Petit Paysan est le premier long métrage d’Hubert Charuel. Présenté à la Semaine de la Critique, à Cannes en 2017, le film a remporté le week-end dernier trois prix au Festival du Film Francophone d’Angoulême. Il sort cette semaine sur les écrans.

Fils unique d’éleveur laitier en Champagne-Ardenne, non loin de Saint-Dizier, Hubert Charuel aurait pu reprendre l’exploitation familiale comme le veut la tradition. Mais il voulait devenir vétérinaire. Ses notes dans les matières scientifiques étant insuffisantes, il s’oriente alors vers une autre voie, bien différente, le cinéma. Un choix probablement lié à ses souvenirs d’enfance, quand il accompagnait ses parents pour aller au cinéma à Saint-Dizier, leur seule sortie car les vacances étaient trop rares. Il tente et réussit le concours de la Fémis. Il est admis en option… production. Ce sont les exercices d’écriture qui le sensibilisent au scénario et par-delà à la réalisation. Il aurait pu prendre la clé des champs, mais après quelques courts métrages, il signe son premier long métrage et marque, à sa façon, comme le titre le laisse deviner, son retour à la ferme.
Petit Paysan suit donc Pierre, la trentaine, éleveur de vaches laitières, remarquablement interprété par Swann Arlaud, 26 ans mais déjà une trentaine de films (dont Les Anarchistes, pour lequel il a été nommé au César du meilleur jeune espoir 2016, et Une Vie). Sa vie s’organise autour de sa ferme, sa sœur vétérinaire, jouée par Anna Giraudeau, et ses parents dont il a repris l’exploitation. Les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre en suit l’évolution avec obsession et angoisse par les reportages et journaux télévisés et sur internet. Il découvre un jour que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches. Il n’a rien d’autre et ira jusqu’au bout pour les sauver.

Dans le scénario, coécrit avec Claude Le Pape, issue de la Fémis également, puis dans le film, Hubert Charuel n’a fait que transposer ses souvenirs et son vécu. Pierre n’est pas son double, mais il connaît parfaitement le contexte. Il est né et a vécu dans ce milieu. C’est dans la ferme de ses parents, partis à la retraite depuis, que le film a été tourné. Il a lui même remplacé sa mère pendant six mois. A 10 ans, il a été marqué par la crise de la vache folle, de la tension et de la panique qui régnaient, notamment à cause de l’absence d’information sur la contamination, et de la phrase, terrible, de sa mère : « Si ça arrive chez nous, je me suicide ». Petit Paysan montre très bien les difficultés de la vie à la ferme : travailler sept jours sur sept, traire deux fois par jour, toute l’année, toute la vie, peu ou pas de vacances. Les gestes sont hyper-ritualisés, on va traire les vaches comme on va à la prière, le matin, le soir, ce qui fait dire au jeune réalisateur : «Etre éleveur laitier, c’est un sacerdoce ». Malgré son côté documentaire, ce premier long métrage n’est pas un docu-fiction, il se présente comme une chronique paysanne naturaliste, mais il est également un drame voire aussi un thriller. Le film va même parfois plus loin et flirte alors avec la comédie, comme dans les premiers plans, avec ces vaches qui envahissent la cuisine, ou la scène du dîner au restaurant,« en amoureux », avec la boulangère, ou encore la déclaration de vol à la gendarmerie. A d’autres moments enfin, par le biais de la lumière ou du son, il est proche des atmosphères du cinéma fantastique. Un mélange des genres qui s’effectue en douceur sans nuire à l’équilibre de l’ensemble.

Si Petit Paysan est porté par l’interprétation de Swann Arlaud, qui s’est particulièrement investi pour l’occasion en effectuant un stage dans une petite exploitation laitière en amont du tournage, on ne saurait oublier les autres comédiens, telle Sara Giraudeau, très convaincante dans le personnage de Pascale, la sœur vétérinaire, qui va devenir la seule personne avec laquelle Pierre souhaite communiquer, ou les « rôles secondaires » tenus par Bouli Lanners (ex-éleveur, militant), Isabelle Candelier (la mère possessive) et India Hair (la boulangère amoureuse). Il est à noter qu’Hubert Charuel n’a pas hésité à associer acteurs professionnels et non professionnels, ce qui permet à ses parents, à son grand-père et à quelques copains de faire des apparitions, afin, souligne-t-il « d’essayer de créer une atmosphère de vérité« . Une démarche qui peut paraître audacieuse pour un premier long métrage, mais qui s’avère bénéfique.

Découvert à la Semaine de la Critique lors du Festival de Cannes 2017, Petit Paysan vient de se voir décerner trois prix au Festival du Film Francophone d’Angoulême par le jury présidé par John Malkovich: Meilleur film, Meilleur acteur, attribué à Swann Arlaud, et Meilleure musique attribué à Myd du collectif Club cheval. Une raison de plus pour découvrir sans tarder une première œuvre pleine de promesses.
Petit Paysan d’Hubert Charuel (France – 2017 – Drame – 1h30). Avec Swann Arlaud, Sara Giraudeau, Bouli Lanners, Isabelle Candelier, India Hair.
Philippe Descottes
Voir :
Extraits du film (Semaine de la Critique – Pyramide)
Entretien avec le réalisateur (Semaine de la Critique).
[…] (L’Approche, Le Quotidien, La Vie moderne – 2000/2008) de Raymond Depardon, récemment, Petit Paysan (2017) d’Hubert Charuel, et, à venir, Au nom de la terre (2019) d’Edouard Bergeon. […]
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