La nouvelle Angleterre, Emily Dickinson (1830- 1886) la rebelle cultivée, fait de l’écriture poétique son refuge contre la tradition puritaine qui lui impose de se tenir « à sa place » . Ses poèmes sont le reflet de sa douleur et de l’injustice vécue , mais ils resteront presque tous inédits jusqu’à sa mort . Cette douleur silencieuse le cinéaste Anglais, la sublime dans un film magnifique qu’il ne faut surtout pas manquer …

La première scène du film nous plonge au cœur de l’institution religieuse de Mont Holyoke en 1947 où Emily Dickinson, âgée alors de 17 ans fait ses études . Face à leurs bonnes sœurs enseignantes, la classe réunie se voit interrogée sur les prières faites en repentance et sur la bonne harmonie nécessaire à avoir… avec le ciel et le seigneur!. Emily Dickinson, répond : « pourquoi dois-je me repentir ? » . Une réponse qui constitue une sorte d’acte de rébellion et d’indépendance qui la fera retourner dans sa famille où elle devra aussi affronter les réprimandes d’un père autoritaire …et d’une société bourgeoise qui n’est pas prête à laisser libre court à sa quête de liberté et son désir de s’exprimer. Ce n’est pas le rôle que l’on attend d’une femme !. Et là encore au milieu des siens , elle remettra en cause une autorité qui ne lui sied pas . Comme l’illustre cette séquence , faisant écho à celle du séminaire , où dans la maison paternelle en présence de sa famille elle refusera de répondre à l’injonction d’un nouveau prêtre de s’agenouiller ! . La pression , la souffrance ressentie est d’autant plus forte qu’elle est très attachée à sa famille . Elle en sera prisonnière. De la même manière que le sont les femmes , cultivées ou pas, de cette époque et de ce siècle là ….

Et c’est de cet enfermement là que Terence Davies , fait le centre de son film duquel parfois explose la rage , la plupart du temps maîtrisée et contenue dans une dorme de résistance sourde et douloureuse. Celle-ci se libère par exemple lorsqu’elle fustige vertement ce donneur de leçon de morale et de vertu qu’est son frère Austin lorsqu’il se révèlera infidèle !, ou encore lorsqu’ Emiliy cassera cette « assiette sale » que son père lui reproche d’avoir apprêtée pour les souper …
Le cinéaste nous invite à découvrir les différentes étapes du cheminement vers l’enfermement, de l’Emily jeune ( Emma Bell) à l’Emily adulte ( Cynthia Nixon ) dont il nous fait partager les épisodes . Ceux parfois plus insouciants de la jeunesse ( la sortie à l’opéra ) et ses rencontres , cette amitié passionnée avec Susan Gilbert ( Johdi May ) , ou avec cette autre amie provinciale, Vryling Buffam (Catherine Bailey ). La vie quotidienne dans la maison familiale d’ Amherst , ses tenues ( blanches ) jugées excentriques par les voisinage, ses travaux d’arts ménagers , broderie , jardinage . Et la littérature ( Les soeurs Brontoë, Lydia Maria Shield , William Wprdswoth ou Shakespeare…) qu’elle a découverte dès ses 18 ans , par les romans prêtés par ses amis. Et très vite , elle va se mettre à écrire ses propres mots -refuges . Ceux qui traduisent sa solitude , ses peurs , sa mélancolie et cette douleur -révolte rentrée . Douleur et injustice ressentie se muent en angoisse et en isolement. Ses cris de révolte ce seront désormais ses poèmes . Elle écrira beaucoup à partir des années 1860. Elle tentera d’en faire publier certains , mais ils seront ré-écris par des éditeurs trop frileux…

Chez Terence Davies les femmes sont les sacrifiées d’une société masculine qui les bride de leur liberté , celles dont il a fait les portrait sans de superbes films . Emily Dickinson est d’une certaine manière le double de cette mère de Distant voices , Still Lives ( 1988 ) . Ne lui dit-on pas « vous êtes seule dans votre rébellion »? . Mais le cinéaste , ici , prolonge l’originalité de son constat et de son regard , en faisant de la poésie d’Emily le moteur de cette indépendance . Sa poésie étant la réponse à sa liberté bridée , à son enfermement . C’est par elle qu’elle peut goûter les moments d’évasion , qu’elle peut exprimer les douleurs de ses silences et celles de sa quête de vérité et d’un chemin du ciel qui ne s’ouvre pas à elle . Cette « fusion » qui deviendra d’autant plus angoissante , lorsque la mort du père et de sa mère , puis, sa propre maladie , la plongeront dans la peur ( ses spasmes …) , sentant l’élan vital l’abandonner . C’est cette dimension tragique que Terence Davies offre à son film empreint de romantisme , et duquel affleure cette poésie qui le transcende. Cette poésie dont il est le seul , avec Jane Campion (The Brigt Star / 2009 ) à avoir su traduire – en images – la force , la beauté et la puissance . Cette puissance qui jaillit des mots d’une révolte silencieuse que sa mise en scène enveloppe dans dans de magnifiques plans-séquences et lents travellings , où se décline le portrait des apparences sociales et cet enferment qui s’y distille . En même temps que les non moins superbes plans d’intérieurs de la maison familiale , soulignent par leurs éclairages et les nuances sombres qui s’y inscrivent , toute la détresse d’Emily . Les rares échappées extérieures ( l’opéra , le bal, les jardins …) du début , s’estompent pour s’inscrire dans l’espoir de l’écriture solitaire dont on sait le sort qui lui a été réservé de son vivant.…
C’est un très grand film que signe Terence Davies , d’une richesse visuelle extraordinaire qui vous emporte dans les méandres des souffrances de son héroïne dont ses rares poèmes publiés de son vivant furent expurgés . Un premier volume de ces derniers fut publié en 1890 mais encore largement modifiés . Il faudra attendre 1955 pour qu’ils soient publiés en Anglais dans leur intégralité grâce à Thomas H. Johnson dans la version originale de l’écriture d’Emilmy Dickinson. Une édition Bilingue : « poésies complètes » a été publiée aux éditions Flammarion en 2009 .
(Etienne Ballérini)
EMILIE DICKINSON , A QUIET PASSION de Terence Davies – 2017 – Durée : 2h 04 –
Avec : Cynthia Nixon , Jennifer Ehle, Duncan Duff, Jodhi May , Catherine Bailey, Emma Bell, Keith Carradine , Joanna Bacon, …
–Bande -Annonce de EMILY DICKINSON , A QUIT PASSION de Trenece Davies