La première guerre mondiale , le front et l’horreur , la désertion. Inspiré d’une histoire vraie , celle de Paul Grappe qui , pour se cacher et échapper au peloton d’exécution va se déguisera en femme et vivre dans la clandestinité . Le cinéaste le construit en un superbe récit doublement emblématique sur les séquelles d’un conflit, et sur l’indentité sexuelle …

L’histoire de Paul Grappe et de sa femme Louise, a été découverte et sortie de l’oubli , par des historiens ( Danièle Voldman et Fabrice Virgili dont le film s’est insipiré de leur récit « la garçonne et l’assassin » ), sur leurs recherches dans les archives la préfecture de Police de Paris. Une récit qui ne pouvait que passionner le cinéaste qui avait évoqué dans Les égarés ( 2003 ) l’exode de 1940 et les séquelles de la seconde guerre mondiale. On retrouve, ici, dans Nos années folles , l’exploration des thèmes favoris de son œuvre , sur les événements qui vont bouleverser les vies de ses héros , et lui permettent une approche romanesque . L’histoire de Paul et Louise Grappe ( Pierre Deladonchamps et Céline Sallette, excéllents) , jeune et beau couple , dont la passion amoureuse va être confrontée à la séparation due au premier conflit mondial pour lequel Paul se retrouve mobilisé sur le front et les tranchées. Ce dernier ne supporte pas le carnage , les horreurs et la longue séparation d’avec Louise. Bléssé et soigné à l’hôpital, il en profite pour se dérober à la surveillance et déserter . Contraint à devoir se terrer dans la sous -sol de la maison familaile, pourra-t-il longtemps rester à l’abri des recherches de l’armée et de la police , et aux possibles dénonciations ? . A Louise, qui travaille dans un atelier de coûture comme brodeuse de vêtements féminins, vient l’idée d’une solution , celle de ces habits que Paul pourrait revêtir, qui ouvriraient au couple la double possibilité , par la complicité du déguisement rendant Paul méconnaissable , de le mettre hors de danger d’une arrestation , et au couple de continuer à vivre , sous le couvert de cette « clandestinité » vestimentaire protectrice , leur passion amoureuse…

Paul a beau trouver cela ridicule , mais n’ayant pas d’autre choix il finira par s’y résoudre . Le « jeu » accepté dans lequel il bascule , va provoquer le déclic attendu d’une nouvelle « fusion » complice , et permettra même à Paul …après hésitation , de s’aventurer dans la rue et se sentir, libre . Il finira par y prendre goût et se rendre dans ces soirées « particulières » où justement l’ivresse de la fête et les déguisements, sont devenus les appels d’air et de liberté que les célèbres « années folles » et la grande vogue des cabarets, ont symbolisé . C’est cette « mue » qu’André Téchine va décrire et dans laquelle le double féminin de Paul , Suzanne, va se laisser envahir . Les choses mises en place et parfaitement servies par un superbe et minutieux travail ( costumes , décors… ) de reconstitution , auquel le théâtre de la répésentation fantasmée de la fiction au cabaret , sous la conduite du Mr Loyal ( Michel Fau) mettant en scène la vie de Paul , renvoie ( on pense au Lola Montes de Max Ophulé ) le recul et la distanciation . Ce dernier, y devient un objet de « sensationnel » exposé en pâture sous la lumière des projecteurs , aux lazzis du public. Dès lors, le prix à payer de sa métamorphose qui lui est renvoyé en miroir , deviendra révélateur d’un térrain idéal et « excitant » pour André Téchiné . Celui qui lui permet d’évoquer , à la fois le vécu d’une tragédie collective et individuelle , où tout est lié à la guerre « cette histoire arrive à cause de la guerrre , tout explose à partir d’elle (…) c’est à cause de la guerre que tout part dans tous les sens et se disloque » dit-il . Et rien, après , ne sera plus comme avant . Les familles qui y ont perdu les leurs, et retrouvé maris , pères et enfants bléssés ou invalides, qui doivront réapprendre à vive . Cette vie qui continue, comme c’est le cas de la population de l’arrière qui en a subi les séquelles , dont en retrouve le vécu chez les ouvrières de l’atelier où travaille Louise , et où la solidarité qui s’installe n’est pas un vain mot. Au cheminement de déserteur de Paul , André Téchiné oppose le parcours de celui qui en a fait l’expérience inverse , et qui dit « s’être réalisé au front et fondu dans la nation par sa quête de gloire et d’héroïsme », le comte dandy et mystique, Charles de Lauzin ( Grégoire Leprince -Ringuet ) , amateur d’art , ouvert aux mélanges de classes sociales et d’expériences , fasciné par Paul/ Suzanne, et sa femme Louise dont amoureux , il voudra devenir le protecteur …

Le couple au centre du film et au cœur de cette tourmente que le cinéaste va suivre , pris au au piège de celle-ci , et en décrire les étapes de la transformation qu’il subira . La belle idée c’est son choix d’un récit qui en renforce l’impact , par la structure « morcelée et éclatée » qui évoque celle des éclats de la guerre où « tout se disloque » . C’est ce qui arrivera au couple qui va « perdre pied » , par les choix auxquels il a été contraint pour éviter le pire ( le peloton d’excution pour désertion…), et tenter de faire perdurer sa relation fusionelle … qui finira par être impactée par la naissance de cette, Suzanne, conçue comme salvatrice . Mais, les entraînant vers l’inconnu s’immiscant dans le quotidien, et finir par le rendre insupportable. Le couple qui devait se retrouver encore plus solide , va subir les contre-coups de la métamorphose de Suzanne, qui ne voudra plus quitter ses habits … y compris , lorsque le danger de la clandistinité ( amnistie …) sera passé . Suzanne, emportée dans le tourbillon des années folles, s’y laissera happer . De deserteur en travesti, puis prostitué assumé lui permettant de faire renter « l’argent à la maison » , la « mue » identitaire et les exigeances de Paul finiront par briser , l’intimité et l’amour profond qui avait maintenu à flot jusque là , le couple . « Louise va être très ébranlée par la conduite de Suzanne. Elle va assister à ce rêve d’émancipation qui passe par la débauche et débouche sur la prostitution, elle va en être profondément troublée, perturbée. Tout cela, j’avais vraiment envie de le faire sentir à l’intérieur… » , explique André Téchiné . Désormais Suzanne est devenue par son déguisement , une créature de la guerre, comme le suggère la superbe scène dans le bois de Boulogne , et sa rencontre avec une « gueule cassée » dont le visage a été défiguré au front . « Paul Grappe en se muant en Suzanne trouve un espace de liberté, mais, la société lui renvoie l’image d’un sous-homme » . André téchiné y questionne au passé ( mais aussi , les renvoie au présent..), le thème de l’identité ( sexuelle ), et celui de l’exclusion à laquelle Paul refusera de se soumettre . Comme le souligne , la séquence de la réprésentation théatrale qui la lui renvoie par les questions insidieuses du public auquel il refuse de répondre. Au bout du compte la guerre a fini par rattrapper , Suzanne et le couple qui, par elle , a cherché à lui échapper …
André Téchiné construit un bouleversant récit sur les conséquences de la guerre, l’exclusion, la déchance sociale, la souffrance, et la solitude radicale dont le ressenti de « maudit » par Paul, finira par le rendre violent , et le perdre …
(Etienne Ballérini)
NOS ANNEES FOLLES d’André Téchiné – 2017- Durée : 1h48.
Avec : Céline Sallette , Pierre Deladonchamps , Grégoire Leprince-Ringuet , Michel Fau, Virginie Pradal, Mama Prasinos, Axelle Equinet, Peter Bonke …
Lien : Bande -Annonce de Nos Années Folles d’André Téchiné .
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