Eat parade au TNN : castigat ridendo mores

La comédie châtie les mœurs en riant : c’est vraiment là le cœur de  la dernière création du TNN, du 18 au 29 mai, Eat Parade. Et des mœurs à châtier,  il y en a un moulon ! (beaucoup, en niçois). J’ai donc ri avec tout le monde, mais en trouvant pourtant qu’il serait plus vrai de dire de la comédie qu’elle corrompt les mœurs en riant.

Les pisse- froids et les m’as-tu-vus vont dire : quoi ! Une comédie ! Mais ce… comment l’appelez-vous, déjà, ah oui, Eat Parade (à prononcer la bouche en cul de poule), ce n’est pas du… c’est vraiment du… enfin, ce n’est pas du théâtre.

Si, si. C’en est même tellement que « cette chose » respecte à la lettre la fameuse règle de Boileau : Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli /Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. Unité de temps : L’idéal du théâtre classique veut que le temps de l’action corresponde au temps de la représentation  comme chez Racine (Athalie) et Ionesco (La cantatrice chauve).Banco, ici  la représentation dure 85 minutes, le temps exact de l’action qu’elle narre.

Unité de lieu, toute l’action doit se dérouler dans un même lieu. Ici, il ne s’agit pas d’un palais ou d’un intérieur bourgeois, mas du plateau d’une émission télé. Deuxième banco. Et troisième banco, l’unité d’action. Tous les événements doivent être liés et nécessaires. L’action principale doit être ainsi développée du début à la fin de la pièce, et les actions accessoires doivent contribuer à l’action principale et ne peuvent être supprimées sans lui faire perdre son sens.

Si je devais rattacher Eat parade à un courant théâtral, je parlerai de commedia dell’arte. Comme dans la commedia il y a un thème central, comme dans la commedia les textes, en référence à ce thème, sont écrits par les intervenants eux-mêmes. Je  pourrais dire que le maître de cérémonie est un conglomérat du Dottore et du Capitan. Mais, foin de ces considérations, quid de cet Eat Parade ? Le déclic personnel de Pierre Blain – le metteur en scène- a lieu suite à un documentaire « Que mangeons-nous vraiment ? » De la Terre à l’assiette, il y aurait donc un monde, une série de mensonges et d’aberrations. Il décide alors de partager ces questionnements et son indignation sur la scène d’un théâtre.

Dans Eat parade, il est le présentateur pince sans rire, au cynisme bien dosé, qui annonce la couleur de cette création atypique. « Dans un instant, Mesdames et Messieurs, vous allez accueillir les huit candidats de cette finale ! » Naturellement, il est question de vote et d’élimination. Leur challenge ? Préparer un plat avec des légumes récupérés pour les spectateurs présents en 85 minutes. Les cuisiniers se ruent sur les tables de préparation garnies d’une cagette de produits. Le compte à rebours est lancé.

Pendant cette heure et vingt cinq minutes, les huit (comme le conseil des huit à Florence, comme  le nombre cubique parfait, comme les sept samouraïs plus un ?) vont s’activer, s’invectiver afin de défendre leur pré carré gastronomique, s’il tant est qu’il y en eût un, et répondre aux questions pertinentes et subtiles du présentateur, à l’instar des questions que se doit de poser le présentateur télé lamba. Au demeurant, pour parodier Dario Fo, je dirais que il facilitatore è da butare *

On voit donc que le premier de ces mœurs à châtier – en riant, bien sûr – est notre goût-voyeurisme pour ce genre de télévision. Mais, au fait, qui a commencé ? Nous ou la télé ? L’œuf ou la poule ? Après tout, la poule n’est qu’un intermédiaire entre un œuf et un autre œuf… Mais il  y a aussi que, entre ne jurant que soit par une alimentation traditionnelle, paillarde, gastronomique, moléculaire, bio, végétarienne, végane… nous devenions des ayatollahs comportementalistes. Et bien sûr, que, malgré notre apparent écœurement, nous nous laissions manipuler comme des bleus par les industries agro-alimentaires.

Ces huit cuisiniers qui s’étripent – verbalement, s’entend, quoique– pour défendre becs et ongles leur crédo ne sont, finalement, que nous. Comme le disait le vieil Horace : Quid rides ? mutato nomine, de te Fabula narratur. Tu ris ? Change le nom, ce sera ton histoire. Sur scène, il y a des comédiens mais aussi des élèves du lycée professionnel Paul Augier, soutien logistique de l’aventure, entre autre bien sûr pour les costumes. Et ses élèves là peuvent en remontrer aux participants comédiens, ne serait-ce que par leurs  textes qu’ils ont écrits et l’art qu’ils ont de les défendre.

A la fin nous avons donc mangé les préparations qui avaient été œuvrés sue scène. Ce n’est pas pour rien que l’on nous avait remis à l’entrée des couverts en bois recyclé et une serviette en papier. J’ai même assisté à uns scène très touchante. J’étais assis à coté de la CPE (conseillère pédagogique d’éducation) du lycée Paul Augier. Après la représentation, un des élèves « œuvrants »  est venu lui demander comment elle avait trouvé le spectacle. Il est reparti en disant : « Merci, madame » Le comédien était redevenu élève. Et ce moment-là, c’était du théâtre.

Jacques Barbarin

eat parade écriture collective mise en scène Pierre Blain avec Céline Ottria, Pierre Blain, Frédéric Filon, Renato Giuliani, Christian Guérin, Hugo Musella, Franck Vidal et les élèves du Lycée professionnel Paul Augier – Nice Marieme Ba, Gabin Bonnety, Dimitri Carozza, Paul Schlecht

*L’animateur est à jeter parodie du titre La signora è da buttare

 

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