Un « trio » aux prises avec les caprices de l’amour. Désir , passion , infidélité , secrets et mensonges , tolérance et séparation. Exploration de soi et de l’autre , l’ombre et la lumière . Une superbe variation sur les itinéraires amoureux . Le nouveau film du cinéaste de l’Ombre des femmes (2015) est une vrai petit bijou . Présenté à la Quinzaine des réalisateur au dernier Festival de Cannes , il a obtenu le Prix SACD .

Le père ( Eric Caravaca) et sa compagne , Ariane ( Louise Chevillotte ), et la fille aimée du père , Jeanne ( Esther Garrel) . Cette dernière s’installe dans la maison du couple parce qu’elle vient d’être quittée . Ce père « qui l’aime plus que tout » , est évidemment l’idéal refuge pour verser toutes les larmes de son corps . Au cœur de ce trio réuni, on va découvrir petit à petit comment les pulsions du cœur et des sentiments guident leurs vies . A l’image de celle du père , professeur de philosophie dont la compagne n’est autre qu’une de ses élèves … qui a la même âge que sa fille de 23 ans !. Et celle-ci dont c’est la première vraie liaison amoureuse sérieuse, qui découvre le désamour et l’abandon . Son repli dans la maison et au cœur de l’intimité du couple formé par son père et sa compagne , et le trouble qu’elle y provoque , va être l’objet de l’exploration des sentiments qui est au cœur de l’oeuvre du cinéaste depuis ses débuts , dont le titre de l’un de ses films est évocateur : La Cicatrice intérieure . Et L’Amant d’un jour constitue le dernier volet d’une trilogie dont La Jalousie ( 2013) et L’ombre des Femmes ( 2014 ) étaient les deux premiers. L’originalité de cette trilogie , est voulue comme avant tout consacrée, à la féminité et à ses ressentis …au cœur du trio, va s’installer- en effet – entre les deux femmes, un passionnant rapport de rejet , puis d’approches et de confidences , dont le père et compagnon , est d ‘une certaine manière exclu…

Les cicatrices masculines et féminines le cinéaste de Marie pour mémoire (1967) en a décrit les douleurs et Les Hautes solitudes ( 1974) qui les faisaient se réfugier dans les Baisers de secours ( 1988 ) …des Amants réguliers (2004) . C’est donc dans ce prolongement que le cinéaste nous immerge au cœur de ce trio insolite qui va être déstabilisé par la tragédie de Jeanne , et surtout ce qu’elle va révéler en miroir , du couple formé par son père et cette jeune belle- mère . Les itinéraires amoureux et leurs complexités souffrantes, on y est au cœur . Les désirs secrets qui les animent, aussi. Deux magnifiques scènes les illustrent avec cette intensité brute , ou cet abandon des corps , qui les caractérise.Comme celle du couple faisant l’amour dans les toilettes du Lycée qui ouvre le film . Puis , plus tard, celle de la boite de nuit où les couples se frôlent , superbement chorégraphiée en une approche physique et sensuelle . Le trouble et ce qu’il décline comme non-dits , est constamment présent au cœur des séquences. Dans l’approche entre Ariane et Jeanne où la différence de caractère finit par s’estomper sans doute par le biais du jeune âge qui le permet , et le jeu des secrets qui installe cette t intimité et complicité féminine qui suscite les confidences intimes ( rêves , sexe , désirs , tentations , adultère … ) et autres échanges de secrets ( la tentative de suicide de Jeanne non révélée au père…) , constituent les éléments d’un lien qui réunit. Mais celui-ci , peut, être aussi fragile que les incertitudes de l’amour et des sentiments …ou de ces inconscients freudiens ( complexe d’ Electre …ou d’Oedipe ) qui parfois titille , les esprits…

L’habileté de Philippe Garrel est d’offrir au spectateur tout un spectre de possibles et de sous -entendus , qui enrichissent , les propos des personnages . Dans la relation du « trio » ainsi constitué par l’arrivé de sa fille , cet inconscient peut s’y inscrire , comme les autres névroses. Le cinéma de Philippe Garrel est aussi construit , un peu comme celui d ‘Ingmar Bergman qu’il admire , de tous ces éléments qui permettent de pénétrer , l’âme humaine . Et ils finissent par être déterminants dans ce qu’ils révèlent de chacun . Le père professeur et protecteur de sa fille qui cherche aussi la stabilité du couple . Sa jeune compagne que la liberté de la jeunesse n’a pas tout à fait quittée . Sa fille , cœur fidèle et romantique qui ne renonce pas . Le destin des couples est ainsi fait, que le temps peut en réparer ou rompre l’harmonie . La souffrance de la séparation ou celle de l’harmonie retrouvée . La solitude à laquelle on peut être renvoyé , et la « réunion » à laquelle on peut de nouveau espérer , la souffrance qui peut changer de camp. Dans la magnifique séquence du restaurant où père et fille sont réunis , tout y est dit . On vous laisse le plaisir de la découverte de ce qu’elle finit par révéler de tous ces secrets et tromperies qui vont provoquer l’inévitable dénouement ….

Passionnant ce que révèlent toutes les séquences des rapports intimes et quotidiens , dont le vécu est révélateur des ruptures et de fêlure profondes qu’elles provoquent . Philippe Garrel en traduit magnifiquement cette émotion qui affleure, et qu’il installe dans ses plans et séquences dans toute sa brute et forte intensité , à la fois celle des sentiments mais aussi du ressenti physique . Elle y vibre dans toute son intensité dans la largeur de l’image cinémascope en noir et blanc , qu’il enveloppe de toutes les nuances restituant non seulement l’intensité des sentiments qui s’y jouent , mais aussi celle de la lumière du jour et de la nuit . Servi par le travail à l’image du grand opérateur Renato Berta , que complète celui d’un montage au cordeau amplifiant l’intensité des élans du désir ou ceux des dissimulations . Tout comme l’est , celui sur les dialogues ( Co-écrits avec Jean- Claude Carrière ) porté par le naturel des trois comédiens en harmonie parfaite . Oui , c’est du Grand cinéma …
(Etienen Ballérini)
L’ AMANT D’UN JOUR de Philippe Garrel – 2017- Durée : 1h 16-
Avec : Eric Caravaca, Esther Garrel , Louise Chevillotte , Laetitia Spigarelli ..
–Voir, ici , la Bande -Annonce , L’Amant d’un Jour de Phlippe Garrel .