Salim Shaheen est cinéaste et comédien , il est une star en Afghanistan avec ses « nanars » qui l’ont rendu célèbre dans un pays où le cinéma est à peine « toléré » par la république Islamique . Le cinéma c’est sa vie , son cheval de bataille …il a fait des gens du peuple ses héros et il y dénonce l’intolérance. Un hymne au cinéma comme antidote à celle-ci, et un portrait haut en couleurs . A découvrir de toute urgence …

La documentariste franco- Suédoise connaît bien l’Afghanistan elle y a réalisé de nombreux reportages sur pour la télévision et la Radio ( France culture ) et publié un recueil de récits ( Nouvelles du réel / Actes Sud 2012 ) . C’est le cinéaste Atiq Rahimi ( souvenez-vous de Terre et Cendres / 2004 et Pierre de Patience / 2013) qui lui a parlé de ce cinéaste autodidacte et de son succès populaire .Elle le dit d’emblée « moi qui n’avait filmé que la guerre , j’ai voulu en savoir plus , j’avais le sentiment d’être passée à côté de quelque chose … ». Et ce quelque chose c’est dans un pays où la guerre et les attentats sont le lot quotidien , cette sorte de thérapie que constitue le cinéma de Salim Shaheen. Et le génie de ce dernier , c’est d’avoir compris qu’au delà du film de genre et de séries Z qu’il admire , il peut s’y inscrire en arrière-plan une intention artistique et un message que le public percevra . C’est ce que révèle dans une scène l’un des admirateurs qui – comme lui et la plupart de la population ne sait ni lire et écrire – a compris que les héros de ses films étaient des « gens pauvres, des gens du peuple » . C’est cet aspect en miroir d’une mise en scène de son propre personnage que la cinéaste traque , où on le voit en pleine action d’excitation et de travail , mais aussi se mettre en scène ( quel baratineur!) lors des entretiens ou en contact avec le public …

C’est l’aspect passionnant du film et du regard de la cinéaste qui le laisse en roue libre , pour mieux ,de temps en temps, le rattraper dans les confidences ( sur son enfance et son passé , sur sa vie familiale actuelle …) , et sur son rapport vertigineux avec cette création vitale qui l’anime . Et cela devient passionnant lorsque tout à coup il se lâche , lors de la visite dans la vallée de Bâmiyân , sur le site où les statues historiques géantes des Boudhas ont été détruites par les talibans . Des images qui ont fait le tour du monde en 2001 . Alors , tout à coup l’amuseur public devient grave et dénonciateur . Et on mesure alors que son cinéma n’est pas (aussi…) léger que cela. Et d’ailleurs Sonia Kronlund ne manque pas de le souligner » en filmant un homme qui risque sa vie » qui dit dans le dossier de presse « j’aime l’idée que Shaheen tourne des films sans arrêt ( il en est au 110 éme… ) , comme une besoin vital avec une énergie de forcené et une croyance inébranlable en ce qu’il fait. Au delà de la qualité de ses films les Afghans aiment son cinéma car il leur donne un visage et une voix qui n’existent nulle part ailleurs . Il les représente . Dans ses films les gens du peuple sont des héros. Les pauvres réussissent à vaincre les riches. Les faibles sortent vainqueurs , les puissants sont punis . Ses histoires racontent les tracas des petites gens et vous trouverez parmi ses personnages des muletiers , des paysans ,des petits commerçants . Shaheen fait jouer aussi des policiers , et des soldats qui jouent leur propre rôle et sont fiers d’être dans ses films. Son cinéma donne une image a des gens qui n’en ont pas » , explique-t-elle …

La force de son documentaire est là , dans ce qu’elle révèle ce qu’il y a au bout du compte .. . à la fois d’authentique et de culotté dans ces « nanars » qui dans le contexte d’un pays, y révèlent même une certaine forme de résistance , par l’arme de la caricature , du pastiche …et du rire . Le pastiche et le rire . L’art et la vie s’y articulent dans un rapport rendu d’autant s plus passionnant a bien y regarder , et le documentaire nous y invite au travers de ses témoignages . Où la complexité du contexte met en lumière les contradictions qui s’y révèlent . A l’image de ce témoignage, visage masqué , d’un Taliban qui avoue regarder les films du cinéaste … et qu’il n’est pas le seul. L’Islam rigoriste bannissant les images.Et le besoin d’images qui se révèle …être le plus fort !. De la même manière que le poids de la pression sociale et des traditions qui fera à Shaheen chef de quartier et de clan « frileux » trouver toujours de bonnes raisons pour s’y soustraire , lorsqu’on lui demande de montrer à la caméra , le visage de ses deux femmes. Dans un contexte compliqué il s’agit avant tout de se montrer diplomate et se protéger ..C’est ainsi qu’on peut conquérir une certaine liberté . L’image de la femme y est « tabou » , ainsi l’explique l’entretien de cette jeune fille qui a tourné dans certains de ses films contrainte de cacher son visage en public. Et d’ailleurs Shaheen qui s’amuse à dire que Sonia , la réalisatrice étrangère et non musulmane …n’est pas vraiment une femme !. Et ses films de l’absence des femmes s’en font l’écho , à l’image de cette autre figure de substitution « acceptable » qu’interprète ( superbement ) le comédien Qurban Ali marié et père de famille , dont le déguisement (travestissement ) féminin est accepté « comme un jeu , tant qu’il ne s’affiche pas clairement comme homosexuel !. Une tolérance que l’on retrouve dans de nombreuses société traditionnelles comme au japon , en Egypte ou en Thaïlande », explique la cinéaste . A cet égard l’entretien avec le comédien, qui a participé à une émission TV très regardée pendant un an , déguisé en femme portant la Burqa pour y dénoncer la condition féminine ( et , en même temps , la condamanation de l’homosexualité qui y est considérée comme un crime ), est un des moments forts du film…
Ne manquez surtout pas le rendez-vous avec ce documentaire exceptionnel qui au delà d’un personnage incroyable porté par sa passion , vous fera découvrir dans un pays en guerre depuis des décennies , comment un cinéma sans moyens peut non seulement survivre ( via les 4 cinémas de Kaboul mais aussi les DVD et la télévision … ) , et surtout, grâce à l’habileté d’un cinéaste pas si naïf que ça , qui distille au travers de héros de son enfance , des images d’espérance pour tout un peuple .
(Etienne Ballérini )
NOTHINGWOOD de Sonia Kronlund – Durée : 1h 25 –
Documentaire – Sélection Quinzaine des réalisateurs , Cannes 2017 .
Avec : Salim Shaheen , Qurban Ali …et les nombreux participants comédiens amateurs de ses films .
Bande – annonce du Film Nothingwood de Sonia Kronlund