Après Gloria (2014 ) , le cinéaste Chilien nous offre un autre portrait de femme libre confrontée au regard de la société . Marina est transsexuelle , suite à la mort accidentelle de celui qu’elle aime , elle va se retrouver confrontée à la vindicte de la famille de ce dernier . Superbe regard sur la marginalité et l’exclusion , aux accents romantiques et documentaires sublimés son interprète , Daniela Varga . A voir sans hésiter . Ours d’Argent au Festival de Berlin

Dans Gloria le film qui l’a consacré sur la scène internationale ( Ours d’Or au Festival de Berlin 2013 et sélectionné pour les Oscars ) , Sébastian Lélio , avait au travers de son héroïne fait le portrait d’ une femme quinquagénaire solitaire et libre, explorant sa sexualité et son indépendance. Un regard accentué par une proximité d’autant plus sensible et juste qu’elle était dénuée de toute forme de jugement dont on retrouve ici cette forme d’approche sans doute héritée de ses études de journalisme puis de sa formation de cinéaste à l’école chilienne de cinéma dont il sort diplômé et débute sa carrière avec des courts et des documentaires. Son premier long métrage de fiction Navidad ( 2009) le confirme, qui met en scène le drame de trois jeunes adolescents séparés de leurs familles ayant un avenir et une identité à se construire. Son avenir, Ici, Marina ( Daniela Varga , émouvante , extraordinaire ) a déjà commencé à le construire en assumant sa transsexualité avec les apparences corporelles et vestimentaires qui la distinguent au regard des autres. Elle en a construit aussi son quotidien qui lui permet de le vivre . Un travail de serveuse dans un restaurant, mais aussi des aspirations artistiques avec ses exhibitions de chanteuse de boîte de nuit , dont les leçons de chant et de musique auxquelles elle s’adonne , cachent le rêve secret de devenir chanteuse ( Diva?) lyrique . Au cœur de ce quotidien , une liaison sincère qui s’est construite avec Antonio ( Francisco Reyes) ce quinquagénaire qui a quitté sa famille et avec lequel elle vit aujourd’hui et l’accepte telle qu’elle est . Sans doute aussi parce qu’il la révèle d’une certaine manière , à lui même…

Il suffit de voir, comment son regard se porte sur elle, lorsque dans une des première scènes du film il se rend dans ce cabaret où elle se produit sur scène. Pour lui , elle est cette femme fantastique qui en changeant sa vie l’a conduit à regarder le monde différemment , et a le transformer en un homme ouvert et sans préjugés. Dans une société d’Amérique latine où la sexualité masculine et ce qu’elle représente au delà de la virilité de ses attributs, comme place dans la vie familiale et politique , c’est se positionner au cœur d’un débat qui remet en question tout un contexte sociétal et comportemental . Celui dont les miroirs que lui reflète le récit et les conséquences qu’il entraîne, est conçu par les auteurs comme une sorte de remise en question des réflexes conditionnés de refus dominant les renvoyant a des « chimères », comme le laissera entendre dans une sorte de fin de non- recevoir , la femme d’Antonio . Ce refus de voir et de comprendre, mal pervers et dominant d’une humiliation quotidienne qui renvoie sa propre imposture à l’autre , comme forme ultime d’humiliation et de rejet . En lui disant « tu es un monstre, tu n’existe pas ! » . Voilà le cadre et le contexte dans lequel va se retrouver Marina, lorsqu’à la suite d’une soirée amoureuse, Antonio victime d’une rupture d’anévrisme va décéder à l’hôpîtal où Marina l’a conduit pour y être soigné . Dès lors tout va se déchaîner dans une sorte de logique naturelle destinée à remettre Marina dans la « case » qui lui est réservée par le poids d’une normalité dominante qui cherche à l’enfermer dans l’imposture coupable . Elle n’a pas de statut ( sa carte d’identité est masculine, elle n’a aucun lien légal avec Antonio…) , elle en deviendra même une suspecte pour la police …et que dire de la position de la famille sur laquelle elle fait peser le déshonneur !.

La force du film est dans le point de vue multiple, des formes et du fond , utilisé par Sébastian Lélio pour nous plonger dans le drame de Marina et décrire son combat de survie . A l’image de cette magnifique scène où on la voit dans la rue , luttant contre le vent d’une bourrasque soudaine , mais ne pliant pas . Scène emblématique d’un combat dans lequel elle s’est inscrite pour aller de l’avant face à une société qui voudrait la jeter dans l’oubli , et trouver la force de renaître avec comme emblème de sa propre identité et sortir du cauchemar. C’est dans cette situation incertaine que le cinéaste trouve les formes adaptées et son style fantastique à lui , définissant son regard cinématographique où les influences interfèrent pour faire corps avec son sujet . Celui d’une identité sexuelle qui pour le regard extérieur est un mystère ( et suscite chez certains on l’ a vu le rejet) et qui n’en est pas moins le reflet d’une ressenti intime et d’une forme ( ou genre ) d’identité aussi respectable que d’autres. C’est le point de vue humaniste qui prime . Se refusant à porter tout jugement le cinéaste trouve dans la dimension documentaire les éléments qui permettent de traduire les différentes phases d’humiliation ( le certificat de naissance , la suspicion policière , la haine de la famille du défunt …), du rejet subi par Marina dont on vous laisse découvrir les étapes . De la même manière que les éléments du mélodrame y sont évoqués , ceux de l’immersion dans la fantaisie ou le fantastique pour y faire face , servent de bol d’air . Mais aussi de possibilité d’un immersion nouvelle dans le réel , comme le laisse entrevoir l’autre magnifique scène de la plongée musicale en forme de renaissance libératrice sur la piste de danse clin -d’oeil évident , au final de Gloria ….

Marina les ombres du passé et du présent évacuées , peut désormais faire face à son avenir et laisser les corbeaux noirs tournoyer au dessus d’elle, sans possibilité de l’atteindre. Si elle a souffert , sa victoire c’est d’avoir refusé de se soumettre , et si au bout du compte celle-ci est bouleversante c’est aussi parce qu’elle passe par un vécu qui offre au film . Cette authenticité irremplaçable au personnage de Marina incarné par Daniela Varga véritable transsexuelle dans la vie dont son comportement , son regard comme tous les pores de sa peau se font l’écho d’un vécu qu’elle a apporté au personnage de fiction . La réalité et la fiction en fusion . Un choix voulu par le cinéaste « Pour moi, cela aurait été une aberration, un anachronisme esthétique dans une époque où l’on voit émerger un nouveau paysage des genres. Faire l’inverse m’aurait rappelé les débuts du cinéma, quand les noirs avaient l’interdiction de jouer dans des films et les comédiens blancs se mettaient en scène, grimés en noirs. Tourner mon film sans un vrai personnage trans aurait été aussi brutal ( …) . Que l’actrice principale soit une femme transgenre le rapproche, sinon du documentaire, du moins du « document ». Elle fait battre le réel au cœur du film. Elle pousse le film vers un territoire cinématographique plus épineux, plus provocant et plus précieux », explique -t-il dans le dossier de presse. Puis , ce qui nous a plu dans cette référence aux genres cinématographiques et à l’art ( musique , danse …) comme refuge pour y puiser les sources rendant capable de résister . C’est l »autre belle idée qui illumine le film et le personnage de Marina dans sa quête de survie et de résistance pour garder son identité . Comme le chante Aretha Franklin » Like a natural woman » , nous avons aimé cette identité naturelle que Marina aura réussi a préserver ….
(Etienne Ballérini)
UNE FEMME FANTASTIQUE de Sébastian Lélio – 2016- Durée : 1h 44 –
Avec : Daniela Varga, Francisco Reyes, Luis Gnecco, Aline Kuppenheim,Nicolas Saavedra, Amparo Noguera …
LIEN : Bande- Annonce du Film , Une Femme Fantastique de Sébastian Lélio .