Livre / Black Messie, de Simonetta Greggio

Simonetta Greggio, un nom qui n’est pas inconnu aux lecteurs de ciaovivalaculture. Nous avions découvert ses livres, et d’abord les deux titres de sa saga italienne, qui couvrent la période 1959-2014: Dolce vita 1959-1979 1et  Les nouveaux monstres 1978-2014²
J’écrivais dans le premier article : La dolce vita 1959-1979 et Les nouveaux monstres 1978-2014 sont un portrait sans retouche de l’Italie des cinquante dernières années par quelqu’un qui aime son pays, mais « qui aime bien châtie bien. »
Roman historique ? Récit de « non-fiction » à la Truman Capote ? Les deux, mon général. Pour parodier Berlioz [Ma vie est un roman qui m’intéresse beaucoup] Simonetta pourrait dire : « Mon pays est un roman qui m’intéresse beaucoup. »
J’avais poursuivi mon travail de recherche [Anch’io sono investigatore] avec une interviewe à Marseille au Bar de la Marine (ça ne s’invente pas) 3
Mais notre écrivain n’écrit pas en vain, car elle ne fait pas de la littérature vaine [So anche come giocare con le parole] et voilà le recueil de nouvelles “Femmes de rèves, bananes et framboises4
Une autre perspective? Faut voir. Car comme le dit Eric Chevillard, «J’écris toujours le même livre; seuls les mots changent
Et puis voilà “Black Messie”. Un “noir”, un thriller de la plus belle eau. On s’y égare superbement, de la première à la derniere ligne, soit la durée de quelques 350 pages. Et tout ça autour, à l’intérieur, aux alentours de la plus énigmatique, cabalistique, ésotérique des cités transalpines : Florence. L’Italie, toujours. Et à jamais.
Quel est le réel? Quel est le non-réel? Chez Simonetta, va t’en savoir… Disons que, ici, il y a comme “antépisode” – tel qu’on le dit au Canada francophone, “l’histoire de monstre de Florence”. Réel? Non réel? Dans la chronique italienne, va t’en savoir…
Le Monstre de Florence est un meurtrier qui serait l’auteur de sept double meurtres qui ont eu lieu entre 1968 et 1985 dans la province de Florence. Les crimes réalisés sont particulièrement barbares puisque régulièrement associés à des actes de mutilation post-mortem.
Bien que le surnom de Monstre de Florence soit au singulier, le manque de preuves n’a pas permis de définir s’il s’agissait d’un meurtrier ayant agi seul. Une dizaine de suspects ont été arrêtés et condamnés mais tous libérés par la suite, notamment l’ouvrier agricole Pietro Pacciani acquitté le 14 février 1996 par la Cour de Cassation Italienne.
Le Monstre de Florence est l’un des personnages qui ont inspiré le personnage du « Silence des agneaux », Hannibal Lecter. L’histoire est relancée en 2014 par l’arrestation d’un plombier italien de la banlieue de Florence, Riccardo Viti, soupçonné du meurtre de six prostituées.
Le récit de Simonetta Greggio s’entame avec le récit et la découverte du premier meurtre. Et là, ça s’gâte. Est-ce l’œuvre d’un répliquant du sérial killer ?
Qui dit thriller dit killer et dit aussi enquêteur : il s’agit ici de l’apparemment placide capitaine des carabiniers Jacopo d’Orto5 cinquante-six ans. « Jacopo se tenait au bord de la retraite comme on se tient au bord d’un ruisseau bouillonnant de truites ». Et c’est ça le miracle de l’écriture de Simonetta : tantôt elle propose de somptueuses images, tantôt elle n’hésite pas à appeler un chat un chat, contrairement à notre « sémantiquement correct » : « On ne prend les mots qu’avec des gants: à « menstruel » on préfère « périodique », et l’on va répétant qu’il est des termes médicaux qui ne doivent pas sortir des laboratoires ou du codex » (Léo Ferré, « Préface »). Et c’est ça qui fait la force des grands écrivains (marre du syntaxiquement correct : pas d’écrivaine chez Barbarin).
Il n’y a pas d’une part le parler simonettien et d’autre part l’écrit greggien, ils sont – pour employer un vocable à la mode- en même temps. Dr Jekyll en même temps que Mister Hyde.
Jekyll et Hyde : au fond cela va bien pour appréhender le « sfumato »6 de chaque personnage.
Revenons au capitaine d’Orto. À l’époque déjà, le carabinier d’Orto faisait partie de la brigade anti-Monstre. Il se remet en chasse, avec en prime la terreur de voir l’une de ses trois filles, désormais adolescentes, servir d’amuse-gueule à la Bête.  En parallèle, Indiana Lemoine, ravissante noire américaine établie en Toscane avec son père Miles, a disparu. Papa est un professeur d’université, ancien tueur des Force Spéciales. Un monstre aussi, à sa façon. Mais s’il parvient à trouver le tueur en liberté, alors il deviendra un sauveur, un messie.
Le Monstre est-il revenu ? A-t-on commis une erreur à l’époque ? Dans une course contre la montre, Jacopo d’Orto fouille la fosse où la boue des mystères italiens s’est amassée. Depuis la Renaissance, le mal refait régulièrement surface dans ce pays qui semble béni des Dieux. L’Italie actuelle paraît pourtant purifiée de ses secrets… mais si, derrière les apparences, il n’y avait que chaos, violence et guerres de pouvoir ?
Et donc Florence, ville de secrets, ville de pouvoirs, et de pouvoirs occultes, ville d’intrigues. Florence et les Médicis. « Florence est une ville merveilleuse. Ici, plus qu’ailleurs, le sang à coulé avec magnificence. Savez-vous que c’est là que les premières sociétés secrètes italiennes ont vu le jour ? Aucune civilisation ne peut perdurer sans rituel occulte. ». Comme le dit un énigmatique personnage dont nous ne connaîtrons que le pseudonyme (nom de guerre ? de théâtre ?) « Légion ». Comme le dit Marx, « L’histoire ne se répète pas, elle bégaie »
Tous les personnages de Black Messie, qu’ils aient un coté Jekyll ou un coté Hyde apparaissent comme égarés, dominés par un système heuristique qui les dépasse. Seul le lecteur peut arriver à enquêter dans les eaux de ce lac sombre, grâce peut-être aux cailloux blancs que nous sème, time to time, Simonetta Greggio.
A l’instar de Miles qui dit, à ces élèves en littérature américaine « …que la fiction, comme la réalité, n’est qu’une variante des possibles. Que rien n’existe seul, que tout est lié… Les assassins et les saints… » Simonetta, tel le célèbre tableau de Salvador Dali, soulève la peau de l’eau pour y voir le chien nu.
Chaque chapitre est tel un affluent d’un fleuve : il a son autonomie, sa propre existence, mais est un élément, une pierre (qui roule) du Mystère avec un grand M, au sens d’engagements secrets expliqués au seuls initiés. Les initiés c’est nous, lecteurs, les protagonistes sont largués. L’écriture  alterne un style cursif – « craquements du bois dans la maison. Grillons dans les champs. Grenouilles dans les fossés. Un chien hurla. » –  à des plages à la rythmique plus lente. Comme un montage cinématographique. Au demeurant,  on peut pousser l’analogie entre chapitres et courts métrages.
Chaque chapitre porte le nom du protagoniste de ce pan du récit. Dans La dramaturgie, Yves Lavandier définit le protagoniste d’une œuvre dramatique comme le personnage qui vit le plus de conflits et, par conséquent, celui avec lequel le spectateur tend à s’identifier. Les deux premières lignes de chacun de ces chapitres nous disent sèchement le cadre des pages à venir. « Florence, Pian de Giullari, six heures du matin. »  On retrouve la Simonetta Greggio cursive de Dolce vita 1959-1979. Après, elle nous perd dans les méandres de son jardin italien. Black Messie n’est pas un thriller écrit par un faiseur. C’est une œuvre qui nous pose la question : qu’est-ce qu’écrire ? Au fond, Simonetta nous embrouille. Cosi fan tutte.

Jacques Barbarin

Back Messie, Simonetta Greggio paru aux éditions Stock et au Livre de Poche
Dolce vita 1959-1979 et  Les nouveaux monstres 1978-2014 sont également parus au Livre de Poche

1https://ciaovivalaculture.com/2014/12/11/livre-la-dolce-vita-des-nouveaux-monstres-premiere-partie/
²https://ciaovivalaculture.com/2014/12/14/litterature-la-dolce-vita-des-nouveaux-monstres-2eme-partie/
3 https://ciaovivalaculture.com/2015/03/03/litterature-una-passegiatta-con-simonetta-1/
4https://ciaovivalaculture.com/2015/05/07/litterature-femmes-de-reves-bananes-et-framboises/
5 En italien Orto signifie « jardin potager ». Est-ce souvenance du temps où Simonetta Greggio écrivait des ouvrages consacrés aux jardins ? En tous cas, et pour parodier un titre de film, on va jouer « Meurtres dans un jardin italien »
6  Technique picturale produisant un effet vaporeux, qui donne au sujet des contours imprécis. « Veille à ce que tes ombres et lumières se fondent sans traits ni lignes comme une fumée » (Léonard de Vinci)

 

 

 

 

 

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