On a dit de la dernière œuvre de Laurent Gaudé, « De sang et de lumière » que c’était de la poésie. Allons bon, kèkséksa, la poésie ? Et d’abord, c’est qui, Laurent Gaudé ?
Laurent Gaudé, né en 1972 dans le 14ème arrondissement de Paris (j’aime bien le 14ème, le Lion de Belfort -enfin sa réplique- Montparno…) a obtenu le prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires avec La mort du roi Tsongor en 2003, puis le prix Goncourt pour son roman Le soleil des Scorta, en 2004.
Sa première pièce, Combat de possédés, paraît en 1999. Elle sera jouée en Allemagne et lue au Royal National Théâtre de Londres. Sa seconde publiée en 2000, est Onysos le Furieux. Il s’agit d’un monologue épique, écrit en seulement 10 jours au printemps 1996. Il a aussi écrit d’autres pièces de théâtre dont Pluie de Cendres, Cendres sur les mains, Médée Kali, ou encore Le Tigre bleu de l’Euphrate.
J’avoue que ce qui me gène dans la poésie, c’est le mot lui-même, source de tous les errements, « ah ! La poêêêêsie ! » Pour raison garder, le préfères l’opinion de Jean Paul Sartre. Dans « Qu’est-ce que la littérature », il écrit que la poésie ne se sert pas des mots de la même manière que la prose : « Et même, elle ne s’en sert pas du tout ; je dirais plutôt qu’elle les sert… Le poète s’est retiré d’un seul coup du langage instrument ; il a choisi une fois pour toutes l’attitude poétique qui considère les mots comme des choses et non comme des signes. »
Si je devais qualifier les huit textes de l’opus gaudien, je les présenterai comme des « essais de révolte et d’indignation ». Si je devais jouer au savant, je dirais qu’il s’agit là de « poème en prose », genre littéraire poétique qui n’utilise pas les techniques de rimes, de versification et de disposition du texte traditionnel de la poésie. Suzanne Bernard, dans sa thèse Le Poème en prose de Baudelaire jusqu’à nos jours (Nizet, 1959) propose les critères suivants : « Il s’agit d’un texte en prose bref, formant une unité et caractérisé par sa « gratuité », c’est-à-dire ne visant pas à raconter une histoire ni à transmettre une information, mais recherchant un effet poétique »
Et pourtant Laurent Gaudé raconte, ses huit textes narrent huit histoires, mais si elles le font, c’est en même temps – c’est à la mode de dire ça- par et les mots et par la syncope même de chacun de ces « temps » (finalement, je préfère « temps » qu’à « texte »).
Un exemple : Prenons le début du temps : « Notre Dame des jungles ». Si vous lisez : « Sur l’autoroute, il y a d’abord ces noms qui sentent le grand vent et les embruns », vous avez le sens que j’appellerai « prosatique » (oui, j’invente, et alors ? Vous comprenez ce que je veux dire, non ?). Mais si l’on vous propose :
Sur l’autoroute
il y a d’abord ces noms
qui sentent le grand vent et les embruns
vous avez bien sûr toujours le prosatique, mais apparaît ce que la scansion, le respiratif, presque le ahanement, vous insuffle, vous instille. Lisez cela à voix haute, en y mettant votre propre ahanement, la scansion que vous ressentez le mieux, tenez, mettez une césure après grand vent, imaginez, nom de Zeus ! Appropriez vous ces paroles.
« La poésie est une clameur / Elle doit être entendue comme la musique / Toute poésie destinée à n´être que lue et enfermée dans sa typographie n´est pas finie / Elle ne prend son sexe qu´avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l´archet qui le touche » (Léo Ferré, Préface)
Je lis ces huit temps comme autant (au temps ?) finalement de reportages sur la folie qui s’empare de notre monde, sur l’aveuglisme du regard détourné et sur le fait que l’histoire à une fâcheuse tendance à bégayer lamentablement, tendance fâcheuse dont se gave la faucheuse.
Laurent Gaudé dit, crie les maux avec les mots de douleur, de sueur, de sang et de fureur et/mais qui sont en même temps – hé oui, je suis à la mode- ceux d’empathie, d’espoir, de regard droit dans les yeux empli de bonté.
Il faudrait inventer une autre formule que le « Poésie » dont s’orne la couverture. « Invente des formules de nuit: CLN… C’est la nuit!/Même au soleil, surtout au soleil, c’est la nuit » (Léo Ferré, Il n’y a plus rien) Mais si c’est ça, la poésie, alors oui.
Tant de cris tant de foules dans tant de villes/ Et tous ces regards saisis, ces visages qui sont les nôtres/ … La part belle/De lumière/De sourire/Et d’esprit.
C’est le début et fin du temps Le serment de Paris, qui clôt le recueil. Et tous ces huit temps sont autant de « Divine Comédie ». Il ne vous reste plus qu’à écrire le neuvième cercle. Pardon, le neuvième temps.
Laurent Gaudé, De sang et de lumière, Editions Actes Sud, la plus belle des maisons d’éditions (Je le revendique, et vous souhaite…)
Jacques Barbarin