L’effondrement d’un tunnel mal construit , un homme enseveli et piégé qu’il faut sauver . Les éléments et les conventions du film de genre déconstruits, pour faire la lumière sur les dysfonctionnements des rouages d’une société corrompue . Le superbe récit …d’une « catastrophe » humaine .

C’est avec son second long métrage, Hard Day ( 2014 ) présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes , qu’on avait découvert le cinéaste Sud Coréen , et où c’est déjà via le film de genre , le thriller , qu’il dénonçait la corruption policière . Avec Le Tunnel , c’est via , le film-catastrophe qu’il récidive . Et dont il annonce d’emblée que c’est non pas l’accumulation des éléments ( et la surenchère …) habituelle du récit spectaculaire ( Hollywoodien… ) d’un désastre , ni celui du héros le surmontant , qui y est ici , sublimée. D’emblée le cinéaste précise « Je voulais me focaliser non pas sur le désastre, mais ses conséquences … ». Celles dit-il révélatrices « qui mettent en jeu un cas de conscience consécutif à l’ampleur des moyens déployés pour sauver un homme, faisant apparaître dissensions et questionnements à tous les niveaux de la société » . Eviter le piège des films -catastrophes pour , ici , se concentrer plus particulièrement ce qui – en amont- en est la cause , et en provoque les conséquences . Deux éléments qui mettent en jeu les problématiques du fonctionnement de la société et des politiques et économiques qui sont conduites. Et qui, lorsque l’accident arrive , présent encore sur la manière dont est conduite sa gestion…

Le cinéaste a puisé son inspiration dans les nombreux incidents ou accidents dans lesquels les citoyens de son pays se sont retrouvés piégés , et qui ont fait de nombreuses victimes dont s’est fait écho mondialement , le plus tragique , celui du Naufrage du Sewol en 2014 , le ferry qui a chaviré avec les lycéens à bord, faisant plus de Trois cent victimes .Une tragédie qui a provoqué de très vives réactions dans le pays , et suscité de nombreux questionnements et mises en causes de responsables à tous les niveaux accusés de « collusion », et y compris du gouvernement , qui fut accusé de… minimiser ses responsabilités . Le développement économique effréné tous azimuts depuis trois décennies, on les retrouve, ici , au cœur du récit . Celui de ce père de famille ordinaire Jung-Soo Lee (Ha Jeong-Woo ) quittant son travail pour rejoindre sa famille et fêter l’anniversaire de sa petite fille , qui va se retrouver piégé dans cet effondrement du Tunnel dont la cause est très vite expliquée . Due au non -respect des normes , règles et autres négligences sécuritaires , au cœur desquelles de nombreux intérêts vont se retrouver compromis . Le cinéaste en déroule avec une méthodique efficacité tous les éléments dans une belle inter-action parallèle , ménageant à la fois le suspense de la description de la survie du piégé au cœur des décombres, et celui de l’intervention des secours . Suspense auquel se rajoute la « foire » médiatique et autres , enjeux politiques et économiques , qui vont s’y greffer …

La conduite de tous ces éléments qui s’imbriquent le cinéaste en fait l’enjeu d’un réflexion au cœur de laquelle va émerger , la réalité du piège dont le destin de cet homme luttant pour sa survie sous les décombres , va être en quelque sorte…l’otage !. Magnifique description des longs jours de son attente et d’espoir au cours desquels coincé dans sa voiture il va devoir rivaliser d’astuces pour survivre . Avec comme seul contact avec l’équipe des secours ( et sa femme venue sur les lieux …) , son téléphone portable dont il faut ménager la batterie , pour permettre de le localiser , compte tenu de l’importance de l’effondrement du tunnel ,qui a entrainé tout un pan de montagne sous laquelle il est construit . La minutieuse description des détails quotidiens , y compris psychologiques (comme celui assuré par la radio musicale captée par son véhicule ) , nécessaires à entretenir l’espoir de l’attente . la rare nourriture, dont il faut en ménager le dosage ( gâteau d’anniversaire …) comme celui ( une gorgée… ) des deux seules bouteilles d’ eau à disposition, au risque de voir compenser … par des substituts … assez répugnants! . Toute une discipline nécessaire pour éviter le stress de la claustrophobie… des moments habillées d’une dose d’humour qui parsèment cette attente insoutenable dont on vous laisse découvrir les autres multiples facettes . Et au cœur de cette attente le beau « lien » du soutien et des conseils qui se noue au fil des rendez-vous quotidiens, comme miroir « d’humanité et de solidarité », face au déchaînement des passions extérieures dominés par les intérêts lâches, et mesquins …

Ceux , dont le cinéaste fustige les comportements avec un véhémence rarement vue au cinéma dans ce genre de film. Personne , ou presque , ne va échapper à la charge . Les médias ? : audience oblige, ils affluent sur le lieu au point de perturber au début la mise en place des secours. Se précipitent sur la détresse de la femme ( Bae Doona) de la victime ensevelie , ou sur les visites des politiques , et se désintéressent , sauf quand il y a problème, du travail des sauveteurs . Les politiques ? : ils sont en visite de représentation carriériste en organisent un « plan national » de secours …pour le remettre en cause quand la longueur et le « coût » risquent freiner la poursuite des travaux du second tunnel prévu. Les entreprises ? : les plans incomplets ( pour raisons d’économies..) fournis, sont à l’origine de l’échec de la première tentative des secours . Leurs solidarité et participation à ces derniers est très vite tributaire de leurs intérêts, et feront pression sur les politiques et les médias , pour les arrêter arrêter . N’hésitant pas à faire passer leurs intérêts , avant la vie d’une homme !. Les politiques suivent et les médias organiseront un sondage public , sur l’utilité d’arrêter les secours. L’irresponsabilité et l’hypocrisie en marche . Et puis cette ignominie du terrible choix que l’on demande à la femme de la victime … qui va interpeller un officiel « et s’il est encore en vie ? » . La colère du responsable de l’unité de secours qui a entretenu avec lui , le dialogue quotidien …qui refusera de baisser les bras, et, contre l’avis de tous s’impliquera dans une dernière tentative . La magnifique scène finale , et le geste qui la symbolise , qui en dit long….
On terminera par cette belle citation du cinéaste , en forme de message au public « Tunnel est une historie réaliste sur la vie humaine et le spectacle qu’elle peut offrir. C’est Pour moi, la vie humaine la chose la plus importante que nous ayons , est beaucoup trop dévalorisée de nos jours. J’espère qu’à travers le personnage de Jung-Soo LEE , piégé sous le tunnel, nous pourrons à nouveau nous interroger sur le sens de la vie humaine » . On y souscrit et on vous invite à aller voir ce superbe film , dont la condamnation des responsabilités à tous les niveaux , ne manque ni de force , ni d’audace …
( Etienne Ballérini)
TUNNEL de Kim Seong-Hoon – 2017- Durée : 2h 06.
Avec : Ha Jeong-Woo, Bae Doona , Oh Dal-Soo ….
Lien : Tunnel ( Bande-annonce du film )