Présenté au dernier Festival de Cannes , l’adaptation libre de la nouvelle de Dostoïevki , Douce , par le cinéaste Ukrainien , déjà remarqué sur la Croisette , pour Dans la Brume ( 2012 -Prix Fipresci ). Autour d’une femme, à la recherche de son mari emprisonné, et subissant humiliations de toutes sortes, il nous plonge dans la violence absurde et cauchemardesque en forme de point de non retour , comme métaphore d’un pays et d’une société déshumanisée …
Lorsqu’elle reçoit en retour le colis qu’elle avait envoyé à son mari incarcéré , inquiète elle se rend à la poste et demande des explications sans succès « si on vous le renvoie c’est qu’il y a des raisons ». On se retranche derrière des démarches administratives et un évasif « Peut-être a-t-il été déplacé vers une autre prison.. » . Les non-dits et les silences, la situation qui s’éternise et l’inquiétude qui grandit, notre femme douce ( Vasilina Makovsteva , remarquable ) de plus en plus inquiète, décide de se rendre dans cette région isolée de Russie , à la prison et à l’adresse où elle a envoyé son colis . Mais ce sont encore les mêmes réponses et , elle se rend compte aussi qu’elle n’est pas la seule dans cette situation. « on ne nous dit rien , il y a même des détenus qui ont disparu ! » disent certains. Elle décide de s’installer dans la ville et veut en avoir le cœur net. C’est dans cet « espace là » , où d’autres femmes sont dans la même situation , que le cinéaste va la confronter à une réalité collective. Celle de tous les compromis, de toutes les dérives et hypocrisies , dans le tourbillon de laquelle elle va se retrouver emportée , et va basculer malgré elle. Pour finir par se rendre compte que tout ce qu’elle entreprend ne mène ( ou ne sert ) à rien…

Rien n’y fait , le point de non-retour elle en prendra doublement conscience lors de sa protestation ( vite jugulée ..) devant la prison , puis , au siège de l’association locale de défense de détenus surchargée de demandes … où ils ne peuvent rien pour elle. D’ailleurs la ville, est devenue le lieu toute une série de trafics qui se sont greffés autour de cette prison . Le seul hôtel de la ville a fait flamber ses prix , certains autochtones en profitent pour louer des chambres où s’entassent plusieurs personnes, des « mafieux » font leur beurre avec les prostituées et on y recrute , et même « des femmes sont enlevées » disent certains . Dans les bars on chante et on boit pour oublier. On fustige le gouvernement, on pointe le « déclin du pays » par Rapport à l’occident …et on évoque la disparition d’opposants, il se murmure qu’il y aurait même des charniers des cadavres clandestins ! …et puis , la crainte d’un conflit qui menace. La Douce est confrontée à cette violence , et parfois y échappera de peu . Le constat est accablant, glaçant servi par l’hyper- réalisme de la mise en scène . Et comme si ça ne suffisait pas , c’est le basculement stylistique vers l’onirisme de la séquence finale qui enfonce encore un eu plus , le clou !. On y voit les « marionnettes gouvernantes et administratives » , s’auto-satisfaire lors d’un banquet au cours duquel ils étalent le cynisme de leurs bon mots hypocrites « on est service du peuple … on vous protège » . Ceux qui servent à l’endormir ( le plan final ) tandis que dans l’ombre , on emprisonne , on torture . Mais la colère « nous souffrons , vous nous méprisez , mais le jour viendra où nous vous sauverons de nous-mêmes » ….

Opposant le réalisme de la première partie et son constat amer auquel il aboutit , d’une société qui finit par se « flageller » elle-même. La distanciation que Sergueï Loznitsa installe dès lors par le biais du grotesque , de l’humour, de l’onirisme , ou de l’ironie glaçante , il la décline en une forme de réflexe de protection contre la dureté de ce qui est donné à vivre et à subir . Le cauchemar dans lequel , La Douce devient « partie prenante » et reflet de ce « fatalisme » de l’âme slave capable de tout endurer . Les multiples séquences ( la terrifiante scène de viol …) qui l’illustrent et ce « bord du gouffre » auquel elle est confrontée dont le cheminement inexorable est traduit magnifiquement , comme une forme de « soumission- disparition » acceptée . C’est dans ce basculement que le film trouve sa force et sa gravité . Le cinéaste pour nous en convaincre , nous conseille : « pour permettre de comprendre la Russie d’aujourd’hui , je recommande de lire les Possédés de Dostoïevski et les âmes mots de Gogol: tous les principes à l’oeuvre dans ces livres continuent d’agir et de fonctionner . Tout ce qui y est dit persiste à être vrai » , affirme-t-il …

Et la dernière séquence dont la sortie, subtile , ne fait que proposer au réveil de notre héroïne dans ce hall de gare …une foule restée endormie !.Les effets de la métaphore annoncée de l’apathie , d’une sorte de « déshumanisation intégrale » évoquée par le cinéaste annihilant tout espoir de sursaut , est là , présente dans cette dernière image. Une Femme douce , est un grand film politique, mais c’est aussi et surtout … du grand cinéma . A voir …
UNE FEMME DOUCE de Sergueï Loznitsa – 2017- Durée : 143 Minutes –
Avec : Vasilina Makovtseva, Marinia Kleshcheva, Lia Akhedahakova, Valeriu Andriuta, Boris Kamorzin, Serguei Kolesov …
LIEN : Bande- Annonce du Film , Une Femme Douce de Sergueï Loznitsa
[…] Comédie policière avec Lino Ventura et Françoise Fabian. OCS Géants à 18h50 – Une Femme douce de Serguei Loznitsa (2017 – 2h17). Drame. Une femme reçoit le colis qu’elle a envoyé […]