Théâtre / Edmond d’Alexis Michalik

C’est un roc ! … c’est un pic… c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … c’est une péninsule ! Et cette péninsule-là à trusté les derniers « Molières » : il s’agit d’Edmond, la dernière pièce d’Alexis Michalik.

Meilleur spectacle de théâtre privé, meilleur auteur francophone vivant, meilleur metteur en scène d’un spectacle de théâtre privé, révélation masculine Guillaume Sentou, meilleur comédien dans un second rôle Pierre Forest : fermez le ban.
Au demeurant, l’auteur n’est pas ignorant du TNN, tout au moins de sa directrice, puisqu’il à joué dans une mise en scène de Irina Brook, Juliette et Roméo – non, je ne me suis pas trompé-  créée le 7 décembre 2001 au théâtre Vidy (Lausanne).
Alors, qu’est-ce que cet Edmond  – là ? Bien sûr, l’on pense immédiatement à Edmond Rostand et tout naturellement à Cyrano de Bergerac. Et l’œuvre se présente comme les prolégomènes qui ont amenés à la première, le 28 décembre 1897 au Théâtre de la Porte St Martin : aussi bien l’écriture, les répétitions, et le « contexte » socio- culturel de l’époque.
Ce qui nous vaut un magnifique anachronisme puisque nous entendons les répétitions du Boléro de Ravel, qui, comme nul n’en n’ignore a été composé en 1928. Or, qu’este ce le Boléro sinon une immense répétition d’un même thème aboutissant à la modulation finale, c’est-à-dire la représentation ?
On peut dire de la pièce qu’elle se construit comme une mise en abyme. La force de l’écriture est que, au commencement de chaque séquence, nous hésitons à tenir de savoir dans quelle typologie de récit nous sommes, dans quelle mise en récit –que les journalistes respectueux de la langue française appellent le story telling- nous nous situons, comment les structures narratives se mêlent, s’emmêlent.
Et la grande subtilité de cette œuvre, c’est qu’elle cache sa « complexité » -toutes choses égales par ailleurs- c’est qu’elle se formalise sous l’apparence d’un vaudeville, avec nervosité du rythme, « portes qui claquent et claque qui portent. » Et là, nous ne sommes pas dans l’anachronisme, souligné par la présence sur scène de Feydeau de Labiche.
Mais, allez-vous me dire, de quoi t-est-ce que ça cause ? Donc, voici la synthèse de l’histoire, que les journalistes respectueux de la langue française appellent le pitch : Décembre 1897, Paris. Edmond Rostand n’a pas encore trente ans mais déjà deux enfants et beaucoup d’angoisses. Il n’a rien écrit depuis deux ans. En désespoir de cause, il propose au grand Constant Coquelin une pièce nouvelle, une comédie héroïque, en vers, pour les fêtes. Seul souci : elle n’est pas encore écrite. Faisant fi des caprices des actrices, des exigences de ses producteurs corses, de la jalousie de sa femme, des histoires de cœur de son meilleur ami et du manque d’enthousiasme de l’ensemble de son entourage, Edmond se met à écrire cette pièce à laquelle personne ne croit. Pour l’instant, il n’a que le titre : Cyrano de Bergerac.


Pour en revenir à l’écriture de la pièce, j’ai l’impression que dans cette mise en abyme dont je parlais, dans ce glissement d’une typologie de situation à une autre, nous avons presque affaire (à faire ?) à un processus de transfert : une situation vécue dans le réel, avec ses parts d’incomplétude, va se sublimer en sa traduction fictionnelle. Flaubert disait : « Madame Bovary, c’est moi ». La pièce de Michalik
décortique comment Edmond se met dans la peau de Cyrano, bien que je n’aime pas cette expression. Sauf qu’il n’a pas besoin de jouer le rôle de Cyrano, puisqu’il est tous les personnages.
Et encore une fois, ce n’est pas parce que la pièce nous donne à réfléchir qu’elle ne nous donne pas à nous divertir (l’inverse est également vrai). Le divertissement n’est pas le superfétatoire, il est ce qui sait nous écarter, faire un pas de coté. « 
Divertissement. Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux de n’y point penser. » (Blaise Pascal, Les Pensées).

J’ai parlé des « producteurs » corses ». Alexis Michalik  affuble ces personnages d’un accent corse qui étonne – voire détone- un peu. Mais, finalement, on se retrouve presque dans la BD, cette « caricaturisation » étant à l’aune de la fonction des personnages. Au demeurant, ils font irrésistiblement penser, par le fait qu’ils interviennent toujours de conserve, par leur vêture similaire, à Dupont et Dupond. Chaque fois que ces deux -là parlent (Christian Mulot et Pierre Benezit) j’ai l’impression qu’il vous commencer par « et je dirais même plus… »
Le 28 décembre 1897, la grande Sarah Bernhart joue dans un théâtre. Elle ne peut donc assister à la première de Cyrano. Mais elle se débrouille pour assister au dernier acte. Jules Renard dans son Journal, le 28 décembre,  rapporte ses propos: « J’ai pu voir le dernier acte. Que c’est beau ! Acte par acte, mon fils me tenait au courant, dans ma loge. Je me suis dépêchée de mourir. Enfin, me voici. Je suis dans un état !… regardez mes larmes. Regardez ! Regardez ! Je pleure.» Cette scène est reprise dans Edmond, Sararh est interprétée  avec le jeu généreux, intense, de Valérie Vogt.
Il me faut parler de Pierre Forest, qui prête sa présence à Coquelin. Comme on dit, il n’a pas trouvé son Molière dans une pochette-surprise. Il m’a – je le dis- époustouflé. Quel tempérament, quelle omniprésence ! Son jeu sait à la fois être ample et plus intérieur. Oui, vraiment, « C’est un roc ! … c’est un pic… c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … c’est une péninsule ! ». Bref, un grand.
Si Edmond Rostand est le fil rouge de la pièce, son interprète, Guillaume Santou en est le feu follet, le ludion. IL en est le dynamiteur en même temps que l’accoucheur. Lui non plus n’a pas trouvé son Molière dans une pochette-surprise.
Une belle présence aussi est celle d’Eriq Ebouaney,  dans le rôle de M. Honoré (et aussi d’autres), le directeur d’un bar, altruiste, humaniste, une conscience. Il est noir, et cette « différence » le rapproche de ce que souffre Cyrano du fait de sa laideur.
Edmond a eu le Molière du meilleur spectacle de théâtre privé. Privé de quoi ? En tous cas, nous, nous n’avons pas été privés de théâtre.
Laissons le mot de la fin à Léon Blum, cité par Jules Renard, toujours le 28 décembre : « Vous devriez, vous qui avez de l’influence sur Rostand, l’empêcher de faire autre chose que du théâtre. Surtout, qu’il ne publie pas ! »

Jacques Barbarin

Edmond, TNN, 04 93 13 19 00 Samedi 21 à 20h, Dimanche 22 à 15h
Texte & mise en scène Alexis Michalik avec Pierre Benezit, Christine Bonnard, Stéphanie Caillol, Pierre Forest, Kevin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Jean-Michel Martial et Eriq Ebouaney en alternance, Anna Mihalcea, Christian Mulot, Guillaume Sentou, Régis Vallée, Valérie Vogt décor Juliette Azzopardi lumière Arnaud Jung costumes Marion Rebmann combats François Rostain musique Romain Trouillet assistante à la mise en scène Aida Asgharzaden
Si vous ratez l’une de Ces deux programmations (plus qu’un crime, une faute) sachez que cette pièce est à l’affiche  jusqu’en avril au Théâtre du Palais-Royal 38, rue de Montpensier 75001 PARIS
 

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