voire généreusement mesuré. Il est analytique, sans pour autant nous priver de quelques jeux de mots et de clins d’œil humoristiques. Et si l’on y trouve des figures de style que d’aucuns nommeraient litotes et antiphrases, propres à nous interroger, c’est avec adresse qu’elles sont dissipées, ou complétées, ou clarifiées. Quant aux si bien choisies références théâtrales, elles sont là pour faciliter l’accompagnement pédagogique du lecteur, sans qu’on le croie pour autant incapable de distinguer les auteurs malgré leur possible sensibilité commune.
L’explication du personnage de Mademoiselle Tapotock me plaît à ravir. J’y vois même des indications que je n’avais pas traduites dans l’écriture de manière consciente.
J’en profite pour reconnaître dans le travail du directeur d’acteurs Marc Meyer, qui m’a relayé dans la mise en scène, un travail remarquable tout au long des répétitions, et je tiens ici encore à lui témoigner ma gratitude. J’avais compris qu’il avait fort bien senti ma pièce, lui aussi. Comme Jacques Barbarin, que je remercie pour son article.
Christian Watine