Les deux dernières semaines, c’était du « lourd » au TNN (Clytemnestr@pocalypse, L’envol des cigognes, Le dernier jour du jeûne). Le spectacle suivant ne démérite pas, bien au contraire : c’est un rendez-vous avec Voltaire, avec l’adaptation du plus célèbres de ses contes, spectacle intitulé Candide [si c’est ça le meilleur des mondes]
Candide ou l’Optimisme été réédité vingt fois du vivant de l’auteur, ce qui en fait un des plus grands succès littéraires français. Cette œuvre, ironique dès les premières lignes, ne laisse aucun doute sur l’origine de l’auteur, qui ne pouvait qu’être du parti des philosophes : « Les anciens domestiques soupçonnaient que [Candide] était fils de la sœur de Monsieur le Baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers, [de noblesse] et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps. »
On perçoit immédiatement, dans la fin du premier paragraphe de l’œuvre, le sarcasme moquant le conservatisme social de la noblesse arrogante, annonçant le Figaro de Beaumarchais : « Si le Ciel l’eût voulu, je serais fils d’un prince. »
« Pangloss [le précepteur de Candide] disait quelquefois à Candide : Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de mademoiselle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches.
– Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »
« Il faut cultiver notre jardin » est une métaphore qui signifie : laissons de côté les problèmes métaphysiques (critiqués tout au long de Candide à travers l’image du philosophe Pangloss), et occupons-nous au contraire des choses que l’on peut changer, améliorer. En d’autres termes, cela signifie qu’il faut s’appliquer à faire évoluer la société et à la rendre meilleure.
Et, sur scène, 5 jeunes comédiens qui ont une force de conviction étonnante. « À travers le conte philosophique voltairien, nous voulions raconter une histoire pour les étranges enfants du XXIe que nous sommes. Car davantage que l’optimisme de notre temps, en rupture avec l’optimisme religieux du XVIIIe, c’est notre pessimisme que Candide nous apprend à interroger et à « organiser » pour reprendre la célèbre formule de Walter Benjamin. C’est-à-dire cesser de répéter la dégradation et l’anéantissement pour entrevoir autre chose. Quelque chose de ténu, de minuscule d’invisible presque à l’œil nu. Et qui tremble. » (Maëlle Poésy, mise en scène, et Kevin Keiss, dramaturgie)
En prologue, devant un rideau de scène, les cinq comédiens deviennent peu à peu les personnages principaux (Pangloss, Candide, le baron, Cunégonde sa fille, son fils) à la fois en revêtant leurs habits, quittant la scène civile pour endosser la scène théâtrale, et, via le texte de Voltaire, présentant les personnages, leur relations entre eux, jusqu’au moment où Candide est expulsé du château de Thunder-ten-tronckh.
Puis Candide traverse ses épreuves, dans une mise en scène rapide, épurée, efficace : il ne s’agit pas de « moderniser » ce conte, mais de mettre en perspective l’intemporalité de la fable. Que nous avons aussi nos tribunaux d’inquisition, nos Grands qui, sous couvert de moralité, abusent de la crédulité du peuple ? Et tout ça avec une légèreté couplée avec une nervosité qui fait que jamais nous ne tombons dans l’ennui de ce qui pourrait être une répétitivité de passer d’un voyage à un autre.
Grâce aussi au superbe travail des lumières (Jéremie Papin) qui sait définir en un instant chaque situation (Lumière blafarde et aveuglante de la caserne où Candide est enrôlé malgré lui, feux flamboyants du grand incendie de Lisbonne, pluie d’or des contrées d’Eldorado…) Et la performance des cinq excellents comédiens de la compagnie Drôle de bizarre qui endossent multiples rôles, défilent à une rapidité fulgurante. Contrairement à cet horrible mot, ils n’ »incarnent » pas, ils investissent.
Au demeurant, « dis moi qui t’a enseigné je te dirais qui tu es » : là plupart d’entre eux sont passés par l’école du Théâtre national de Strasbourg, qui, en matière de formation complète, s’impose.
Au total tous ces jeunes gens nous délivrent, avec enthousiasme, la leçon de tolérance de Voltaire : « Qu’est-ce que la tolérance ? C’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs, pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature. » (Dictionnaire philosophique)
Jacques Barbarin
Candide [si c’est ça le meilleur des mondes] d’après Voltaire adaptation Kevin Keiss, Maëlle Poésy / mise en scène Maëlle Poésy avec Gilles Geenen, Marc Lamigeon, Jonas Marmy, Roxane Palazzotto, Hélène Sir Senior
TNN réservation 04 93 13 90 00 Jeudi 6, vendredi 7 20h
Photos : Vincent Arbelet