Cinéma / ORPHELINE d’Arnaud Des Pallières

Le réalisateur de Poussières d’Amérique (2011) et de Michaël Kohlhaas (2013) , brosse avec son nouveau film, un portrait de femme singulier, incarné par quatre comédiennes différentes. L’expérimentation des formes au cœur de l’oeuvre du cinéaste qu’il poursuit ici , offre au traumatisme originel de son héroïne , une belle intensité dramatique à sa fuite en avant …

l‘Affiche du Film.

On découvre dans la première scène du film, notre orpheline ( Adèle Haenel ) aujourd’hui trentenaire à son travail d’enseignante et dans son intimité familiale. Rapidement, la sérénité et l’harmonie qui semble régner dans les deux cadres de son quotidien, est troublée par une jeune femme qui vient lui demander des comptes sur un passé don elle va devoir assumer les conséquences. Tout bascule alors dans vie de notre orpheline, comme ce fut le cas jadis lorsque petite fille ( Véga Cuzytek) , elle fut témoin de ce drame qui la séparera à jamais de sa famille. La reconstruction de sa vie , Arnaud Des Pallières nous en propose les quatre étapes d’une remontée dans le temps , de ses 30 ans jusqu’à son enfance. Cette enfance troublée dont les stigmates      ( du destin?) semblent se prolonger dans les étapes futures où elle sera ballotée dans un tourbillon de violence dans son rapport au monde, et aux autres . En une quête incessante, dont les basculements se font révélateurs,  de ses personnalités multiples et de ses désirs. Une quête dont l’élément central est, le tiraillement qui s’inscrit entre son désir de liberté et cette quête insatiable d’amour, dont se fait l’écho tout le récit jusque dans la magnifique scène finale…

la petite orpheline ( Vega Cuzytek ) et Nicholas Duvauchelle

Si le film pose la question « peut-on échapper à son passé ? » , il invente aussi dans le sillage du parcours de la vie de son orpheline, les multiples tentatives pour tenter d’y parvenir. Qui l’amèneront à devoir affronter un monde hostile dont la jeune adolescente (Solène Rigot) , devenue jeune femme ( Adèle Exarchopoulos ) va multiplier aventures et rencontres. Un parcours effréné, semé de liaisons et de compromissions, de chantages, de violences et de dangers. Une descente aux enfers, qui se précise au cœur des très belles scènes de ses rencontres avec les femmes et les hommes, qu’elle croise. Celles et ceux, des rencontres d’un jour,  ou qui partagent un moment sa vie. Ces liaisons parfois dangereuses, ou qui le deviennent. Avec cette affaire criminelle dans laquelle elle se retrouve mêlée, et dont le visage du passé ( Gemma Arterton ) finit par resurgir pour lui demander des comptes. Et ces hommes dont elle est l’objet de désir instantané avec lesquels, elle joue la provocation. Et puis ceux qui finissent par s’installer momentanément dans sa vie, en substituts de pères (?), ou maris (?) . Le traumatisme des origines, la conduit à une quête d’amour permanente et désordonnée, dont l’absolu qu’il représente, est un remède difficile à trouver, et à faire co-habiter avec son désir de liberté…

Adéle Exarchopoulos et Gemma Arterton

C’est le fil conducteur d’un présent et d’un avenir à construire, qui est au centre du récit dont la première et la dernière séquence du film, forment la matrice de la remontée dans le temps, pour ouvrir dans la scène finale , la promesse  d’un possible, avec les mots glissés à l’oreille de l’enfant. «  il fallait cette ouverture et ce final » explique le cinéaste qui a voulu        «  inscrire le secret au cœur de cette remontée dans le temps ». A l’épisode sombre de l’enfance auquel il offre la dimension mythique de la tragédie Grecque . Et, lui renvoie le miroir de la réalité dans laquelle se confondent les orphelines successives dont les quatre comédiennes    ( parfaites) composent le portrait. Et dont la caméra suit le point de vue pour y inscrire la cohérence du regard. Un très beau travail  voulu par le cinéaste  « afin que les différentes parties se hantent les unes les autres (…) grâce au rythme rapide du film et à l’absence de transitions entre les parties, les émotions ressenties se superposent et finissent par ne former qu’une seule figure. Différents visages se superposent pour ne former qu’un être unique et cohérent », dit-il. Dès lors ce « jeu de construction » auquel le spectateur est convoqué par le cinéaste « … à participer, avec sa sensibilité propre qui remplit les trous et construit le film», afin de le prolonger et (ou ) de s’identifier au besoin, aux thèmes suggérés…

Adèle Haenel

C’est ce qui rend le film passionnant, et,  en même temps audacieux par une approche et une construction se démarquant de la facilité et des poncifs d’une certain cinéma . A cet égard le portrait multiforme de son orpheline est clair pour le cinéaste, qui, par ce biais, s’inscrit à contre -courant d’une certaine morale et propose un superbe portrait de femme libre .«  Un des objectifs du film est de donner une dignité à la quête sensuelle, sexuelle, amoureuse, sociale, politique de cette femme. A travers ses élans, ses enthousiasmes, ses prises de risques – trop souvent jugés sous les critères d’une certaine morale – je vois au contraire une générosité et un bouleversant appétit de vie . Une jeune femme de basse condition, ignorante, sans argent, sans puissance de classe, sans pouvoir professionnel, n’a que ce qu’elle est, pour avancer dans le vie. C’est avec son visage, sa voix, son sourire, sa grâce, son corps, sa puissance de séduction, qu’elle retrouve un peu d’égalité avec des hommes ( et des femmes ) déjà  puissants et dotés par la vie… », relève Arnaud Des Pallières. Pourtant dans son film, les hommes qu’elle croise et qui l’accompagnent parfois un bout route , ne sont pas condamnés mais plutôt ,dit-il «  pris au piège eux aussi du genre »,  et d’une tradition millénaire qui les perpétue dans leur rôle .Tandis que le combat de son orpheline, c’est celui d’une femme qui cherche toujours à rebondir, à rependre le contrôle de son existence ,en se relevant sans cesse des coups qui lui sont portés.

Sans conteste, les éléments personnels- que le cinéaste à demandé à Christelle Berthevas, sa co-scénariste de lui apporter – puisés dans son enfance et sa jeunesse , ont joué un rôle important dans cette approche « réaliste » que le cinéaste souhaitait. La réussite en tout cas est superbe . Et cette « attention participative » souhaitée par le cinéaste , pour peu que le spectateur s’y laisse entraîner, en multiplie le plaisir…

(Etienne Ballérini )

ORPHELINE d’Arnaud Des Pallières -2017- Durée : 1h50 .
Avec : Adèle Haenel , Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot, Véga Cuzytek , Gemma Arterton, Jalil Lespert, Nicolas Duvauchelle, Sergi Lopez, Karim Leklou, Roger Hunger-Bühler ….

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