Une petite ville Mexicaine, un couple en pleine crise…et une créature au pouvoir mystérieux. Le récit inspiré de faits divers réel auquel il oppose à la réalité brute une dimension fantastique , et organise autour de ces thèmes, la confrontation et la persistance des valeurs traditionnelles et les limites de leurs préjugés qui engendrent rejets et souffrances . Lion d’argent du meilleur réalisateur au Festival de Venise 2016.

Le jeune cinéaste Mexicain ( né en 1979 ) s’est , en quelques films découverts dans les festivals internationaux a imposé comme une nouvelle figure importante du cinéma de son pays ( Prix de la mise en scène en 2013 à Cannes pour son film Heli ) , mais aussi du cinéma mondial , par la radicalité des choix formels de sa mise en scène et l’acuité d’un regard . L’injustice , la violence , les valeurs traditionnelles, et la banalité des compromis qui enferment et finissent par faire éclater une sourde violence dont son regard veut renvoyer en pleine figure aux spectateurs le malaise , afin de réveiller les consciences. « pour tous mes films , j’essaie de regarder droit devant moi sans sourciller ( …) Je veux être présent dans le contexte, le sentir profondément en moi. Bien sûr, certains spectateurs réagiront dans le sens où beaucoup de gens n’aimeraient pas se retrouver dans cette situation ou aucune autre du même genre ( …) un peu comme on ne sait pas vraiment si on rêve et si c’est bien la réalité en face de nous » , explique-t-il, dans le dossier de presse . Et c’est dans cette réalité que va être plongé le couple de son film…

Dès la première séquence une scène mystérieuse de « plaisir » sexuel intrigue par ce sentiment d’étrangeté qui l’entoure où l’image sombre ne laisse percevoir que des plans et inserts « suggestifs » accompagnés de sonorités qui ne le sont pas moins . Puis cette impression de mystère, qui plane, dans la séquence suivante éclipsé par la réalité la plus quotidienne et banale du couple , Angel ( Jésus Meza) et Alejandra ( Ruth Ramos ) et leurs deux enfants. Un couple en crise dont la réalité va se retrouver bouleversée par la rencontre de Véronica ( Simone Bucio ) . Entre elle et le couple , mais aussi avec le frère Fabian ( Eden Villavicensio ) de Véronica , infirmer dans un hôpital de la la ville , vont se nouer des relations amicales , qui vont mettre à jour les liaisons intimes dont les méandres du non-dit et des regards extérieurs , vont les faire basculer dans un inexorable enchaînement de situations qui vont les entraîner dans une sorte d’enfer de « possession, et d’emprise » dont ils ne peuvent plus se dépêtrer . Sans doute liés à la rencontre de ce couple de chercheurs , vivant dans une cabane dans les bois non loin de la ville , que Véronica va faire rencontrer à Alejandra. Dans celle-ci le couple de chercheurs étudie une créature, dont les prétendus « pouvoirs de plaisir et de destruction, est irrésistible » .…

Dès lors , est-ce sous l’effet de cette rencontre, ou bien est-ce tout simplement dû aux conséquence et aux suites du malaise ressenti par le couple en crise (?) , ou du ressenti d’une situation « malsaine » liée à une liaison homosexuelle vécue par le frère d’Alejandra. Véronica voudra en tout cas , aider son amie confrontée à la relation devenue tumultueuse avec son mari et celle de son frère qui lui a fait part d’une « relation toxique » à laquelle il veut mettre fin. Amat Escalante mêlant habilement fantastique et réalité, va faire se confronter les deux univers dans une escalade inexorable d’enfermement et de possession qui va les entraîner dans la tragédie. S’inspirant de faits réels d’une actualité dont la presse s’est faite l’écho « une jeune femme qu’une de ses connaissances avait tenter de violer en pleine forêt » , et l’autre « le corps d’un homme découvert ensanglanté, flottant dans un ruisseau » , tous deux sauvés de la mort…mais pas de l’opprobre qui sera jetée sur eux , faisant de la jeune femme « une pute » et du jeune homme « une tarlouze ». Comme une punition méritée selon la communauté religieuse traditionnelle bien- pensante de la région de Guanajuato dans laquelle se déroule le récit. Le cinéaste originaire de celle -ci qu’il connaît bien « scandalisé par toutes ces rumeurs , ces ragots » et l’injustice subie par ces deux personnes, a choisi de s’en servir , de manière emblématique pour en amplifier la portée et la confronter à cette idée de créature dominante » comme une logique pour les personnages , de leur raisons d’agir ». Le fantastique au secours et comme miroir des personnages « jugés victimes de circonstances » et qui ne sont pas forcément les « démons » que l’on pointe du doigt…

C’est là toute la force de son film dont le ressenti de l’image très travaillée dans les atmosphères ( tonalités des couleurs, sonorités dans et hors du cadre ) qui en distillent le « perçu » extérieur , et le « vécu » intérieur. Ces regards qui en font des mauvaises personnes qu’elles ne sont pas forcément, et le jugement hâtif sur les instincts naturels et sur une sexualité qui en fait toujours les prisonniers de regards , alors qu’elle n’est selon le cinéaste qu’un « besoin primaire » dont il souligne « nous voyons le sexe comme pervers et même parfois, dans une certaine mesure, presque contre nature. Nous grandissons avec cette contradiction. Dans mon film, la Créature représente le sexe à l’état pur. Ils ressentent le plaisir comme jamais auparavant, parce qu’avec la Créature, ce n’est pas seulement un abandon physique, c’est également un abandon mental. En ajoutant un aspect fantastique à l’histoire, je voulais créer une représentation symbolique de la complexité ambigüe du « Ça » freudien, qui est la partie la plus obscure de notre personnalité, là où se réfugient les instincts de l’Homme », explique le cinéaste . Et c’est dans cette dimension que la complexité du récit et des rapports des personnages prend toute son ampleur par les conséquences dramatiques qui en découleront. Celles qui les ramènent au réel . Nous vous laisserons la découverte de la dimension psychologique que le cinéaste leur donne , empreinte d’un suspense et de retournements de situations dont on ne voudrait pas vous priver de la surprise …

En tout cas, une chose est sûre désormais, le cinéaste Mexicain est devenu de film en film un explorateur sans concessions de la violence sous toutes ses formes , et ce qu’elle dit de notre société . La force et la radicalité brute de ses images est loin de la provocation gratuite et vaine de la surenchère trop souvent utilisée dans certains films .Dans son cinéma un seul plan peut en traduire toute l ‘horreur. Comme c’était le cas dans Heli ( 2013) ,et de ce village Mexicain sous emprise de la violence de la drogue , où un jeune employé se faisait enlever et torturer par les unités anti-drogues . Ici , La région sauvage bien nommée … où ses héros stigmatisés par leur « être » dérangeant finissent par avoir peur d’être confrontés à eux-mêmes , et ne peuvent trouver le salut qu’en se libérant des chaînes qui limitent leurs existences . Magnifique scènes … comme celle de la sœur de Fabian qui à l’hôpital fera pour lui , le geste qu’il ne peut pas faire lui-même . Ne refusez pas de vous laisser surprendre ou déranger par une mise en scène brute , incisive et sans concessions . Allez donc, à la découverte de ce cinéaste et de son nouveau grand film…
(Etienne Ballérini)
LA REGION SAUVAGE d’Amat Escalante – 2017- Durée : 1h 40.
Avec Ruth Ramos , Simone Buccio , Jésus Meza, Eden Villavicencio, Andréa Pelaez, Oscar Escalante, Bernarda Trueba…
LIEN : Bande Annonce ( Le Pacte distribution) du film LA REGION SAUVAGE d’Amat Escalante