Après Tel Père, Tel Fils ( 2013 ) et Notre Petite Soeur (2015) , le Cinéaste Japonais nous propose une nouvelle exploration des thèmes qui lui sont chers et au cœur de son œuvre. Ici , c’est le dilemme auquel est confronté un père de famille divorcé « accro » au jeu , qui, faute de pouvoir payer la pension alimentaire de son fils , va tenter de regagner la confiance de siens pour ne pas le perdre …

Symboliquement le film s’ouvre sur une séquence emblématique. Les actualités télévisées annonçant l’imminence d’un 23 ème typhon, pour lequel on demande à la population de rester recluse et prendre toutes les précautions pour s’en protéger. Cette tempête des éléments annoncée , fait écho à celle qui menace de peser sur la vie privée de notre héros, Ryota ( Abe Hiroshi ) père de famille qui risque de la voir se retrouver bouleversée. Ce dernier en effet a gâché sa vie à cause de ce « vice » et cette passion du jeu héritée d’un père qui vient de mourir. Un deuil qui lui fait reprendre contact avec des proches : sa mère , et sa femme dont il est divorcé , et son fils .Avec lesquels , au fil du temps , les liens familiaux se sont distendus , et dont il porte la responsabilité. En effet, après avoir commencé un parcours d’adulte assez sage ( mariage et insertion dans la vie ) consacré par une ambition littéraire pour laquelle il a même reçu un prix prestigieux , le voilà qu’il y renonce et fait un virage à cent quatre vingt degrés !. Se lançant dans une carrière de détective privé , comme alibi , pour cacher sa propension à une « addiction » aux jeux, aux paris et leurs corollaires. Englué dans les prêts, extorsions et autres mensonges, pour tenter de se refaire, il ne fait que sombrer chaque jour un peu plus. Faute de pouvoir payer régulièrement la pension alimentaire pour son fils , Shingo ( Yoshizawa Taiyo) qui vit avec sa mère. Et le voilà qu’il risque de ne plus pouvoir ,le voir…

Un soubresaut est nécessaire , pour lui , qui a souffert dans son enfance d’un lien paternel qui s’est distendu jusqu’à l’indifférence et au rejet. Il ne voudrait pas voir se renouveler le mal-être vécu du passé , et à son tour , y faire sombrer son enfant . « C’est une histoire qui jette un regard intime sur le présent des personnes et leur façon d’être . Tous les personnages ont vécu de grandes difficultés à être ces adultes qu’ils voulaient devenir , lorsqu’ils étaient enfants . Toutefois ils continuent de trouver un moyen d’apprécier la vie , aussi différente du futur dont ils avaient rêvé » , explique le cinéaste . Dissensions , Rapports conflictuels et autres non-dits qui s’en sont suivis , il va falloir tenter d’y remédier . C’est l’enjeu de Ryota , dont le cinéaste se fait porteur de cette volonté de faire front à la tempête … qui risque de détruire le « lien familial » . C’est bien ce danger , qu’évoque l’autre séquence qui inaugure le film où l’on voit la sœur et la mère de Ryota réunies au domicile de cette dernière . Ryota , y est fustigé à la mesure de la déception qu’il inflige à ses proches dont l’amour qu’ils lui portent se mue en piques assassines ( de sa sœur…) , mais aussi, en un jeu subtil de la mère et grand-mère protectrice, qui entend bien le faire changer . Et qui , profitant de la tempête annoncée , va utiliser un stratagème pour réunir les deux parents « à cran » et tenter de les contraindre , à trouver une issue qui ne pénalise pas leur fils …

Tout l’art du cinéaste consiste à inscrire au cœur des situations quotidiennes et leur vécu , les fêlures du passé et du présent qui les parasitent . C’est en puisant dans son vécu dont elle est porteuse de ses propres blessures qu’elle a soignées , que la mère de Ryota veut contraindre son monde à trouver une issue . A cet effet, le cinéaste construit autour du quotidien et du vécu de celle -ci et des membres de la famille , tout un faisceau d’instantanés révélateurs . Portraits sensibles . Celui d’une mère soumise devenue veuve enfin libérée se trouvant des passions ( musique) , malgré le confinement dans un HLM dont elle a rêvé tout sa vie de pouvoir en partir. Celui de Ryota et de son jeune collègue devenus complices pour soutirer quelques bénéfices dans les flagrants délits d’adultères qu’ils suivent pour leur agence . Et Ryota qui multiplie tentatives d’extorsions , paris et jeux ( loterie …), et autres combines pouvant lui permettre de payer ses dettes et la pension alimentaire à sa femme , et offrir quelques cadeaux ( chaussures de sport…) à son fils, devenu distant . Tenter de renouer avec lui et effacer ce sentiment de père démissionnaire qu’il a été jusque là. Dans le sillage de ses personnages, le cinéaste en profite aussi, pour brosser le portrait d’une ville , des différents modes de transports en commun , quartiers populaires ou plus résidentiels. Toute une ville en mouvement au cœur de laquelle ils s’inscrivent . C’est en miroir , le portrait , d’autres destinées inconnues et semblables dont il décline les blessures et fêlures secrètes . Dans le sillage de la tradition de son maitre, le grand Yasujiro Ozu dont il perpétue la tradition des récits, à hauteur d’homme …

Dès lors ce « vécu », dont le cinéaste qui a puisé- aussi- dans sa propre expérience intime et son enfance , trouve un écho universel dans lequel le spectateur se reconnaît facilement dans les thématiques abordées . Ici ,les thèmes de la séparation du couple , des rapports père-fils à re-construire , comme ceux du cadre de vie et des souvenirs , ou encore des ambitions et projets d’une vie rêvée dont les espérances finissent par être emportées au point de rendre le bonheur espéré , inaccessible . A cet égard le stratagème de la mère , qui tente de le réactiver, profitant du danger du typhon pour réunir le couple séparé dans une chambre-refuge , est révélateur pour le couple séparé , du nécessaire bilan à faire . De la même manière que la tentative de Ryota de faire de même avec ses souvenirs d’enfance et emmener son fils , dans le refuge-repère où , jadis enfant , il avait goûté un moment d »intimité paternelle. La petite musique des notations quotidienne, des conflits et des moments reflétant ce que le cinéaste appelle le « métier de vivre » est distillée avec une profonde délicatesse à laquelle la dérision enjouée de la veille mère ( Kirim Kiki, émouvante, magnifique ) , offre la note sensible . Celle qui oblige à « continuer à trouver un moyen d’apprécier la vie … », même si elle est loin de celle que l’on avait rêvée . Après la tempête , l’éclaircie qui vient comme un espoir, invitant à ne pas se résigner …
(Etienne Ballérini)
APRES LA TEMPETE d’ Hirokazu Kore-Eda – 2017- Durée 1h 58.
Avec : Abe Hirochi, Maki Yoko, Kiki Kirin , Yoshizawa Taiyo …
Lien : APRES LA TEMPETE d’Hirokazu Kore-Eda ( Bande- annonce )