Après son Renoir (2012) , dans son nouveau film , le cinéaste Niçois explore les destins croisés de trois familles . La complexité et la déliquescence des rapports humains mis à l’épreuve de la violence conjugale dans tous ses états. Un constat sombre et amer, et quelques lumières d’espoir , sous le ciel bleu d’Azur.

Adapté des nouvelles du romancier Américain, Richard Bausch , sur la thématique des rapports familiaux débordant sur celle , plus large , des rapports humains dans la société en général . C’est d’ailleurs cet aspect auquel le film renvoie qui est passionnant , vécu ici dans l’atmosphère , le cadre et le décor de Nice, la cité Azuréenne où la clarté du soleil et le bleu de la mer en toile de fond font miroir, à une réalité plus sombre . Celle qui se déroule dans les intérieurs Bourgeois cossus , voire anciens, où la vie des individus bascule . A l’image de cette séquence joyeuse du mariage de Joséphine ( Alice Isaaz ) et Tomasz ( Vincent Rottiers), qui ouvre le film , dont le basculement va très vite renvoyer au néant le bonheur qui semblait lui être promis. Dans ce décor où les extérieurs servent de cadre au travail et à l’activité des personnages que l’on va suivre , le récit nous renvoie celui des intérieurs où l’intimité de ces derniers s’y déroule à l’abri des regards, dans un tout autre rapport. D’ailleurs, habilement , dans une sorte de montage paralléle , Gilles Bourdos oppose les deux univers ( extérieur / intérieur ) , comme reflet d’indication de l’écriture ( scène de jour / scènes de nuit ) scénaristique . La thématique de l’opposition définie comme une forme de confrontation et de passage d’un état à un autre . Celui dans lequel s’inscrivent les destinées des individus qu’on nous invite à suivre dans le basculement de leurs rapports et de leurs vies, mis à l’épreuve de leurs choix et des tensions ( dominant / dominé ) violentes, qui s’y inscrivent …

Gilles Bourdos entretient tout au long de son film cette tension , à la manière d’un Hitchcock, en l’inscrivant dans la « logique » des personnages qui y sont impliqués , pour nous faire mesurer, ensuite , l’écho et les résonnances qu’elle suscite sur les proches concernés , mais aussi ceux qui ne le sont pas . Comme c’est le cas de Vincent ( Eric Elmosnino), voisin d’appartement du jeune couple Joséphine et Tomasz. Avec cette habileté d’écriture qui fait que ce dernier , au bout du compte est amené lui aussi à vivre par l’intermédiaire de sa fillle , une expérience qui finira par le pertuber , bien plus que les démêlés de couple dont il est le voisin . La construction voulee « en mosaïque » par le cinéaste afin dit-il de « composer un objet ( film) à multiples facettes qui échappe par là même , à toute conclusion globalisante en terme de sens » . C’est est un véritable choix de point de vue qui offre au film selon nous , la grande force du constat dont le spectateur va être le témoin des développements des trajectoires que l’on nous invite à suivre . Un regard extérieur, auquel on se retrouve face à l’écran impliqué comme témoin extérieur, et dont les destinées finissent par nous ébranler par le déroulement des faits et de ce qu’ils révélent des personnages . A la fois de la violence , des tensions et ( ou ) des non-dits qui s’y inscrivnt , en même temps que de la réalité brute des faits qui s’y déroulent dont la forte dimension psychologique qui les imprègne , est révélatrice . Des comportements de dépendance et ( ou) d’impuissance , auxquels ils doivent faire face et des lâchetés qui s’y révélent , comme des rapports d’enfermement , des névroses et des derives , dans lesquelles ils peuvent finir par sombrer …

Ainsi le jeune couple Joséphine / Tomasz, où la jalousie et la posséssion s’invite, et la violence qui s’ensuit . L’impuissace de Joséphine à y faire face et à dénoncer son bourreau pour sortir de l’enfer , à laquelle s’ajoute celle des parents ( Grégory Gadebois et Suzanne Clément ) dont le couple se désagrège envahi par leurs problémes relationneles et confrontés à ceux de leur fille , en rupture avec eux . Des parents pafois dépassés , comme ceux de Josphine qui vont tenter de sauver leur fille de l’emprise de son jeune mari violent .. et peut-être aussi ,tenter de sauver leur couple . Mais aussi , ceux de l’autre couple en instance de séparation ( Eric Elmosnino et Agathe Dronne ) à qui le ciel semble tomber sur la tête … confronté à la liaison de leur fille, Mélanie ( Alice De Lenquesaing ) enceinte d’un professeur de 63 ans !. Puis , encore ce jeune étudiant, Anthony ( Damien Chapelle ) plein de projets et de recherches linguistiques , mais inhibé et en quête ( sur internet ) de rencontres et d’amour , qui va devoir se consacrer à une mère ( Brigitte Catillon ) , en perte de contôle hospitalisé en psychiatrie et à l’appartement familial, en total délabrement . Le récit , explore avec subtilité les thématiques de la soumission et (ou) de l’aliénation possible , qui s’attachent à chaque cas . Ces « espèces ménacées » du titre pourront-elles s’en sortir ? . Gilles Bourdos – et c’est aussi la force de son film – au cœur de son constat, où la gravité est constamment présente avec le basculement vers la renoncement et la folie qui guette dans laquelle certains sombrent , ouvre l’espoir dans le refuge de la cellule familale, comme possibilité du sursaut salvateur auquel les épreuves affrontées vont finir par laisser entrevoir une petite lumière. Celle d’une renaissance à la vie et à l’espoir …

Dans les décors parfois fantômatiques d’une villle où l’hiver s’est installé ( l’envers du décor touristique et de carte postale… ) celui des lieux de transit ( hôtel , parking … voie rapide la nuit ) et dans les appartement résidentiels , où la solitude s’inscrit au cœur de cet hiver des individus mis à l’épreuve, le film trouve sa véritable alchimie et sa force dramatique , par une osmose exceptionelle des comédiens à son service ( ils sont tous cités dans le générique ci-dessous , car ils le méritent amplement ) , venus de milieux divers ( Jeunes débutants , autodidactes comme Vincent Rottiers , ou ayant fait leurs preuves à la scène comme à l’écran ) . Il faut dire -et ce n’est pas nouveau pour ceux qui l’ont suivi depuis ses débuts – que dans chacun de ses films Gilles Bourdos s’est révélé aussi comme un excéllent directeur d’acteurs . Sa passion de l’image et celle des comédiens conjuguée , offre ici , un plaisir de la vision , qui confère à son film , une inégalable force dramatique. Ne le manquez surtout pas …
( Etienne Ballérini )
ESPECES MENACEES de Gilles Bourdos . 2017- Durée : 1h 45-
Avec : Alice Saaz, Vincent Rottiers, Grégory Gadebois , Suzanne Clément , Eric Elmosnino, Alice De Lenquesaing , Carlo Brandt, Agathe Dronne, Damien Chapelle, Brigitte Catillon, Pauline Etienne, et Frédéric Pierrot.
LIEN : Bande-Annonce de Espèces Ménacées de Gilles Bourdos.