THEATRE /  » Salomé » mis en scène par Numa Sadoul

Intelligence, humour, sensitivité : « Salomé » mis en scène par Numa Sadoul.

Humour avec la « Salomé » de Wilde ? Comme vous y allez ! Sur le registre des bonnes intentions, cette pièce est vendue comme une tragédie, en fait foi la fiche de Wikipédia. Alors, si Wikipédia le dit… il ne reste plus qu’à fermer le ban.
Bon. « Pitchons » un peu. Hérode a épousé Hérodias, la femme de son frère défunt, elle aune fille Salomé princesse de Judée d’une beauté étonnante. Iokanaan, prophète, critique le mariage entre Hérode et Hérodias et le qualifie d’incestueux ; il a été enfermé dans une citerne (cette même citerne où avait été enfermé le frère d’Hérode avant que celui-ci ne le tue).Salomé est regardée par tous les hommes notamment de son oncle et beau père Hérode au grand dam de sa mère, mais Salomé est subjuguée par ce prophète qui déclame tant de paroles étranges, elle veut lui parler, le voir.
Iokanaan ne veut la voir, il l’insulte « fille de Babylone » « fille de Sodome » et la repousse.
Hérode ne se sent pas à l’aise, entend les ailes d’un oiseau, est-ce l’ange de la mort comme le prédit Iokanaan ? Hérode ne se laisse pas aller et demande à Salomé de danser pour lui et promet de lui donner tout ce qu’elle désire en échange d’une danse. Elle lui fait promettre de lui donner ce qu’elle désire, il promet, le roi promet !
Elle danse la danse des sept voiles et lui demande en échange la tête d’Iokanaan. Elle va l’obtenir mais pourquoi l’ange de la mort rôde t-il encore ?…

Le Suicide de Narraboth

Mais la pièce de Wide à une écriture profondément contemporaine où les sens sont déroutés; une écriture musicale, incantatoire, presque hypnotique. Pierre unique dans l’œuvre de Wilde, elle exprime l’infinie liberté de ce créateur, qui ne craint la rupture ni avec la société dans laquelle il vit, ni avec sa propre démarche d’auteur. La limiter à une tragédie est donc purement… limitatif. Il y a dans la Salomé de Wilde du théâtre de l’absurde, du théâtre du grotesque. Meyerhold affirmait : « Tout théâtre authentique ne peut pas ne pas être grotesque, qu’il soit un drame, une comédie, une tragédie, un vaudeville, une farce. » Et justement, peut-être bien que la tragédie n’en ressort que mieux.
Et Numa Sadoul, que les lecteurs de ciaovivalaculture connaissent bien (tant pis pour les lecteurs du grand quotidien d’information du Sud Est), connaît bien le théâtre, le spectacle vivant, je dirais qu’il le connait amoureusement*. Mais s’il le connait avec son cœur, ile le connait aussi avec son intelligence.
La scénographie nous montre d’emblée les lieux de trois pouvoirs, trois cercles dont il n’est facile ni de passer de l’un à l’autre ni d’en vouloir briser les liens. Le Pouvoir (avec un grand P), le lieu d’Hérode et Hérodias. Le pouvoir militaire, le lieu des deux gardes. Le pouvoir « judiciaire », la citerne où est enfermé Iokananan, stylisée par un entrelacs d’échelles.
On a dit que cette pièce manquait d’humour, d’ironie. Que nenni ! Ainsi la vision de la lune (la pièce se passe de nuit). Chacun, quant à la lune, voit, si je puis dire, « midi à sa porte. » Pour Salomé,  « Elle ressemble à une petite pièce de monnaie. On dirait une toute petite fleur d’argent. Elle est froide et chaste, la lune… » Pour Narraboth, le capitaine des gardes : » Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une petite princesse qui porte un voile jaune, et a des pieds d’argent. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches ». Pour Hérode, elle ressemble à une femme ivre qui chancelle et court d’aman en amant. Quant à Hérodias, « La lune est la lune, c’est tout »
Et, comme le dit la metteur en scène Anne Busang : Le comique apporte une distance qui remet en question la représentation d’une certaine façon. Il est aussi une liberté redistribuée au spectateur, car le rire, très physique, sollicite et remet en jeu le corps. Les spectacles qui travaillent sur la fascination d’un bout à l’autre ont un caractère totalitaire que l’irruption du burlesque déjoue.

La Scénographie

Car malgré sa poésie et sa fulgurance tragique, le texte comporte une touche comique, voire burlesque, affirmée. Et cela n’a pas échappé à ce matou matois du théâtre qu’est Numa Sadoul. Pour accentuer ce coté « fouteuse des pieds dans le plats » qu’est Hérodias, il fait jouer le rôle… par un homme. Et cela fonctionne à ravir. Le comédien, Paul Brouet, dans ce registre, fonctionne à merveille, même, comme dans la représentation à laquelle j’ai assisté (mercredi 14 juin au TNN) il semblait empêtré dans sa longue robe. Surtout, Paul, ne touchez à rien ! Vous aviez la « touch ».
Et c’est là que l’on voit la subtilité et la finesse de la direction d’acteur de Numa. Pour parodier le titre du tableau de Dali, il soulève la peau de l’au pour y voir le chien nu.
Numa, à la barre du vaisseau, tire des bords à loisir : si le cap général est la tragédie épico-biblique (à moins que cela ne soit l’inverse) il sait virer lof pour lof** vers le burlesque (et cela est tout simplement dans le texte) ou vers un théâtre symbolico-poétique, avec le suicide de Narraboth, le capitaine des gardes, qui se détruit pour avoir trop regardé Salomé (le regard, voir plus tard dans l’article). Il se vide de son sang, ruban de couleur rouge que recueille le garde.( stupéfiant Lô Bouzigue). D’un moment de grande douleur Numa fait un moment de grande douceur. Il sait très bien que l’important n’est pas ce que le texte veut dire, comme le présuppose les épigones insensés, mais ce que le texte peut dire.
Numa est expert pour faire ressortir tous les fumets de ce chaudron magique qu’est une mise en scène, de théâtre ou d’opéra***.

Salomé, Hérodote , Hérodias

Finalement, dans la Salomé de Wilde, deux éléments sont récurrents : le regard –donc, au fond le miroir de l’autre- et la passion, au sens –c’est le cas de le dire- biblique du terme. Il me vient à l’esprit cette phrase extraite d’une nouvelle de Borgès , « Tlön ubqar orbis tertius » (peut-être Numa saurait traduire ce titre) : « Bioy Casarès**** se rappela alors qu’un des hérasiaques d’Uqbar avait déclaré que les miroirs et la copulations étaient abominables, parce qu’ils multipliaient le nombre des hommes. » Fermez le ban.
Salomé, d’Oscar Wilde, mise en scène de Numa Sadoul, avec Salomé : Lola LETAROUILLY Hérodias : Paul BROUET Hérode : Louis LONGERAY Iokanaan : Julien NACACHE Narraboth / Un Soldat : Lô BOUZIGE Un Soldat / Un Juif / Un Esclave : Jean CHEMINET
Rappelons que ces comédiens sont issus des ateliers théâtre de Numa Sadoul à St Paul de Vence, la Cie des Enfants Terribles. Comme Numa, au fond. A mon avis, c’est le plus terrible d’entre eux. Et ils son bons, les petits. D’accord, ils sont bien dirigés, mais ils y vont de leur « monsieur plus ». Numa, explique leur ce que c’est.
Vous l’avez raté ? Vous ne pourrez plus le dire, puisque vous pouvez les revoir :
Festival OFF d’Avignon, au Collège de la Salle, 7 au 31 juillet à 21h30, Nuits de la Courtine à Saint-Paul de Vence, mardi 1er août à 21h, Théâtre de la Semeuse à Nice, vendredi 8 et samedi 9 décembre à 21h.

( Jacques Barbarin) .

*voir https://ciaovivalaculture.com/2017/05/29/musique-ego-dictionnaire-de-lart-lyrique-par-numa-sadoul/
**action par laquelle un voilier change de direction en se rapprochant du lit du vent (de la direction d’où souffle le vent)
*** voir http://www.lafauteadiderot.net/Mise-en-scene-et-opera-La-flute
**** Ecrivain argentin. Il rencontre Borgès en 1932. C’est le début d’une longe amitié qui donnera lieu à une féconde collaboration littéraire.

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