Cinéma / TOM OF FINLAND de Dome Karukoski.

Persécuté dans la Finlande de l’après-guerre pour son homosexualité , le dessinateur Touko Laaksonen , deviendra une icône de la communauté gay mondiale . Le parcours et le combat de cet artiste – décédé en 1991 qui a redonné une fierté à celle-ci  et en a bousculé les codes et les regards  – construit en portrait sensible où au cœur du romanesque , l’ironie enjouée sert de contrepoint à la gravité et à l’intolérance. A voir .

l’affiche du film.

C’est au cœur de la seconde guerre mondiale que l’on retrouve le jeune Touko ( Pekka Strang ) où entre des séquences de combat qui sont le quotidien , le repos du guerrier ( il est officier dans l’armée qui lutte contre l’invasion de la Finlande par Staline ) pour ce qui le concerne- et il n’est pas le seul- l’entraîne dans les lieux des rendez-vous secrets où les désirs des hommes entr’eux s’expriment au risque de se faire repérer par les patrouilles de la police militaire . La symbolique des scènes qui ouvrent le film fait écho à cette période de la vie de Touko découvrant au cœur des excès de la guerre, la désinhibition pour mettre en pratique des pulsions sexuelles, jusque là refoulées . Puis les transposer dans une passion . Celle du dessin développée très jeune, et  qu’il a perfectionné à l’ école d’Art d’Helsinki avec ses modèles parfois masculins , mais aussi  hors de l’école  allant à la découverte d’autres modèles, de toute une faune masculine sexy ( marins , ouvriers..) dont la liberté de certains l’attire , mais qu’il n’ose jamais aborder. C’est par la transposition explicite en dessins érotiques fantasmés et sublimés , qu’il va la compenser en secret . Puis , la découverte et le passage à l’acte dans la tourmente de la guerre qui permet  bien des choses, y  compris  celle de la peur, ou de la violence de la mort que l’on donne ( superbe séquence ),  en toute impunité. Et le retour au réel dans la Finlande de l’après-guerre où la « tolérance zéro » règne visant les homosexuels. La sexualité expérimentée, secrète et cachée , il va la compenser par une frénésie de dessins dans lesquels il construira  son univers- refuge …

Touko ( Pekka Strang ) dans une scène du film  ( Crédit  Photo: Rezo films )

La belle idée du cinéaste est de construire son récit comme une incessant passage de l’ombre à la lumière , définissant le parcours de son héros tout au long d’une vie qui va le confronter à l’intolérance , puis au succès  et  à l’émergence d’une communauté gay et de ses luttes pour la reconnaissance qui l’adopte , et ensuite confrontée aux années Sida qui viendront la décimer et jeter à nouveau l’opprobre sur elle. Le romanesque qui s’y attache le cinéaste le rend perceptible à merveille , auquel il insuffle la frénésie des excès en même temps que le recul nécessaire d’une semi- obscurité dont l’humour se fait le reflet atténué . Le cinéaste a beaucoup travaillé en amont , réunissant témoignages et documents (notamment de  la fondation Tom Of Finland ) , afin de porter au grand jour les aspects mal connus de l’homme et de son combat  dont il  deviendra  finalement,  le symbole d’une communauté. Au sortir de la guerre Touka retourne à ses études , puis il réussit a se faire embaucher par une agence de publicité exécutant dessins et affiches de mode qui lui permettent de vivre , et  fréquenter soirées privées et autres lieux de la vie de bohème d’après-guerre où il se fera une place  . Tout en continuant  dans sa chambre à dessiner les modèles rêvés . Les sorties , les voyages , les rencontres …et surtout celle qu’il nouera avec Well ( Lauri Tilkanen) pour une longue relation. Puis sur les conseils d’un ami qui le convainc de proposer ses dessins secrets (  que  Touko  qualifie  comme étant   »  ses dessins cochons » )   à un magazine de culturisme Américain   » Physique Pictorial » ,  va  en 19,57  , lui ouvrir les portes .. .

Touko ( à droite en compagnie de sa soeur Kaija ( Jéssica Graboski )  et   de  Well  ( Laurie Tikanen) le compagnon de Touko.    ( crédit Photo : Rezo Films ) 

Ses dessins publiés sous le nom pseudonyme de « Tom » pour éviter les tracas de la censure , à l’image  de celui du  héros bûcheron «  Tom of Finland » aux formes et signes explicites, vont  rencontrer un succès inattendu et devenir  un emblème que s’arrache la communauté  gay , notamment culturiste et « queer » , aux  Usa . Dès lors , le dessin va devenir son activité principale et publique , et finir même d’une certaine manière, par  le dépasser. Il va se rendre compte, via les témoignages  comme  celui de  ce jeune homme qui lui confie « vous avez changé ma vie »  qui s’était jusque là comme lui jadis terré dans la peur et le secret, et  à qui tout à coup une reconnaissance et une visibilité était offerte . Puis cette  iconographie érotique gay dont le presse  , au delà du magazine culturiste,  va se  faire  l’écho  d’une  « mode »  et  s’en emparer pour en faire  la  « une »  ,  des tendances, mais aussi  de certains  excès ( la séquence de la fête  » cuir », à la piscine où débarquent les policiers ) , sur lesquels le cinéaste ne manque pas d’ironiser . Expositions et voyages , notamment en Amérique auprès de la communauté Gay Californienne ,  qui l’acclame  . Le succès  et puis , le revers de la médaille dont le cinéaste traduit avec subtilité les années  qui suivront  celles  du succès… jusqu’au retour  de bâton  des années Sida , qui,   lorsque la maladie se propage , verront  le  viseur se  pointer contre   cette  communauté gay … et  aussi sur  les  dessins de  Touko  qui sera  accusé de  « … propager par  ses  dessins la maladie »!.

Une scène du film sur l’accueil triomphal de Touko ( à gauche )  aux Usa par la communauté Gay. ( Crédit photo: Rezo films )

C’est cette hantise  du rejet et de l’ostracisme  qui ne cesse de poursuivre Touko ,  qui va mettre en péril son couple et  le couper de sa sœur également dessinatrice qui ne manquera pas  de  lui faire des reproches  sur l’exploitation « vulgaire » de  ses  dessins  . Dès lors,  s’il réplique aux accusations en faisant campagne  et  dessins  pour « une sexualité protégée » ,   s’il marque le coup tout en continuant à dessiner , il va  y faire face aussi  en ravivant la flamme de la dérision  nostalgique que le  succès avait quelque peu  atténuée  .  Comme à l’époque où il  refusait de  publier  ses dessins et fustigeait  la censure  au service  du  pouvoir  «  proposer ces dessins en Finlande ? ..au Vatican il auraient plus de succès ! » .  Mais  lorsque la suspicion  devient trop forte, et que malgré ses  dessins en faveur des  préservatifs , il  se  voit  toujours  soupçonné d’avoir,   par eux  » propagé  le Sida » , il finira par se retrancher de la scène. C’est le coup de grâce :  le   refuge qu’il avait trouvé dans le fantasme et le secret gardé de ses dessins , la notoriété  le  lui renvoie en boomerang assassin dont il ne se relèvera pas . La force du film et de la mise en scène est de nous entraîner dans les méandres de son  parcours quotidien du combattant contre l’ostracisme.  Elle est là aussi pour rappeler aux jeunes générations «  qui sont les plus harcelées , et qu’il faut y mettre fin » , dit le cinéaste. C’est bien, en effet,  dans cette intention que  Touko a construit  son oeuvre   et  a fini par  la sortir  du secret  dans lequel il la  gardait , expliquait-il  à  quelques mois avant sa  mort : « A cette époque-là, un homosexuel ne pouvait éprouver que de la honte par rapport à sa sexualité. J’ai voulu que mes dessins aillent à l’encontre de cela. J’ai voulu montrer des hommes gays heureux, des hommes qui vivaient bien leur homosexualité. Je précise que ce n’était pas quelque chose de vraiment réfléchi, mais j’ai su, dès le départ, que les hommes que j’allais dessiner devaient être fiers et heureux ! » (  in : Tom of Finland , His Life and Times, 1991).

C’est  dans  cette perspective ,  afin de  raviver son souvenir et son importance  par ce qu’il a pu représenter , que les  auteurs  et  le cinéaste  Dome  Karukowski  on  voulu prolonger  avec le film  son  combat   pour  la  jeunesse  d’aujourd’hui  qui,  constatent-ils  , y est encore  confrontée  dans de  nombreux pays  …

(Etienne Ballérini )

TOM OF FINLAND de Dome Karukoski – 2016 – Durée : 1h 56 –
Avec : Pekka Strang , Lauri Tilkanen , Jessica Grabowski, Taisto Oksanen , Seumas Sargent, Nikklas Hogner , Jacob Oftebro…

LIEN :  Bande- Annonce du  film  Tom Of Finland  de Dome Karukovski

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