Le comédien- cinéaste dont la liberté et l’audace d’écriture s’est distinguée comme une constante de ses réalisations derrière la caméra ( Tournée , La chambre Bleue ) , nous propose avec son dernier film sur la chanteuse Barbara , une magnifique approche . Déjouant les pièges des clichés du portrait et du biopic , il construit une superbe réflexion multiforme sur la création en marche …et à vif . C’est superbe. Le film a été couronné récemment par le Prix Jean Vigo …

Dès les premières images , la voix de la longue dame brune chantée par Georges Moustaki , sortie de bandes magnétiques de travail nous entraîne au cœur de cette approche dévoilant les tâtonnements de la composition mélodique et de l’écriture . Présentation en voix- off , de la chanteuse dont le cinéaste Yves Zand ( Mathieu Amalric ) a décidé d’évoquer à sa manière l’obsédante présence dans sa mémoire. Le plan suivant nous plonge d’emblée au cœur de sa concrétisation et du tournage avec l’arrivée , de Brigitte ( Jeanne Balibar ) , la comédienne qui doit l’incarner sur le plateau où tout le monde s’affaire à la mise en place des décors pour la prise vue d’une séquence . D’emblée l’évocation souhaitée et sa concrétisation qui prend forme, font le « lien » du réel et de la fiction du tournage qui se joue quotidiennement comme une sorte de défi , à la fois pour le travail de l’interprète qui l’incarne et pour le cinéaste sur ses choix esthétiques . Tous les deux à la recherche de cette perfection qui pourrait les en rapprocher par la complicité du travail et de l’imaginaire , via lequel chacun va tenter d’y trouver les éléments . Le cinéaste multipliant ses recherches d’archives destinées à trouver la meilleure approche ( le film dans le film? ..) qui puisse servir sa mise en scène et son portrait . La comédienne cherchant à « habiter » son personnage par son travail sur la gestuelle comportementale , et sur l’apparence vestimentaire de celle qu’elle doit incarner , mais aussi et surtout sur cette voix ( et son timbre …) à nulle autre pareille . Un travail d’identification exceptionnel que l’empreinte du temps , laissée par les vingt années qui séparent le tournage au présent et la disparition de la chanteuse , rend encore plus émouvant …

La double quête , et le jeu de pistes accompagné des documents d’archives offre, à cette dimension d’approche et de « représentation » identitaire obsessionnelle , une force qui finit par rejoindre ce « lien » incroyable qui s’était créé entre la chanteuse et son public auquel elle dédiera sa chanson « ma plus belle histoire d’amour , c’est vous… » . Mathieu Amalric , multiplie les éléments et formes stylistiques d’approche cinématographiques lui permettant de fouiller les indices de ce qui a fait, qu’au au travers de sa vie et de son parcours , s’est crée ce lien indéfectible avec la chanteurs et ( son ) public dont les concerts de Pantin ont immortalisé l’image . Celui dont les « confidences » souvent pudiques et en sous-entendus ( Nantes , l’aigle noir , Au cœur de la nuit …) , mais aussi plus directes ( Gottingen, SidAmour … ) portées comme des combats contre l’intolérance et l’injustice qui résonne encore aujourd’hui par les thématiques dont ses chansons se sont fait l’écho. La force du film est là par cette « réincarnation » qui , par les formes multiples évoquées , le réactualise au présent . A cet égard , le travail sur les documents d’archives empruntés à L’ INA ( Institut National de l’Audiovisuel ) est l’élément de travail et de repère essentiel , qui permet l’inter-action avec le tournage . Servant, on l’a dit, à l’actrice Jeanne Balibar dont il faut ici souligner, le travail exceptionnel d’identification qui fait mouche à la projection . La fusion Brigitte / Barbara, est parfois bluffant , et on s’y laisse prendre , via les subtilités de montage ( son, image) utilisées dont la présence obsédante et fantomatique de la chanteuse se concrétise dans de nombreuses séquences, où images d’archives et d’ identification , se superposent en transparence …

Une choix d’approche et d’écriture voulu « Un film tricoté avec des contre-champs, des recadrages, des échappées de l’actrice dans la même matière visuelle et sonore. Des rouages de récit, de fictions malaxées, organiques… une capillarité », dit Mathieu Amalric dans le dossier de presse . Le regard et le travail du metteur en scène dont il joue aussi le rôle , avec la même volonté d’identification dont il s’investit . Les fragments du puzzle qu’il compose sont passionnants, lorsqu’il en fait la matière même de sa créativité de cinéaste et des interrogations qui l’accompagnent, comme l’illustre sa frénésie et ses interventions incessantes sur le plateau , les demandes aux techniciens, et surtout les questions et propositions à son actrice . Comme c’est le cas aussi de son obstination à chercher dans ces fameuses images d’archives , les témoignages – références ( Jacques Tournier et son livre Barbara ou les parenthèses ( 1 ) , et le documentaire de Gérard Vergez : Barbara ou ma plus belle histoire d’amour, restauré pour la circonstances par L’INA et rarement vu depuis , que l’on aimerait voir diffusé …) de cette authenticité. Celle dont témoignent ses rapports avec ceux qu’elle admirait ( Brassens , Brel son « frère de cœur » … dont une une scène du film Frantz qu’il a réalisé et dans lequel elle jouait , est utilisée ) , et de ceux ( mère , musiciens ,…) qui furent ses proches. Volontairement, il a voulu se laisser submerger par toutes ces images , sonorités et évocations , pour s’en emparer , et construire ensuite au niveau stylistique du récit son ressenti, et celui dont son interprète se ferait porteuse .

Et au bout, il y a le miracle par exemple de cette scène prodigieuse où le vertige de l’identification et du film joue à plein , lorsque Brigitte interprète au piano, la chanson Nantes, et bouleversée bute et fond en larmes, sur les paroles « mon père »…
Au delà de la comédienne s’appropriant les mots de la chanson de Barbara , ses larmes sont celles aussi d’un public qui lors de la publication de ses mémoires inachevées ( publiées aux éditions Fayard / 1998) , un public qui , après sa disparition mesurera un peu plus derrière la pudeur de ceux-ci , le double sens dont ils étaient porteurs des douleurs longtemps gardées secrètes par la chanteuse . Celles , dont elle cherchait à cicatriser les plaies dans ses addictions ( médicaments …) et au travers de l’amour que lui renvoyait son public. Mais aussi par ses « fugues » ( la séquence de la virée nocturne avec l’accessoiriste ) évoquée par une belle envolée onirique . Ou encore ses combats ( contre le Sida et son soutien aux malades, ou rendant visite aux femmes en prison…) ; et encore , sa recherche de la perfection , ses coups de colère lorsque quelque chose ne fonctionne dans la mise en place des concerts, son besoin de s’isoler et de se concentrer assise pendant des heures sur sa fameuse chaise longue , avant que le rideau ne se lève….
Mathieu Amalric fait littéralement « revivre » Barbara . Ce n’est sans doute pas un hasard si revient dans le film la « chanson pour une absente » écrite par la chanteuse en hommage à sa mère décédée. Par les souvenirs ( documents ) réunis qui lui ont servi de gestation , Mathieu Amalric fait littéralement « revivre » Barbara . Son film est … SA chanson à lui , pour Barbara. Ne le manquez surtout pas…
( Etienne Ballérini)
BARBARA de Mathieu Amalric – Durée 1h38-
Avec : Jeanna Balibar , Mthieu Amalric, Aurore Clément , Grégoire Colin , Fanny Imber , Vincent Peirani , Pierre Michon …
(1) le livre de Jacques Tournier Brabara et ses parenthèses édité par Seghers (1968 et réedité en 1981 ), n’est plus disponible !…
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