Directeur de la photographie, Philippe Van Leeuw est devenu réalisateur en 2009. Avec Une famille syrienne, il signe son second long métrage en tant que cinéaste. Le film a été primé à plusieurs reprises cette année dans les festivals, à Berlin, puis à Angoulême.

Philippe Van Leeuw a d’abord été directeur de la photographie avant de se lancer dans la réalisation. il a travaillé ainsi avec Bruno Dumont, sur La Vie de Jésus, et Claire Simon, sur Les bureaux de Dieu. Avec la casquette de réalisateur il a abordé avec son précédent et premier long métrage, Le jour où Dieu est parti (2009), le génocide rwandais. Avec Une famille syrienne il demeure fidèle à un cinéma engagé qui fait de l’humain le cœur de ses préoccupations. Sous la forme d’un huis clos, qui respecte la règle des trois unités (temps, lieu, action) du théâtre classique, il évoque le quotidien d’une famille syrienne, dernière occupante d’un immeuble dévasté dans Damas en proie à la guerre.
D’emblée, le réalisateur prend la parti de ne pas s’attarder sur le conflit. Un homme, le mari de Halima (Diamand Abou Abboud), la voisine dont l’appartement a été dévasté et qui s’est réfugiée avec leur bébé chez Oum Yazan, interprétée par Hiam Abbass, choisit de sortir. Il est très vite la cible d’un tireur isolé qui l’abat. Son corps gît derrière des décombres. Est-il blessé ? Est-il mort ? Nous n’en saurons rien dans l’immédiat. La scène a été observée depuis la fenêtre par Delhani (Juliette Navis), la bonne, horrifiée, qui se confie à Oum Yazan. Des tenants et des aboutissants d’un conflit, bien plus complexe que les raccourcis qu’en donnent habituellement les médias occidentaux, nous n’en saurons rien. Les propos du réalisateur sont tout autre. Ce n’est pas un film de guerre, mais un film sur les conséquences de la guerre sur des civils.

Oum Yazan prend la décision de ne rien dire à Halima et fait promettre à Delhani de garder le terrible secret. Le beau-père, un vieillard, est le seul homme adulte. En l’absence de son mari, à l’extérieur, et qui est peut-être un combattant sans que cela soit une certitude, Oum Yazan essaie d’organiser au mieux la vie dans des conditions particulièrement difficiles. L’eau et les vivres sont rationnés, le réseau est coupé rendant les communications impossibles, et bien sûr, il y a le danger lié aux bombardements, aux tirs de roquettes ou patrouilles de soldats, de mercenaires, de miliciens, dont on ignore de quel côté ils sont, ou de pillards. L’angoisse et la peur sont permanents. Il n’est pas étonnant que Philippe Van Leeuw ait pensé à Hiam Abbass dès l’écriture du scénario pour interpréter Oum Yazan. Comédienne et réalisatrice engagée, en faveur des femmes ou pour la cause palestinienne, elle prend les choses à bras le corps dans la vie, comme le fait son personnage de mère courage. A ses côtés, dans le rôle de la jeune mère, il y a Diamand Abou Abboud, une comédienne libanaise encore peu connue en Occident, particulièrement émouvante dans une scène, à la limite du supportable, dans laquelle elle doit faire face à deux combattants qui veulent la violer. Elle est prête à se sacrifier pour protéger les autres occupants de l’appartement. Son geste en vaut-il la peine ? Le réalisateur refuse de juger et ne fait que montrer des comportements et des réactions qu’engendrent la guerre. Juliette Navis, la comédienne française qui joue la domestique, et les autres comédiens, des enfants au grand-père, syriens, tirent également leur épingle du jeu. Même s’il n’a pas signé la photo du film, l’expérience de Philippe Van Leeuw en tant que directeur de la photographie est indéniable. Dans la recherche d’authenticité, malgré le huis clos, la caméra ne demeure pas statique. Portée à l’épaule, elle suit les acteurs au plus près voire en gros plans, souvent en plan séquence, au cours de leurs déplacements d’une pièce à l’autre.

En dépit du titre, du scénario, du contexte, le film a été tourné, non-pas en Syrie et on comprend aisément pourquoi, mais au Liban proche, à Beyrouth que le réalisateur connaît bien, avec des comédiens mais aussi des techniciens syriens, le drame que vit cette famille peut tout aussi bien se dérouler à d’autres époques et dans d’autres pays (Liban, Gaza, Bosnie, Libye). Les drames humains n’ont pas de frontière, hélas.
Le film a été primé à Berlin cette année (Prix du Public) et à Angoulême (Mise en scène, Public et Interprétation féminine : pour Hiam Abbass et Diamond Abou Abboud) ) le mois dernier. Quatre bonnes raisons de plus d’aller le voir au cinéma.
Une famille syrienne (Insyriated) de Philippe Van Leuw (Belgique/France – Drame – 2016 – 1h26) avec Hiam Abbass, Diamond Abou Abboud, Juliette Navis, Mohsen Abbas, Moustapha Al Kar.
Philippe Descottes
Voir la bande-annonce du film (vostf – KMBO)