Nourriture et théâtre font bon ménage dans la programmation « irinienne » : fin mai avec « Eat Parade » et, en janvier 2015 « Shakespeare ‘ sister ou la vie matérielle ». Dans cette pièces, 5 comédiennes préparaient une soupe pendant le temps de la représentation, soupe qui était dégustée après les applaudissements par les spectateurs.
Je me souviens que dans l’œuvre théâtrale de Denis Guenoun, « Le Printemps », vu à Chateauvallon en 1985, le comédien qui jouait Martin Luther disait : « Le drame, c’est la soupe ». J’inverserais la formule : « La soupe, c’est le drame ».
Il faut savoir que, à l’origine, Le mot drame vient du latin drama qui signifie « pièce de théâtre ». Est donc faite la liaison entre la soupe, et au-delà la nourriture, que ce soit sa préparation comme sa consommation, et le théâtre.
Mais il faut savoir aussi que, aussi bien dans Shakespeare ‘ sister ou la vie matérielle que dans la pièce représentée les 2 et 3 juin, Sacré, sucré, salé, les spect’acteurs dégustent à la fin la soupe préparée, à l’instar du rituel de l’eucharistie. Est donc faite la liaison entre la nourriture – et donc le théâtre – et le sacré.
Seule en scène, Stéphanie Schwartzbrod* aborde le thème de la foi sous l’angle inattendu de la nourriture. Aussi merveilleuse cuisinière que délicieuse comédienne, elle nous questionne sur le rapport entre la faim et la pensée, ou comment l’on mange « non ce qui est bon à manger, mais ce qui est bon à penser », comme le disait Claude Lévi-Strauss. Je serai tenté de dire que la comédienne se comporte en meneuse de revue : sa tenue de parade est un tablier de cuisinière, ses outils des instruments de cuisine et les différentes facettes du parcours qu’elle nous livre, sont, via un parcours dans les mois (l’émoi ?) de l’année les fêtes religieuses -je préfèrerais dire les moments – des trois religions monothéistes.
Ici, la religion est racontée par une femme dont on ne saura jamais si elle est juive, chrétienne ou musulmane. Ce spectacle raconte que la « passion de croire » n’est pas tout à faire étrangère à la passion de jouer, et à l’état amoureux ; et que croire n’est pas chose sans sensualité. Parce que les repas sont faits pour être partagés, et parce qu’il y a trop de points communs entre les trois monothéismes (à commencer par la sensualité !) pour les opposer.
Les « moments » religieux qu’en quelque sorte ce spectacle co-célèbre, sont, dans l’histoire de ces religions des épisodes aux cours desquels une tension, si ce n’est une violence s’est déroulée : or l’art – oui, l’art- de la comédienne est de nous les faire partager (j’emploie ce mot à bon escient avec tout le fondement religieux qu’il présuppose) de façon enjouée, spontanée, libre, éveillée, presque improvisée. Je ne devrais pas écrire des phrases si longues. Bon, pour faire plus court, je dirais que Stéphanie Schwartzbrod arrive à nous faire rire de ce qui apparemment ne devrait pas. Mais ne rit-on pas que de nous même ?
Et ces moments forts de l’histoire de ces trois religions perdurent par des plats qui en sont la mémoire, soit par l’histoire, liés au contexte de la période de l’événement, soit par la symbolique attachée à ce moment : nous rendre sensible la parole de Levy-Strauss (voir supra).
Il y est aussi question de partage et de convivialité : durant le spectacle, l’espace de jeu se remplit d’odeurs et à la toute fin, les spectateurs sont invités à savourer la chorba** cuisinée sur scène, et qui a mijoté sous leur nez pendant toute la représentation… mais qui a dû être commencé de cuisiné bien avant le début de la représentation. Après tout, comme je l’écrivais dans mon article sur Shakespeare ‘sister ou la vie matérielle, pourquoi présupposer que tout commence à la scène 1 de l’acte I et se termine à la dernière scène de l’acte V ?
La chorba est servie en premier lors du repas de rupture du jeûne pendant le ramadan pour ses vertus roboratives puisqu’elle redonne des forces et de l’énergie.
Cette pièce m’a fait venir à l’esprit un autre travail théâtral vu récemment au TNN, dans un autre registre, bien sûr, et qui m’avait beaucoup ému, Je crois en un seul Dieu : au fond ces deux œuvres, à leur manière, disent la même chose : Je crois en un seul Dieu.
Sacré, sucré, salé est un subtil spectacle qui attise notre intérêt pour la gourmandise via l’histoire des religions, à moins que cela ne soit l’inverse. J’avoue que, si je suis gourmand, je suis un athée indécrottable, Dieu me pardonne. Mais, que voulez-vous, nobody’s perfect.
Jacques Barbarin
Sacré, sucré, salé – Stéphanie Schwartzbrod
extraits de Le Repas, Valère Novarina & de Gabbatha, Fabrice Hadjadj
mise en scène Stéphanie Schwartzbrod, Nicolas Struve, avec Stéphanie Schwartzbrod
Photo : Antoine-Billet/Pierre Heckler
*Sublime –forcement sublime- comédienne que nous avons vu à Nice dans Henry VI de Shakespeare et Un mois à la campagne de Tourgueniev, mis en scène respectivement par Stuart Seide et Yves Beaunesne, excusez du peu. A lire également son livre édité chez Actes Sud, Saveurs sacrées, contenant une soixantaine de recettes, qui commence en janvier avec l’Epiphanie pour se terminer en décembre avec Achoura, fête musulmane, recueil « inspirateur » de ce spectacle.
** La chorba est une soupe traditionnelle orientale, maghrébine, très consommée en Algérie, en Tunisie ainsi qu’en Libye. Elle est préparée à base de viande ovine (mouton ou agneau), de tomate et de vermicelle ou de frik (blé concassé) et de légumes (tomates, courgettes et carottes pour certaines régions).