Je me souviens que tu étais situé dans la rue Nélaton, dans le XVème arrondissement.
Je me souviens que la rue Nélaton débute à hauteur du boulevard de Grenelle et se termine au croisement de la rue du Docteur-Finlay.
Je me souviens que tu as été érigé en 1909 et détruit en 1959.
Je me souviens que dès 1902, Henri Desgrange (coureur cycliste, dirigeant sportif et journaliste) demande à l’architecte Gaston Lambert, d’aménager la Galerie des Machines, situé dans le quartier de Grenelle, pour y créer une piste de compétition cycliste.
Je me souviens que, inauguré le 20 décembre 1903, le vélodrome connaît rapidement un grand succès populaire. Mais en 1909, la ville annonce la destruction de la Galerie des Machines afin de libérer la perspective vers le Champ de Mars.
Je me souviens que Desgrange décide alors d’édifier tout à côté un nouveau temple du vélo. Ce futur « Palais des Sports » a pour architectes MM. Lambert et Durand, qui l’intitulent le « temple des sports du boulevard de Grenelle ».
Je me souviens que ton nom exact était le « Vélodrome d’hiver » mais qu’on t’appelait familièrement le « Vel d’hiv’ ».
Je me souviens que de nombreuses manifestations animèrent cet équipement. La fameuse course cycliste dite des «Six jours de Paris », créée en1913, par Bob Desmarets, journaliste de « L’Auto» et une personnalité du cyclisme de l’entre deux-guerres, directeur des vélodromes parisiens, devint vite le sommet de la saison cycliste.
Je me souviens que, à partir des 16 et 17 juillet 1942, y furent détenus plusieurs jours, dans des conditions très précaires, une partie — 8 160 personnes : 4 115 enfants, 2 916 femmes et 1 129 hommes — des 13 152 Juifs (4 115 enfants, 5 919 femmes et 3 118 hommes), victimes de la rafle du Vel d’Hiv’, avant leur déportation vers le camp d’extermination d’Auschwitz – Birkenau.
Je me souviens que cette rafle est la plus grande arrestation massive de juifs réalisée en France pendant la Seconde Guerre Mondiale. Moins d’une centaine reviendront.
Je me souviens que effectuées à la demande du Troisième Reich — qui, dans le cadre de sa politique d’extermination des juifs d’Europe, organise, en juillet 1942, une rafle à grande échelle de Juifs dans plusieurs pays européens, l’« opération « Vent printanier *» —, ces arrestations ont été menées avec la collaboration de 7 000 policiers et gendarmes français, assistés de 300 militants du Parti Populaire Français de Jacques Doriot, sur ordre du gouvernement de Vichy.
Je me souviens que le 16 juin 1942, René Bousquet, chef de la police de Vichy, propose au général Oberg de livrer 10 000 Juifs apatrides (Juifs autrichiens, polonais, tchèques qui n’ont plus de gouvernement) de la zone libre grâce à la police française.
Je me souviens que, le 2 juillet 1942, il assiste à une réunion de planification dans laquelle il ne formule aucune objection à l’arrestation des Juifs apatrides mais exprime son inquiétude devant le fait « gênant » que la police française soit chargée de l’exécution des plans dans la zone occupée.
Je me souviens qu’il obtient un compromis selon lequel la police raflerait uniquement les Juifs étrangers en échange d’un réarmement de la police française. Vichy qui souhaite protéger les Juifs français ratifie cet accord le lendemain.
Je me souviens que la collaboration de la police française, dans la zone occupée, a été décisive pour la mise en œuvre de la «Solution finale » nazie. En outre, elle s’est elle-même chargée du recensement des juifs, de leur arrestation et de leur rassemblement dans les camps de concentration (Drancy, etc.), réquisitionnant pour cela, à Paris les bus, et sur l’ensemble du territoire français des trains de la SNCF.
Je me souviens qu’il y a des policiers français qui n’ont pas partagé ce point de vue, comme le réseau « Honneur de la police », un des groupes clandestins de la Résistance intérieure française à l’occupation allemande au sein de la Préfecture de police de Paris. Cette création fait suite à la disparition du groupe Valmy de l’« Armée Volontaire » de la police parisienne. Presque tout l’état-major de l’AV est arrêté le 11 mars 1943 par les inspecteurs des Brigades Spéciales de la Préfecture de police de Paris.
Je me souviens d’Edouard Vigneron, chef de service des étrangers de la police de Nancy. Le 18 juillet 1942, il apprend que la rafle des Juifs de Nancy est pour le lendemain. Il convoque tous les policiers qu’il peut joindre pour qu’ils fassent fuir tous les Juifs menacés, qu’ils connaissent pour la plupart pour leur avoir remis leurs papiers. Il n’hésite pas à les faire accompagner à la gare et à leur faire remettre tickets et laissez-passer pour atteindre la «Zone libre ». Des policiers ont même abrité chez eux des Juifs menacés.
Je me souviens qu’il a été arrêté après ces événements, mais libéré et réhabilité à la Libération. Édouard Vigneron, Pierre Marie et trois collègues policiers (Charles Bouy, François Pinot et Charles Thouron) ont reçu la médaille de Justes parmi les nations.

Je me souviens m’être demandé si des enceintes sportives, lieux où se promeuvent des valeurs qui ne sont pas exactement les mêmes que celles de la rafle du Vel’d’hiv, ont servi de lieux de rétention.
Je me souviens que, au mois d’août 1958, tu as accueilli un centre de rétention de Français musulmans d’Algérie (FMA) sur ordre du préfet de Police récemment promu, Maurice Papon.
Je me souviens de l’Estadio National, à Santiago du Chili, où, après le coup d’Etat du 11 septembre du général Pinochet, ce stade fut utilisé comme camp de prisonniers entre septembre et novembre 1973. Y a été emprisonné et torturé le chanteur Victor Jara, assassiné le 13 septembre après avoir eu les doigts coupés par une hache.
Je me souviens que tu fus détruit en 1959. Un site du ministère, le « site Nélaton » (du nom de la rue), occupait l’ancien emplacement du Vélodrome d’Hiver.
« C’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et, pour presque tous, la mort des 13.152 personnes arrêtées le 16 et 17 juillet [1942] à Paris… les 16 et 17 juillet furent l’œuvre de la police française, pas un seul allemand n’y prêtât la main. » (Emmanuel Macron, lors du 75ème anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv)
« Celui qui ne connait pas l’histoire est condamné à la revivre » (Karl Marx )
Jacques Barbarin
*« Vent printanier » est le nom de code d’une opération s’inscrivant dans le dispositif plus vaste organisée par l’Allemagne nazie, visant à déporter les Juifs des territoires occupés de l’Ouest de l’Europe, (France, Pays-Bas, Belgique) dans le cadre de sa politique d’extermination de toutes les populations israélites.
P.S. je vous conseille la lecture du « Dictionnaire de la collaboration » https://ciaovivalaculture.com/2015/01/02/litterature-dictionnaire-de-la-collaboration/
Voir aussi le film « La rafle », sorti en 2010, écrit et réalisé par Roselyne Bosch
J’aime la phrase de Marx que vous citez « Celui qui ne connait pas l’histoire est condamné à la revivre » !
Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série de photographies brodées intitulée « Lettres mortes» sur la rafle du Vel ‘hiv et l’histoire Marie Jelen enfant déportée.
Cette série fut exposée à deux reprises à Chambéry en Savoie et à Uriage en Isère et j’espérerais cette oeuvre dans un lieu de mémoire.
>A découvrir: https://1011-art.blogspot.fr/p/lettre.html
> Mais aussi : https://1011-art.blogspot.fr/p/enfant-de-parents.html