Une phrase du trompettiste suisse Erik Truffaz accordé en 2007 à un journaliste qui lui demandait si son dernier CD Arkhangelsk était du jazz. Une réponse qui correspond un peu à la carrière d’un artiste qui, depuis 20 ans, a multiplié les intrusions dans d’autres musiques, électro, pop, hard rock, rap, des sons d’Afrique et d’Inde, faisant de lui une réelle figure de ce jazz progressif qui montre que cette musique ne reste pas figée. Il était sur la Côte d’Azur à Cagnes sur Mer invité par le concept All That Jazz qui propose régulièrement des concerts dans sept villes de l’Hexagone.
Il voulait être berger, il est devenu musicien, il rêvait de vivre en ermite, il foule toutes les scènes internationales. Le destin d’un fils qui accompagne un papa saxophoniste dans les bals après que le chef de la fanfare de Chênes – Bougeries.Un suisse lui donne une vieille trompette. On est dans les années 1960, on écoute les Beatles, le rock , , la pop, Led Zepplin, le synthé de Klaus Schulz, Sun Râ, Pink Floyd. En rentrant au Conservatoire de Chambéry , le jeune Erik apprend une autre musique, c’est un choc mais finalement, c’est là qu’il comprend que cette culture musicale est un cadeau, si bien qu’il va même jouer quelques notes au milieu d’un orchestre de musique classique…la suite va très vite, il devient le musicien de jazz que l’on connaît mais un musicien justement parfois inclassable, malgré par moment ses sonorités Miles Davis ou Chet Baker. Il serait trop long de détailler toutes ses rencontres, parfois même surprenantes comme celle, justement avec le chanteur français Christophe dans Arkhangelsk ou encore dans l’expérimentation musicale Being Human Being avec le DJ Murcof et le dessinateur Soskri Bilal projetant des images sur son écran géant et, bien sur, toujours passionné par les voix, son dernier CD Doni Doni fait une belle place à la musique africaine avec le chanteur Rokia Traoré et le rappeur français Oxmo Puccino.
Eric Truffaz : Pour l’humain, c’est un peu plus, sortir de sa culture, c’est se mettre en relativité, ça fait du bien, ça remet les choses en place, on les voit différemment. Pour la musique aussi, c’est important, ce sont de nouvelles rencontres, de nouveaux horizons. Moi, ce que j’aime, c’est l’expérience de Duke Ellington qui dit que le jazz est un art avec ses racines dans le blues. L’arbre grandit, il a de plus en plus de feuilles de ramifications et il ne cesse de grandir et, plus on avance dans le temps, il y a des propositions différentes, parfois très éloignée du blues. Ce que je peux dire, c’est la liberté de la musique qui donne sa beauté, sa magie.
JP Lamouroux : Depuis quelque temps, au cours de chaque concert, vous dédiez un morceau à la ville qui vous accueille, qu’en est-il car on entend souvent que les improvisations des jazzmen sont écrites ?
Eric Truffaz : Pas du tout, ce que je fais ce soir là, c’est un morceau qui n’existe pas, on ne va pas savoir s’il va être rapide ou lent, doux ou fort, aucun musicien ne le sait, ils ne vont pas forcement me suivre, on ne sait pas qui commence, c’est un bon challenge, on offre quelque chose de réel au public, c’est comme çà qu’on compose.
JP L : Cet amitié que vous avez avec ce quartet qui dure, c’est un plus pour vous avec le travail que vous faites ensemble.
Eric Truffaz : Les rapports humains, c’est fondamental, c’est un grand plus, tu te rends compte de faire des années avec des gens que tu ne peux pas supporter, la confiance et l’amitié permet quand même de se laisser aller.
JP L : En dehors de la musique avez vous un attrait particulier pour d’autres cultures ?
Eric Truffaz : Moi, j’ai de l’intérêt pour la littérature, là, je relie Guerre et Paix et puis, cet hiver, j’ai lu tout Duras , Bukovski, c’est très large. On lit dans l’avion en attendant. En ce moment, je m’intéresse à un compositeur du Moyen Age qui s’appelle Pérotin, qui a participé au début de la polyphonie, il a gardé encore au 20 ème siècle une influence sur la musique actuelle minimaliste comme on peut l’entendre avec l’américain Steve Reich ou John Adams qui utilise parfois des secondes, des quartes et de la musique qui ressemblerait à la musique électronique. Je vais essayer de rebidoullier l’œuvre du Maître
Pérotin je suis tellement surpris qu’on ait pu écrire cela à cette époque, ça m’a quand même donné à penser , on a des avances, des périodes de l’humanité et, après on régresse et puis, on avance, et puis on régresse. On est peut être en pleine régression, je ne parle pas que de la musique, je parle à l’organisation humaine par rapport à l’organisation politique. Peut être, qu’on est en pleine régression, la démocratie, comment ça se passait, on remet en perspective. Je pense que Pérotin est plus moderne que Haydn. La musique classique a beaucoup influencé le jazz. Elle a influencé Herbie Hanckock qui a amené çà chez Miles. Quand on a demandé à Stravinski si le jazz l’avait influencé, il a dit, non, non, pas du tout, c’est le contraire,ce qui n’est pas faux.
cJP L : Je suis obligé de vous demander vos prochains rendez vous, vos projets, vos créations ?
Eric Truffaz : Bientôt, je vais enregistrer avec Galliano et Roberto Fonseca, je vais les mettre ensemble, on est en train d’élaborer avec Marcel Giuliani et l’actrice Sandrine Bonaire, c’est un concert de lecture avec des textes de Duras. Une première partie, c’est très acoustique, contrebasse et trompette, la deuxième partie, c’est avec plus de sons électroniques, la guitare électrique, çà on ne l’a jamais fait, on a commencé à répéter. Sandrine était une fan de nos musiques, c’est pour çà que je l’ai contactée. Je prépare aussi pour 2018 dans l’abbaye de Cluny à Paris, une création avec un chœur de 12 personnes dirigé par Marie Laure Tessédre en collaboration avec Michel Corboz qui est le papa de mon fidèle ami, le pianiste Benoît Corboz
JP L : Qu’est ce qui vous ennuie, vous gêne, vous dérange dans la vie ?
Eric Truffaz : Les cons, l’état du monde, les gens qui rétrécisse le monde, qui ont une vision étroite pour leur notion du luxe qui est bien superflu par rapport à ce qu’il faudrait pour que tout le monde soit bien, c’est çà qui me gène !
Jean Pierre Lamouroux