Cinéma / TEHERAN TABOU d’Ali Soozandeh.

Sélectionné à la semaine de la Critique au Festival de Cannes , le film du réalisateur Iranien sur la vie sexuelle « dissimulée », des hommes et des femmes de son pays , sort sur les écrans. Un film superbe à ne pas manquer …

Crédit Photo: ARP Sélection

Téheran Tabou de Ali Soozandeh est une sorte de surprise au vitriol. Film d’animation utilisant la technique de la rotoscopie, il utilise des acteurs en chair et on os, filmés sur fond vert et redessinés image par image. C’est peu dire que le résultat est saisissant. On pourrait presque parler de documentaire animé tant les personnages sont ancrés dans le réel et résonnent fortement à l’écran.
Téhéran Tabou  passe en effet en revue les multiples contradictions qui traversent la société iranienne où l’hypocrisie semble aussi indispensable que l’huile dans les engrenages.Film coup de poing, Téhéran Tabou nous saisit au collet dès les premières images de cette femme, foulard rouge sur la tête, qui fait le trottoir accompagnée de son fils. Et elle n’est pas la seule d’après le chauffeur de taxi qui la fait monter pour une pipe, pendant que le petit garçon assis sur le siège arrière observe ce qui se passe dans la rue…
La deuxième scène conduit cette même jeune femme, enveloppée cette fois-ci d’un tchador  vert de gris, au parloir d’une prison lambda. Là, face à son mari drogué, elle refuse de continuer à le fournir. Dans la troisième elle se retrouve au tribunal face à un juge qui lui refuse le divorce sans même regarder le dossier, tout en se disant ouvertement intéressé par ses services…. Ces quelques premières minutes sont implacables.
Mais le film ne fonctionne pas uniquement à la dénonciation. Le graphisme est particulièrement soigné et le choix des couleurs toujours significatif.
Le récit est d’ailleurs rythmé par des passages chez le photographe pour des photos d’identité et celui-ci demande toujours à quoi va servir la photo avant de proposer la couleur du fond. Foncé, pour tout ce qui est administratif, plus gai si c’est à des fins privées !!.

Crédit Photo: ARP Sélection

Nous avons ainsi 4 portraits ( 3 femmes et un homme), de personnages « atypiques » au regard de la société.
Si les femmes sont victimes du simple fait d’être femme, soumises au pouvoir des hommes et à la pression sociale, Babak est un jeune musicien qui essaie de résister au rouleau compresseur de l’uniformisation.
On sent chez le réalisateur, installé depuis 20 ans en Allemagne, une nécessité absolue de traiter de tous les sujets tabous dans la société iranienne, de se servir de la liberté de création dont il jouit en Occident pour dire et montrer tout ce que les cinéastes iraniens ne peuvent dénoncer sans de multiples détours et métaphores. Nous sommes ici au contraire dans une exposition frontale. Le film réussit néanmoins à être autre chose qu’une simple énumération qui pourrait vite devenir fastidieuse.
Prenant le parti du film choral, où tous les personnages finissent par être reliés entre eux, Ali Soozandeh mise sur le montage pour garder un rythme soutenu et nous faire passer d’une histoire à l’autre, d’un milieu à l’autre, d’un petit arrangement avec la loi à une grosse entorse qui peut coûter très cher.
À noter encore les respirations, nombreuses, de vues de Téhéran avec souvent une échappée vers le ciel, pour nous permettre de rependre notre souffle et même de garder espoir pour ces personnages qui sont tous attachants dans leur différentes formes de résistance au désespoir ambiant.

Crédit Photo : ARP Sélection

Car il faut le dire, la situation n’est pas rose et il faut beaucoup d’énergie pour continuer à avoir envie de … continuer.
La plupart rêvent d’ailleurs et partiraient s’ils le pouvaient, quitte à se vendre comme jeune vierge à Dubaï. Les choses sont dites très crûment dans Téhéran Tabou et souvent montrées sans détour, avec un sens aigu du détail qui fait mal.
Le sexe est omniprésent, ce qui montre bien à quel point c’est un abcès de fixation de la société iranienne toute entière. Et on peut se demander s’il n’y a pas un lien entre le goût du juge pour la strangulation érotique et le nombre de morts par pendaison qu’il ordonne sans doute fréquemment. Les silhouettes de pendus qu’on voit au détour d’une rue, filmés par les badauds avec leur téléphone portable est d’ailleurs l’une des plus glaçantes du film.
Téhéran Tabou est donc un film qui nous malmène et on ne peut douter de la véracité des situations qu’il dénonce. La dernière scène, tragique, est sans doute la plus belle visuellement, la plus cruelle aussi. Sara endosse ses grandes ailes rouges sans même l’illusion d’Icare. Tout le monde n’a pas toujours envie de continuer.
Le film nous laisse un goût amer, sachant qu’il ne pourra pas être diffusé en Iran. En tout cas pas légalement, mais Téhéran Tabou nous aura appris que pour rigide qu’elle soit, la loi peut toujours être contournée.

Josiane Scoléri .

THERAN TABOU d’Ali Soozandeh – 2017- Durée : 1h 36
Avec : Elmira Rafizadeh, ,Zar Amir Ebrahimi, Arash Marandi, Negar Nasseri, Bilal Yasar,…
LIEN : Bande -Annonce  officielle  du film Téhéran Tabou d’Ali Soozandeh . ( ARP Sélection)

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