Nicolà e Bartoloméo, mi ricordo di voi
Nicolas et Bartolo, je me souviens de vous
Je me souviens de la nuit du 22 au 23 août 1927, il y a 90 ans, à la prison de Charlestown, dans la banlieue de Boston.
Je me souviens de Robert G. Elliot qui occupait la fonction pudiquement désignée sous le vocable d’ « électricien d’état ».
Je me souviens que l’électricien d’État est un euphémisme destiné à désigner aux Etats Unis, le bourreau chargé d’exécuter les condamnés à mort à l’aide d’une chaise électrique.

Je me souviens que Robert G. Elliot fit son office dans la nuit du 22 au 23 août 1927 sur toi, Nicolà Sacco et toi, Bartoloméo Vanzetti, pour des faits qui avait été commis par Celestin Madeiros, également exécuté.
Je me souviens d’un poème de Louis Aragon qui commençait ainsi : Le jour de Sacco-Vanzetti / Sur le port sur le port de Dieppe /Mais comment cela se fait-il /Qu’il y eût seulement des guêpes /Le jour de Sacco-Vanzetti 1
Je me souviens m’être demandé ce qu’il s’était passé sur le port de Dieppe et surtout qu’était donc ces guêpes.
Je me souviens qu’il continuait ainsi : Quand les affiches du Parti/Disaient d’aller au port de Dieppe /A quoi cela ressemblait-il /Qu’il y eût seulement des guêpes /Le jour de Sacco-Vanzetti
Je me souviens que ce poème narre la déception d’Aragon après une manifestation de soutien à Sacco et Vanzetti à Dieppe ne rassemblant que trop peu de personnes.
Je me souviens que ces « guêpes » désignaient les gardes mobiles, baïonnettes au canon.
Je me souviens que ce poème a été chanté par Marc Ogeret sous le titre Le jour de Sacco-Vanzetti.

Je me souviens de Gian Maria Volonte dans le film de Giuliano Montaldo, « Sacco et Vanzetti », présenté au Festival de Cannes en 1971. Il jouait le rôle de Vanzetti, Riccardo Cucciola celui de Sacco, qui obtiendra le prix d’interprétation masculine.
Je me souviens d’Ennio Moricone, qui écrivit la musique de la chanson du film, chantée par Joan Baez, « Here’s to you »
Je me souviens que Vanzetti, répond le 9 avril 1927 au juge Thayer : « Si cette chose n’était pas arrivée, j’aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J’aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe. Jamais, dans toute notre vie, nous n’aurions pu espérer faire pour la tolérance, pour la justice, pour la compréhension mutuelle des hommes, ce que nous faisons aujourd’hui par hasard. Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d’un bon cordonnier et d’un pauvre vendeur de poissons, c’est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe. » That last moment belongs to us — that agony is our triumph…

Je me souviens de Chant public devant deux chaises électriques,² une pièce d’Armand Gatti (3 ), écrite en 1964 et représentée pour la première fois le 17 janvier 1966 au Théâtre National Populaire. Traitant du sujet de l’injustice de l’affaire Sacco-Vanzetti, cette pièce défraye la chronique. La pièce est jouée au TNP jusqu’au 23 février 1966. Elle sera reprise de nombreuses fois en tournée à Boston, Lyon, Turin et Los Angeles.
Je me souviens que Georges Moustaki a repris la chanson de Joan Baez en adaptant les paroles en français sous le titre de Marche de Sacco et Vanzetti. Et que Leny Escudéro les a également chantés sous le titre Sacco et les autres
Je me souviens que Woody Guthrie4 a consacré tout un cycle de chansons à l’affaire, en donnant des détails sur le procès et sur la vie des deux militants.
Je me souviens du livre de John Dos Passos, Devant la chaise électrique, Sacco et vanzetti: histoire de l’américanisation de deux travailleurs étrangers, Arcades Gallimard, 2009
Je me souviens que le 23 août 1977, exactement 50 ans jour pour jour après leur exécution, le gouverneur du Massachussetts Michael Dukakis absout les deux hommes, les réhabilite officiellement et déclare que « tous les déshonneurs devaient être enlevés de leurs noms pour toujours ».

Je me souviens que l’un des plus beaux livres que je possède est « Les lettres de prison de Sacco et Vanzetti », même s’il ne s’agit que d’un volume de la collection 10-18 que je n’ai pu trouver que sur internet, tant il n’est pas réédité.
Je me souviens de la première lettre de Vanzetti dans ce volume, écrite le 6 janvier 1921, de la prison de Dedham, à Madame Alfonsina Brini, ta logeuse au moment de ton arrestation : « J’ai bien reçu votre lettre du 6 janvier. J’ai ri de bon cœur en apprenant que les griffes du petit chat avait égratigné le nez de Zora, et je recommence à rire chaque fois que j’y pense [….] Oh ! Combien il y aurait moins de souffrances et de misère dans le monde si le peuple savait ce que sait un petit chat ! »
Je me souviens de cette citation d’Aragon : « Tout ce qui fût sera, pour peu qu’on s’en souvienne. » La culture s’est souvenue de vous, Sacco et Vanzetti.
Je me souviens de toi, Nicolà.
Je me souviens de toi, Bartoloméo
Here’s to you, Nicola and Bart
Rest forever here in our hearts
The last and final moment is yours
That agony is your triumph
( Jacques Barbarin )
LIEN : Joan Baez chante » Here’s to you » la chanson du film Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo (1971 )
1- Publié dans « Le Roman inachevé », Louis Aeagon, Poésies/Gallimard)
²- Chant public devant deux chaises électriques, Œuvres complètes d’Armand Gatti, Les Œuvres théâtrales, tome I, 1991
3-Dante Sauveur Gatti, dit Armand Gatti,(1924 – 2017) est un journaliste, poète, écrivain, dramaturge, metteur en scène, scénariste et réalisateur libertaire français. Voir ciaovivalaculture.com/2017/04/20/je-me-souviens-darmand-gatti/
4-Woody Guthrie (1912-1967) est un chanteur et guitariste folk américain. Il est le père d’Arlo Guthrie. Egalement chanteur et guitariste, il participe le 15 août 1969 au festival de Woodstock où il interprète son plus célèbre titre Coming into Los Angeles.
Illustrations :
Sacco et Vanzetti
Affiche du film Sacco et Vanzetti
Joan Baez
Et moi je me souviens que dans le même temps que le PC présentait ces deux camarades comme des victimes -pas mieux spécifiées- du capitalisme : des militants qui en URSS distribuaient des tracts rappelant leur appartenance politique étaient arrêtés…
Je me souviens qu’aux Etats-Unis même, comme l’a par la suite reconnu Ben Gitlow (candidat communiste aux elections de 1928) le Parti détourna l’argent de la souscription lancée en leur faveur, pour renflouer sa presse qui battait de l’aile…
Et je me souviens combien Aragon, sus-mentionné avec tendresse, portait les anarchistes dans son coeur !!!