La cinéaste et la plasticien photographe, nous invitent à une superbe déambulation – rencontre improvisée avec les habitants des villes et des villages de France. Chaleur humaine du regard, et esprit créateur au service de la transmission. De magnifiques rencontres et portraits sur la France profonde, enrobées d’une mélancolie enjouée. Oeil d’or du Documentaire au Festival de Cannes 2017 . Un voyage jubilatoire à savourer …

Ils ne pouvaient que se rencontrer . Elle, la photographe- cinéaste et plasticienne presque nonagénaire , dont la filmographie n’a cessé de glaner ( Les glaneurs et la glaneuse / 2000 ) l’âme des lieux et des gens dans une approche documentaire où le rapport à l’image est au cœur. Celui inspiré par le pionnier des premiers temps de la photographie , Louis Daguerre auquel fait référence son film Daguerréotypes (1975 ) ou ceux « Murs , Murs et Documenteurs ( 1981 ) réalisés sur les peintures murales lors de son séjour à Venice aux Etats-Unis . Et lui , JR (34 ans ) le plasticien photographe urbain connu pour ses immenses collages photographiques sur les murs , maisons et autres lieux extérieurs, mais très présent aussi sur les réseaux sociaux . Leur lien : u, n certain regard sur le monde et les gens , une admiration réciproque, « J’ai tout de suite senti qu’on allait faire quelque chose ensemble. Il m’a semblé évident que ta pratique de représenter les gens agrandis sur les murs, valorisés par la taille, et ma pratique de les écouter et de mettre leurs propos en valeur, cela allait donner quelque chose », dit la cinéaste dans le dossier de presse. Elle voulait, lui le peintre Urbain , l’amener sur un autre terrain à la rencontre des gens sur les routes de France . Et les voilà partis sur le camion « photographique et magique » de JR , équipé de son studio de pose et développeur de photographies géantes pour fabriquer ses immenses photos murales ….

Un peu comme l’a fait récemment Raymond Depardon avec son camion en forme de studio – cinéma , pour Les Habitants ( 2016 ) . Désirs de rencontres et envie de rendre hommage au gens comme à leur paysage de vie quotidien dont ils sont les relais d’une certaine manière d’être et de vivre . La vieille dame et le jeune homme à lunettes, sur le ton enjoué d’un dialogue quotidien où l’on se «chine » quelque peu sur les habitudes et l’image ( chapeau et lunettes noires de l’un , et coiffure bi-colore de l’autre ), s’affairent gaiement. Au long de l’itinéraire improvisé, suscité par des envies ou prolongé par des contacts « Chacun de nous avait parfois un contact quelque part dans un village ou une envie de quelque chose. Donc, on allait voir. Comme toujours dans le documentaire, parce que j’en ai beaucoup fait, on a une idée, et très vite, le hasard, les rencontres, les contacts font que tout à coup, cela se cristallise sur quelqu’un, ou sur un endroit. En fait, on engage le hasard, on l’engage comme assistant ! », dit la cinéaste . Mais très vite s’installe au fil des rencontres des autres et de soi, ce lien ténu laissant surgir le rapport de cet éphémère photographique qui le représente , ce « quelque chose » , d’une quête de soi et de l’autre, mais aussi de ce rapport au temps ( passé ) et au présent dont la créativité de l’un et de l’autre, réactive en même temps que les souvenirs, les envies et les sentiments , un ressenti intime …
C’est l’un des aspects « clé » et passionnant du film , celui d’un voyage à travers la mémoire intime et collective. Et de ce qu’elle révèle des uns et des autres . A commencer par cette mémoire collective donc, provoquée ( réactivée ) par nos cinéaste plasticiens à l’oeuvre au contact de la population . Une des séquences emblématique le reflète admirablement , celle qui se déroule dans ce village abandonné devenu désormais fantomatique qu’ils ravivent l’espace d’une journée en appelant les habitants des environs et ceux qui en sont partis , à y revenir et le ré-animer à l’occasion de cette photo géante des visages réunis qui vont orner les murs délabrés des maisons délaissées et en faire par leur présence perdurer le souvenir enfui. De la même manière que les magnifiques portraits des représentants d’une certaine France. Celui du facteur nostalgique ( qui fait penser à celui de Jour de fête de Jacques Tati ) avec ses souvenirs et astuces des tournées (d’hier et d’aujourd’hui ) et des liens avec ses clients. Comme de ces mineurs du Nord rencontrés et photographiés qui parlent de leur vécu du temps jadis et de leur dur labeur dans les corons , et de cette femme dernière habitante d’une maison de mineurs refusant d’être expulsée et dont les larmes en disent long, lorsque nos deux cinéaste lui offrent son portrait géant exposé sur le mur de sa maison, en hommage à sa « résistance ». Les femmes des Dockers portraitisées sur les lieux de travail de leurs maris. Le portrait de Patricia , éleveuse de chèvres et productrice de fromage artisanal fière de respecter les animaux et de garder les « cornes » de ses chèvres que sont enclins de « couper » pour raison de « meilleurs rendements productifs » , les tenants des exploitations industrielles. Ces femmes actives ou à l’ombre des maris , mais toujours très présentes dans les films de la cinéaste …
Puis, il y a aussi , en fil -rouge, le voyage – cinéma auquel on est conviés avec les références qui font écho aux rencontres et à la passion de la cinéaste. Et son émouvante référence à Luis Bunuel et à cet œil tranché par une lame de rasoir dans Un chien Andalou ( 1929 ) , lorsqu’elle nous parle de sa maladie des Yeux qui implique des injections douloureuses qui lui font penser au film . Elle nous entraîne du côté de ses débuts La pointe Courte ( 1954) et à sa passion de la photo étudiée à l’école des beaux arts et mise en pratique comme photographe du Théâtre National Populaire de Jean Vilar . Qui lui fait , ici , évoquer un des ses modèles d’hier , Guy Bourdin qu’elle avait portraitisé et dont elle souhaite voir renaitre l’image sur un bunker d’une plage de Normandie . la visite au cimetière de Cartier- Bresson, l’évocation de Nathalie Sarraute… et celle de la nouvelle vague et de Jean- Luc Godard et d’un rendez-vous en Suisse avec l’ami d’hier de la nouvelle vague , dont on vous laisse la surprise . Comme celle des autres multiples portraits que l’on a pas cités ici , mais qui sont un plaisir de tous les instants .
La Glaneuse de 89 ans en pleine possession de sa créativité dont elle ne cesse de renouveler les possibles et les aventures , nous immerge dans un plaisir de cinéma en partage toujours aussi créatif et jouissif . Ne manquez pas le rendez-vous avec cette grande , et immense , dame de notre cinéma. Visages Villages, c’est 89 minutes de plaisir !.
(Etienne Ballérini)
VISAGES VILLAGES d’Agnès Varda et JR – 2017- Durée : 1 h 29.
Avec : les deux co-cinéastes à l’oeuvre , Musique : Mathieu Chédid , Directeur Artistique des collages : Guillaume Cagniard , images : Claire Duguet (Bonnieux, Reillanne, Usine), Nicolas Guicheteau (Paris, Usine, le Nord), Valentin Vignet (BnF, côte Normande), Romain Le Bonniec (Vexin, Le Havre, Pirou), Raphael Minnesota (Musée du Louvre), Roberto De Angelis (Cuisine, Suisse), Julia Fabry (2e caméra), Monatge :Agnès Varda avec Maxime Pozzi Garcia chef monteur….
LIEN : Bande Annonce de VISAGES VILLAGES , d’agnès Varda et JR.