Cinéma / M. de Sara Forestier.

Le handicap, le repli, l’enferment dans la solitude comme parade aux Lazzi de certains regards extérieurs et aux bléssures intimes qu’ils générent . Autour de la recontre de Mo et Lila , qui le vivent dans leur chair , la comédienne dont c’est le premier long métrage , derrière et devant la caméra, en brosse un portrait juste et sensible…

l’Affiche du film.

Dans la première séquence du film qui s’ouvre en forme de documentaire, nous sommes d’emblée mis en présence d’une assemblée de jeunes bègues, réunis en séance par des assistants médicaux pour tenter de faire face à leur handicap. Chacun y est appelé à l’éffort pour trouver les mots , et exprimer les raisons de la barière de la peur et du complexe du blocage lorsqu’il s’agit de s’exprimer face à l’autre ou en public . Un réflexe de dissimulation , de déni du handicap et le refuge dans le mutisme qui ne fait que l’aggraver. Des séances collectives qui semblent porter leurs fruits …mais, pas pour Lila ( Sara Forestier) à  qui on donne la parole et dont le rictus du blocage, continue de laisser les mots prisonniers dans sa bouche . Au sortir de la séance , à l’arrêt de Bus , un jeune homme assez jovial , Mo  ( Redouanne Harjane ) l’aborde , et lui  demande de lui indiquer le chemin à prendre pour rejoindre une rue . Mais elle reste muette prend un carnet et lui déssine le chemin à suivre. Surpis de son mutisme , il insiste «  dis -le moi avec des gestes simples !...», Lila persite ….alors il la laisse,  et lui glisse quelques mots gentils «  vous êtes jolie… » enrobés d’un regard tendre  . La rencontre , toute en délicatsse et regards échangés , surprend Lila par son approche respectueuse. Quelque chose, vient de se passer…

Sara Forestier ( devant et derrière la Caméra ) – Crédit Photo: Ad Vitam Distribution-

La belle entamme du récit et des deux personnages, nous rend d’emblée spectateur curieux et en attente de ce qui va pouvoir de cette rencontre , se développer comme rapports entr’eux . D’autant que nous sommes rendus complices de ce que ne sait pas Lila . Le Mo en question jeune homme issu de la banlieue est un fan «  addict » des rodéos clandestins de voitures , et il cache lui aussi un handicap  : il est analphabète . C’est ce handicap dont ils souffrent qui va se greffer au cœur de cette rencontre se muant en liaison amoureuse , dont la comédienne -cinéaste s’est inspirée d’un vécu personnel . C’est sans doute dans « l’intimité » de ce vécu restitué en fiction , que son film trouve cette authenticité incroyable dans la description du handicap , et le ressenti de celui-ci . Ne négligeant ni le poids du regard extérieur , ni celui du vécu dans la céllule familliale . Les scènes concernant les deux cellules familiales qui révélent les bléssures comme une forme «  de transmission du malheur » . Le Père ( Jean-Pierre Leaud ) de Lila meurtri d’avoir perdu sa femme . Le trauma affectif de Mo dont on devine le poids confronté à celui de la tragédie de sa sœur, Naima (incarnée par Rania ) dans une magnifique scène . Les séquences concernant le regard extérieur , au delà des remarques bléssantes et du rejet ressenti font ressortir, la manière dont Lila , va trouver la parade à l’école , en s’investissant dans l’écriture poétique et le travail. Et Mo , , lui plongé dans l’adrénaline des rodéos automobiles  comme écho au film de Nicolas Ray , la Fureur de Vivre. Les choses ainsi posées ,  l’éssentiel étant dit  et refusant de surligner , dès lors  le choix du récit se focalise sur l’émotion et le ressenti :« une manière aussi de prendre sur eux, et même de s’en prendre à eux, ils portent chacun à leur manière quelque chose de sacrificiel, et même de masochiste. Ils ne déversent pas leur violence sur les autres, mais sur eux-même » , dit la cinéaste …

Mo ( Redouanne Harjane – Crédit Photo : Ad Vitam Distribution-

Une forme de rigueur et de simplicité voulue renvoyant aux frustrations , désirs, peurs ou réactions à des événements . Ces réactions viscérales provoquées qui les caractérisent dans leur recherche d’absolu «  ils préfèrent ne pas vivre quelque chose plutôt que de le vivre faussement, cette entièreté qui les pousse même à mettre leur vie entre parenthèses, comme s’ils étaient sur pause en attendant de vivre vraiment » . Une apprcohe rigoureuse de ce ressenti qui fait le prix du film et des séquences qui illustrent cette forme de vécu comme partie intime d’ une possible reconstruction . Tout le film tient sur «  la véracité de leur souffrance » dont on mesure l’auto-destructionn à laquelle elle peut conduire . C’est palpable chez Mo qui après avoir aidé Lila à se reconstruire grâce à son amour , et qu cherchera en secret de cette dernière,  à s’extraire de son propre handicap. Celui-ci , qui lui sera renvoyé en pleine figure ( la scène avec l’employé de cuisne …), il le percevra comme une double-peine , et basculera dans la violence . Chez l’écorché vif , il resurgit comme une malédiction sociale et une rejet de sa condition . Le monde entier semble se liguer contre lui et ne vouloir lui laisser aucune chance d’intégration . L’animalité , celle que l’amour avait rendue positive, va resurgir dans toute la brutalité . La rupture qui semble consommée entre le monde et lui . Redouanne Harjane , est exceptionnel dans ce qu’il distille à ce moment là d’emotions, de douleurs , de souffrances , et de noirceur infinie …

Mo et Lila:  Redouanne Harjane et Sara Forestier ( Crédit Photo: Ad Vitam Distribution )

Tout bascule , il voudra sacrifier son amour . Celui-ci pourra-t-il renaître ? . On vous le laissera découvrir.  Mais qu’elle sont belles et fortes ces scènes (baignées dans la douceur musicale accompagnant les paroles des chansons de Christophe )   et ce qu’elles distillent d’humanité sous  le scalpel des gros plans qui scrutent les moindres gestes et frissons «  je voulais que tout ce qui se passe découle de leurs émotions » . Et où se décline, ce que Mo et Lila trouvent dans leur liaison sentimentale et amoureuse, comme remède à leurs souffrances. Mais aussi, ce qu’il peut s’y glisser d’une douleur intime inavouable … même vis à vis de ceux à qui on est le plus attachés . C’est le poids de cette souffrance là , qui donne la vraie dimension au film. Celle dont Sara Forestier décrit le trauma profond . Celui de la « dissimulation » utilisée en  forme de protection,  lourde et grave  face à une autre dissimulation. Celle que le regard sociétal peut faire peser sur le vécu du handicap : le poids de la honte. Révélateur , dit-elle « …de la puissance d’une émotion universelle sur le rapport à soi-même et le désamour que l’on peut avoir.. ». Son film en  offre une perception, très forte et juste  . L’originalité  de son approche , est là . Par ce biais son regard sur le vécu du handicap, qui renvoie dès lors au spectateur une autre perception de celui-ci …peut permettre d’en prendre conscience, et  le modifier  en respect .
Un premier long métrage prometteur qui laisse bien augurer d’une carrière derrière la caméra qu’elle dit souhaiter poursuivre …

(Etienne Ballérini)

M de Sara Forestier – 2017- Durée : 1h 38.
Avec : Redouanne Harjane , Sara Forestier , Jean-Pierre Léaud, Live Andren, Nicolas Vaude , Djouhra Lacroix dite Djura , Guillaume Verdier, Rania , Maryne Cayon …

LIEN : Bande-Annonce du Film , M de Sara Forestier .

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